La nouvelle vague d’agitation qui traverse les communautés musulmanes de
Belgique à l’approche de la Fête du Sacrifice ce 24 septembre 2015 est à
nouveau symptomatique de la façon dont « elles » (je veux dire ses
leaders communautaires et religieux en particulier) sont traversées par de
nombreuses tensions et contradictions de différents ordres.
Quelques éléments de réflexions et pistes pour l’avenir
A) Organisation et logistique communautaires
Tant les Ministres du
bien-être animal Ben Weyts (Région Flamande) que Carlo Di Antonio (Région
Wallonne) ont annoncé dès leur entrée en fonction il y a plus d’un an qu’ils
avaient l’intention d’interdire l’abattage rituel sans assommage électrique
préalable dans tous les abattoirs temporaires pour la Fête du sacrifice 2015.
L’abattage rituel sans assommage, quant à lui, reste autorisé dans les abattoirs commerciaux fixes.
Pendant plus d’un an, hormis
quelques réunions marginales de certains membres de l’EMB ou d’Union de
mosquées locales, les institutions musulmanes sont restées dans une position
attentiste, faisant quelque part le pari que les ministres n’oseraient pas
passer aux actes. Ben si, ils ont osé, pour différents types de motivations qui
ne relèvent pas toujours du bien-être animal mais parfois du conflit
civilisationnel comme l’a déclaré d’ailleurs le ministre NVA Ben Weyts (voir
ses déclarations de l’été qui ont finalement réveillé le landernau associatif
musulman).
Aujourd’hui, on en appelle
au boycott et l’on voit tous les soldats de la 25ème heure se
réveiller et partir en prêches enflammées sur leurs minbars : ils vont leur montrer à ces ministres le poids de la
communauté musulmane : si l’on boycotte, l’élevage ovin belge ne va jamais
s’en remettre. Espérant bien entendu que les éleveurs vont se joindre à leurs
protestations en organisant des lâchers de moutons dans les rue de Namur ou de
Bruxelles.
Comme je l’annonçais dès la
mi-août, ces initiatives de boycott auront un impact marginal. Pour plusieurs
raisons : on ne parle que de quelques milliers de moutons, répartis entre
des dizaines d’éleveurs, qui, s’ils doivent râler sur leur perte sèche en temps
de difficultés économiques pour le secteur, ne vont pas boire la tasse pour
quelques moutons non plus. En tout cas pas assez pour se mobiliser massivement.
De nombreux moutons proviennent également de l’importation. On voit mal les
éleveurs écossais venir « mettre le souk » à Namur.
Par ailleurs, la question du
sacrifice en abattoir temporaire concerne massivement les communautés d’origine
maghrébine qui sont encore culturellement très attachées au sacrifice d’un
mouton, dans un acte individuel à portée essentiellement familiale (sacrifier
le mouton le jour de la Fête, méchoui le soir-même avec le foi et tout le
toutim en compagnie de la famille…). En ce qui concerne les communautés
d’origine turque, une grande partie profite de l’occasion pour sacrifier des
bovins de manière collective (7 parts pour un bœuf), et est de toute manière
obligée de passer par les abattoirs fixes commerciaux où l’abattage rituel est
tout à fait permis. Bref, ces familles n’ont aucun intérêt au boycott.
Il en va de même pour tous
ceux qui ont choisi de sacrifier un mouton et qui s’y sont pris à temps pour
négocier l’abattage avec les abattoirs fixes – voire temporaires pour la Région
bruxelloise. Cela fait déjà un nombre certains de familles qui auront
l’occasion de profiter de l’abattage rituel légal. Il ne reste donc qu’un
nombre relativement restreint de familles qui vont devoir recourir « au
boycott », car dans l’impossibilité logistique de faire face à la
situation – faute de prévoyance communautaire.
Si l’on peut reprocher aux
autorités de n’avoir pris aucune disposition pour gérer la question logistique
de l’abattage rituel – à savoir comment faire absorber en 3 jours à peu près
30.000 moutons aux abattoirs fixes commerciaux – en particulier dans certaines
provinces comme celles de Namur, du Hainaut ou du Limbourg où l’offre en
abattoirs pour ovins est extrêmement limitée, il n’en reste pas moins que le
défaut de prévoyance repose en priorité sur les institutions communautaires
musulmanes.
En effet, on ne peut
reprocher à l’Etat de ne pas vouloir s’immiscer dans la logistique de la Fête
du sacrifice quand il s’agit
essentiellement d’intérêts privés (consommateurs, éleveurs, abattoirs…).
Les abattoirs fixes fonctionnant sur une logique purement commerciale, on peut
comprendre qu’ils ne peuvent pas tous réaménager radicalement leurs carnets de
commande à brève échéance pour gérer un pic d’abattage de près 30.000 moutons
en plus des bovins à sacrifier pour l’occasion.
En s’organisant un an à l’avance,
des institutions communautaires efficaces auraient pu :
- Se
mettre d’accord sur la date de la Fête du sacrifice. La Diyânet qui a depuis
longtemps adopté le calcul astronomique pour la détermination des dates des
Fêtes musulmanes est tout à fait en mesure de fournir les dates de fête
plusieurs années à l’avance. Ce genre de question logistique démontre une fois
encore l’inanité de la vision oculaire dans une société complexe qui a
abandonné les joies du pastoralisme depuis longtemps ;
- Négocier
avec les abattoirs commerciaux l’insertion du pic d’ovins et de bovins dans
leur chaîne d’abattage. Cela leur aurait permis une gestion prévisionnelle du
flux à moyen terme et d’étaler leurs commandes avec leurs clients
réguliers ;
- Lier
des contacts avec les syndicats d’éleveurs pour parer à toute éventualité d’une
demande de pression politique concertée entre les différentes parties prenantes
de cette chaîne, de l’éleveur au consommateur ;
- Analyser
de manière pointue les défis de cette première mise en œuvre coordonnée à
grande échelle de l’abattage rituel lié à la Fête du Sacrifice et donc
d’interpeller judicieusement le politique là où son appui aurait pu être
nécessaire, du niveau local au niveau régional.
Aujourd’hui, il est bien trop tard pour cela, mais pas trop tard pour 2016. Les éléments de réflexion ci-dessus sont libres de droit : que les institutions communautaires n’hésitent pas à s’en servir.
Dernier point à ce sujet :
le Comité des oulémas de l’Exécutif des Musulmans de Belgique a promulgué une
fatwa la semaine dernière autorisant les musulmans à ne pas sacrifier d’ovins
ou de bovins vu la situation. Ils sont allés jusqu’à autoriser ceux qui choisiraient
de s’abstenir ou de boycotter à ne pas compenser par un don leur renoncement au
sacrifice.
On peut s’étonner de la
motivation de cet avis : s’il s’agit de vraiment boycotter, alors autant
encourager le don : au moins l’esprit de partage de la Fête n’est pas
perdu et il y a assez de misère de par le monde pour trouver à qui donner à
cette occasion. Si l’idée était d’alléger le fardeau des musulmans faisant face
à des difficultés économiques et dans l’impossibilité de sacrifier ou de faire
un don, alors l’opportunité de lier ce genre de dérogation à la question du
boycott me paraît très malvenue. Je suis cependant convaincu que tout musulman
sincère qui choisit de boycotter n’hésitera pas à faire un don équivalent au
prix de son mouton (par exemple : Diyânet,
etc.).
Il n’en reste pas moins que
cette « halalisation » du boycott par les instances communautaires a
au moins le mérite de faciliter la gestion de déçus du sacrifice et d’éviter le
retour aux abattages rituels dans les baignoires ou les arrière-cours.
B) Abattage rituel et halalattitude
L’autre question reste bien
entendu d’ordre jurisprudentiel et métaphysique.
Dans le feu de l’action,
certains n’hésitent pas à s’emporter, rêvant d’une unification de l’oumma
européenne qui boycotterait toute viande halal pendant un mois pour mettre la
pression sur le politique en vue d’empêcher l’interdiction, à terme, de tout
abattage rituel sans assommage électrique.
Bref, si ce genre de
discours relève plus de la pathologie du « tawhîd al-umma » traduisant un grand sentiment d’impuissance
face aux événements et à l’action politique, il permet surtout de ne pas
s’interroger sur la question du halal et de l’importance démesurée que prend
cette dimension pour les musulmans en contexte minoritaire. Plus qu’une affaire
de rituel, il s’agit d’une véritable question identitaire qui doit être traitée
de son plein droit dans un article qui lui serait exclusivement dédié.
Il m’importe plus ici de
questionner les éléments « religieux » autour desquels s’articule ce
discours identitaire.
Comme j’ai pu le rappeler
dans différentes interviews, le soucis du bien-être animal n’est pas la chasse
gardée (si je puis dire) des militants du respect de la vie animale. Tout le
monde a à cœur de prendre soin de leur bien-être, les sacrificateurs musulmans
y compris.
Ensuite, il est important de
rappeler que tous les animaux sont
saignés pour être vidés de leur sang, qu’ils soient destinés à la consommation
kosher/halal ou non.
La seule question qui compte,
in fine, c’est de savoir si
l’assommage (par choc électrique) permet, ou non, de diminuer la souffrance
animale.
Les partisans de chaque
méthode (avec ou sans assommage) fournissent un ensemble d’études scientifiques
toutes aussi concluantes les unes que les autres, selon les indicateurs de
souffrance choisis. Ces études, malheureusement, servent surtout à renforcer les
convictions de chaque camp sans pour autant remporter l’avantage décisif,
chacun n’hésitant pas à faire dans la campagne de communication
« trash » sur les média sociaux à grand renfort de vidéos plus
violentes les unes que les autres.
J’ai également appelé à ce
que les ministres responsables mettent sur pied une commission réunissant des
scientifiques pour et contre l’assommage pour analyser de manière collective et
pluridisciplinaire les évidences scientifiques disponibles, sans tabou. Ce
travail pourrait être mené dans une commission commune aux trois régions.
Il n’en reste pas moins que
la souffrance, au-delà de certains indicateurs neurobiologiques, reste une
question philosophique, voire métaphysique. Il nous est impossible d’arriver à
une définition commune de ce qu’est notre propre souffrance, chaque être humain
ayant une perception, voire une capacité de résistante différente face à un
même stimulus de souffrance, avec des conséquences variées sur nos
comportements. Si l’on ne veut pas se borner à une conception mécaniste de
l’animal, ne serait-il pas concevable de faire également l’hypothèse d’un
rapport différencié de chaque animal face à la souffrance, ce qui rend dès lors
la délimitation d’un seuil de souffrance effective plus difficile qu’il n’y
paraît de prime abord. Une telle approche, soit dit en passant, n’est
d’ailleurs pas incompatible avec la théologie musulmane qui n’exclut pas
l’existence d’un devenir pour les animaux dans l’Outre-Monde après leur
Résurrection (voir versets 6:38 et 81:5) ce qui suppose au moins l’existence
d’une âme individuelle pour chaque animal avec tout ce que cela implique (voir
T. Oubrou, L’Unicité de Dieu, Gédis,
2006, pp. 141-145).
Si l’on se soucie
véritablement du bien-être animal, on admettra que la question vaut mieux que
l’assénement d’études scientifiques sans débat contradictoire, débat qui pourrait
permettre d’identifier des aspects encore à explorer de la question de la
souffrance animale.
Si les conclusions d’une
telle entreprise pluridisciplinaire devaient être que les animaux souffrent
effectivement moins lorsqu’ils sont assommés préalablement, cela imposerait aux
théologiens musulmans (et juifs) de reconsidérer l’approche de leurs Textes de
référence.
En ce qui concerne l’islam
en tous cas, le travail semble déjà bien entamé. Les oulémas de
Nouvelle-Zélande, par exemple, un des plus gros exportateurs de viande halal,
ont validé le principe de l’électronarcose : celle-ci fait en sorte que
les fonctions vitales de l’animal restent intactes. L’animal est inconscient
pendant quelques dizaines de secondes. S’il n’est pas égorgé, il se ranime et
peut reprendre une vie normale.
Il se fait cependant que
persiste chez de nombreux musulmans une mauvaise lecture littérale du verset
5:3, elle-même largement soutenue par une longue série d’oulémas étoilés au
Guide Michelin du conformisme religieux (taqlîd).
Le Coran énonce une série d’animaux impropres à la consommation, souvent pour
des raisons de santé et d’hygiène liées à la présence de sang dans le corps de
l’animal qui ne serait pas saigné (voire traduction ci-dessous).
Un terme fait toute la
différence dans le cas qui nous concerne : mawqûdha : la plupart des gens traduisent par « [la bête]
assommée », comprenant dès lors que le Coran refuserait l’idée de tout
assommage avant égorgement. Un retour au Lisân
al-‘Arab, le dictionnaire le plus complet et le plus proche de la langue
arabe du moment coranique, démontre que mawqûdha
ne signifie pas « assommée » mais « morte à la suite de coups
répétés ». L’interdiction de ce type de viande se justifie pleinement
puisque la saignée n’aurait pas été effectuée avant le décès de l’animal pour
rendre sa viande propre à la consommation – y compris selon les règles de l’AFSCA. Il n’est dès lors pas
étonnant que les oulémas néo-zélandais aient pu arriver à la conclusion qu’une électronarcose
ne pose pas de problème en soi si elle est réalisée dans des conditions idéales
pour le bien-être animal.
Il semble donc que l’on est
face à une véritable maldonne que n’hésitent malheureusement pas à entretenir
certains entrepreneurs identitaires ou certains entrepreneurs (tout court)
ayant de juteux intérêts financiers dans la consommation massive d’aliments
prétendument « halal ».
Traduction proposée par Rachid
Benzine :
« Vous sont interdits : la bête
morte (il s'agit évidemment ici de la
consommation de sa chair) ; le sang (on le dit réservé
aux dieux dans tout le Proche Orient pastoral, mais en fait il risque
d'empoisonner les hommes), la chair du porc (absent en Arabie
à l’époque du Prophète, mais interdit dans Deutéronome, 14:7-8, Lévitique, 11:7)
; ce (les animaux sacrifiés) sur quoi a été prononcé
un autre nom (divin) que Dieu, la bête étranglée (on
traduit souvent étouffée), morte sous un coup (mawqûdha),
d'une chute, encornée ; ce (les animaux) que
les fauves ont dévorés, sauf la bête que vous avez purifiée (c'est-à-dire
égorgée vous-mêmes avant qu'elle ne soit morte, précision avec raison de Muhammad Hamidullah) ; ce
qui est sacrifié (par égorgement) sur la/les
pierre(s) (le mot nusub pose
problème on ne sait si c'est un singulier ou un pluriel ; nasaba donne
l'idée de planter une pierre dans le sol ou simplement la poser pour marquer) ;
(vous est interdit) de
partager les lots (des bêtes égorgées) en tirant les flèches (voir
autres passages en lien avec le maysir :
2:219 ; 5:90) : tout cela est transgression ».
Commentaire de Rachid Benzine (par courtoisie de son auteur, édité pour
les besoins de cet article) :
Ce verset s'insère dans une série sur les interdits liés
au pèlerinage concernant les animaux destinés au sacrifice et l'interdit de la
chasse qui doivent relever d'une continuité de tradition et certainement pas d'une
innovation que l'on croirait coranique. Dans sa ritualité, le pèlerinage qui va
devenir musulman s'inscrit dans le ritualisme tribal précédent. Seule la
puissance divine invoquée a changé mais non pas la gestuelle humaine ni ce que
l'on attend en retour de son pèlerinage et du sacrifice consécutif en matière
de don et de contre-don entre l’homme et le divin.
Le verset 3 est accolé sans véritable solution de
continuité avec les deux premiers versets, peut-être parce qu'il est question
d'une thématique sur l'abattage d'animaux (animaux de sacrifice ou de chasse).
Sur la question de la consommation des bêtes abattues, il faut aussi comparer
avec 2:173 (sauf contrainte) ; 16:115 (sauf contrainte) ; 6:145 (sauf
contrainte, passage le plus explicite).
En cas de situation de force majeure (pour préserver sa
vie), les interdits sont levés. Le musulman peut manger du porc, etc. si il y
est contraint, car ce qui est recherché constamment, c'est de rester vivant pas
de vouloir aller au paradis au détriment de sa survie. La vie passe avant la
mort. Si, malheureusement - et pas heureusement - la vie est perdue dans la
voie de Dieu (au combat) alors que l’on a tout fait pour la préserver, le
paradis arrive comme compensation (mais cette rhétorique ne semble pas avoir eu
beaucoup de succès dans le monde tribal).
En ce qui concerne l'interdit sur les bêtes non égorgées
ce n'est certainement pas une innovation coranique. S'il y a un rapport avec
les interdits alimentaires du Deutéronome et du Lévitique, cela concerne
uniquement le porc. Or, il n'y avait pas de porcs ni de sangliers en Arabie,
contrairement au Proche Orient et à tous les pays montagneux plus au nord. On
est donc face à un élément biblique intégré comme pour se mettre en conformité
avec une révélation antérieure mais sans aucun effet sur le terrain puisqu'il
n'y a pas de porc en Arabie.
En ce qui concerne les autres animaux par exemple
l'animal déjà attaqué par un fauve (loup, lion d'Arabie, panthère d'Arabie,
guépard) l'interdit est certainement dans la continuité de la pratique locale.
Elle se ramène sans doute au fait que l'animal n'a pas été immédiatement vidé
de son sang dans les cas évoqués : strangulation, mort sous les coups, sous
l'effet d'une chute ou trouvé mort. Dans ces cas, la viande peut se corrompre très rapidement. Or,
dans la coutume tribale ancestrale, on connaissait le risque d'empoisonnement
qu'il y avait à consommer un animal encore en sang. Le type de consommation de
la viande en Arabie consistait à égorger pour ensuite découper la viande en
lanières que l'on mettait à sécher au soleil. La viande ainsi séchée pouvait
être consommée sans problème. On retrouve cette coutume dans les jours du
pèlerinage qui succèdent au sacrifice et qu'on appelle ayyâm al-tashrîq, sharraqa signifiant le fait de
découper la viande des bêtes sacrifiées en lanières pour la mettre à sécher au
soleil et la consommer plus tard. Cela se fait immédiatement après que l'animal
ait été vidé de son sang pour éviter le pourrissement, la contamination et
l'empoisonnement.
Le Coran ne fait que confirmer la
pratique locale de la conservation des viandes à des fins de
consommation.
C) Quelques considérations pour la route
1)
Comme on peut le lire au travers du verset 5:3, le « halal » ne
relève pas du domaine du sacré, mais de la simple licéité de consommation pour
des questions essentiellement hygiéniques, confirmant les pratiques (‘urf, mar‘ûf) de l’époque préislamique. La saignée de l’animal ne
sanctifie pas sa viande en quelque sorte. Elle revêt encore moins une quelconque
dimension identitaire qui servirait à différencier le musulman du non musulman.
Tous les habitants de Médine et de La Mecque, païens, musulmans et juifs
consommaient leur viande de manière identique. Il est donc urgent de
reconsidérer la notion de « halal » telle qu’elle est comprise et
vécue par les musulmans vivant en contexte minoritaire, en particulier en
Europe. Et ce d’autant que le surinvestissement émotionnel dans le
« halal » suscite, en retour, un surinvestissement identitaire et
émotionnel dans la consommation de cochon et de ses dérivés ainsi que de
l’alcool au sein de la population majoritaire non musulmane. Une réaction en
chaîne d’actions et de contre actions identitaires autour des régimes
alimentaires a été enclenchée. Il me semble urgent de la ramener à de justes
proportions.
2) Quelle énergie convient-il encore de consacrer à l’organisation de la
Fête du sacrifice et du déploiement d’abattoirs temporaires ? La pratique
du sacrifice est une affaire générationnelle qui tend progressivement à
disparaître, les 2ème et 3ème générations n’ayant plus
trop le goût à passer les jours de fêtes les mains dans les entrailles de
mouton à préparer le méchoui familial. Les dons à l’étranger sont en
augmentation et l’on peut parier que la tendance n’est pas prête de s’inverser.
Les autorités communautaires n’auraient-elles pas intérêt à favoriser la
transition en encourageant les dons plutôt que la pratique du sacrifice ?
3) D’une manière plus générale et à l’aune de l’intention officielle des
Ministres du bien-être animal d’aller vers une interdiction complète de
l’abattage rituel sans électronarcose pour 2020, ne conviendrait-il pas de
s’interroger en profondeur – et sans tabou – sur le bien-être animal en
général : cesser les « accommodements raisonnables » culturels
quand il s’agit des cuisses de grenouilles, de la cuisson des homards et du
gavage des oies (quitte à décevoir les esprits chagrins, précisons que les
musulmans n’ont pas le monopole de la barbarie). Revoir en profondeur l’élevage
intensif et les souffrances intenses qu’il inflige aux animaux, les conditions
de leur transport, les conditions réelles de l’abattage, y compris avec électronarcose,
dans les abattoirs fixes commerciaux où il n’est pas rare que les animaux
soient découpés alors que la narcose n’est plus opérantes à 100% car cela
coûterait trop cher de les y soumettre une deuxième fois…
La liste est longue des conditions inhumaines et des humiliations qui sont
infligées aux animaux pour satisfaire les besoins en viande d’une société de
consommation et de gaspillage, qu’il soit halal, kosher ou
« philosophiquement neutre ».
Si à l’aune du prescrit coranique du respect de l’animal, quasi aucune viande
labellisée « halal » ne l’est en vérité vu les conditions de sa
production, la recherche du respect de l’environnement et de la vie en général
ne devrait-elle pas pousser à une incitation à une consommation accrue de
végétaux et à une diminution drastique de toute forme de régime carné ? Et
cela vaut, bien entendu, pour l’ensemble de la société, étant compris qu’une
telle remise en cause est encore plus impérative pour celles et ceux qui se
revendiquent comme étant porteurs d’une éthique du respect de la Vie.
Au-delà d’un
boycott pour se donner bonne conscience, ou de l’enfermement dans une
halalattitude intransigeante, ce sont, à notre sens, quelques unes des
questions prioritaires que devraient se poser les oulémas de Belgique et
d’ailleurs. Malheureusement, leur silence reste étourdissant.