Le 24 mars, j’annonçais que les participants au Comité des théologiens – un organe consultatif mis sur pied par l’Exécutif des Musulmans de Belgique pour le conseiller sur les questions religieuses – avait refusé d’avaliser différentes propositions pour commémorer les victimes des attentats du 22 mars lors de la prière du vendredi du 25 mars.
Parmi celles-ci figurait l’appel à tous les imâms du Royaume de réciter une Fatiha (sourate liminaire) du Coran à l’intention des victimes. Cette proposition fut déclinée du fait qu’il serait interdit à un musulman de prier pour un non musulman (kâfir, « mécréant » selon l’acceptation la plus commune de ce terme).
Comme il en va de toute polémique, celle-ci est partie dans de nombreuses directions, amenant de nombreux concitoyen-ne-s à ne plus s’y retrouver. Je souhaiterais en préciser quelques aspects tels que je les perçois.
1) L’aspect jurisprudentiel
Commençons par la technique « pure », car il y a beaucoup de confusion en la matière.
La « non-demande » concernait la récitation d’une Fatiha, qui relève plus d’une prière d’invocation, que de la prière pour les défunts proprement dite. Si les musulmans d’origine turque de rite hanéfite l’utilisent régulièrement après leurs prières rituelles pour invoquer Dieu pour toute sorte de choses, cette pratique est plus rare chez les musulmans d’origine maghrébine de rite malékite.
La prière pour les défunts (salât al-janâza), que l’on accomplit derrière le cercueil du défunt, à la mosquée ou au cimetière avant la mise en terre, est un rituel spécifique composé de plusieurs récitations de versets et élévations des mains, sans prosternation. De facto, pour ceux qui s’en inquiètent, cette prière est réservée aux défunts musulmans – dans la jurisprudence ultra-majoritaire comme dans la pratique – puisqu’elle se fait en présence de la dépouille du défunt. Il faut donc que celui/celle sur qui cette prière est récitée soit considéré-e comme musulman-e au moment de ces dernières volontés pour qu’elle puisse techniquement avoir lieu. Au cours de la polémique, certains ont voulu transposer les conditions techniques de réalisation de cette prière spécifique à la récitation de la Fatiha, ce qui est un non-sens.
En effet, la salât al-janâza est par définition une prière destinée à un individu, voire à quelques individus en même temps, en cas d’accident qui n’impliquerait que des musulmans qui seraient enterrés dans un même lieu ou dont l’office funéraire serait célébré à la même mosquée. Cette prière peut/doit donc se faire dans le respect des convictions de chaque individu. Sauf à titre exceptionnel, il n’appartient pas aux musulmans d’accomplir leur rite funéraire à l’intention d’un défunt qui relèverait d’une autre obédience convictionnelle quelle qu’elle soit (j’y inclus l’athéisme), puisque cela pourrait constituer une violation des dernières volontés de ce dernier.
Il existe cependant un autre type de prière funéraire, que l’on appelle la « prière de l’absent » (salât al-ghâ’ib) qui consiste à accomplir cette prière mortuaire à l’intention d’un défunt dont la dépouille n’est pas physiquement présente. Il s’agit du même rituel que pour la salât al-janâza, mais à distance en quelque sorte, et se fera pour l’essentiel dans une mosquée. Certaines mosquées ont par exemple pratiqué cette prière à l’intention de Yasser Arafat, lors de son décès. Cette prière peut être accomplie à l’intention d’un groupe de victimes, comme cela peut se faire en cas de catastrophe naturelle (Par exemple pour les victimes du tsunami qui a ravagé de nombreux pays asiatiques le 26 décembre 2004).
Il s’agit certes d’une prière pour les défunts, mais avec une dimension fortement commémorative, voire cathartique pour celles et ceux qui l’accomplissent. De facto, quand on utilise ce genre de prière, on ne peut plus être dans le pur « entre-soi », car en cas de prière pour un collectif de disparus, on peut considérer qu’il y en a toujours bien l’un ou l’autre dans ce collectif dont l’évolution spirituelle a dû l’éloigner de la norme communément admise, voire être carrément d’une autre obédience.
En ce qui me concerne, je suis d’avis qu’au-delà d’une simple Fatiha, c’est carrément une salât al-ghâ’ib qui aurait dû être accomplie, sans que cela ne contrevienne à la charia, dans ses principes, si ce n’est dans ses formes.
Enfin, pour celles et ceux qui s’inscrivent dans une tradition qui voudrait qu’aucune prière ne soit faite pour des défunts non musulmans, quand même seraient-ils victimes de violence commise précisément au nom d’une variante de l’islam, il faut encore et toujours rappeler que l’islam est une religion de casuistique, avec une règle et une infinité d’exceptions à celle-ci, justifiées par le contexte. Le Comité des Théologiens aurait pu dire « A titre exceptionnel, au vu des circonstances tragiques auxquelles fait face notre pays et notre communauté nationale, le Comité des Théologiens demande à tous les imams d’accomplir la salât al-ghâ’ib pour les victimes des attentats pour nous associer aux deuils des familles, prier ensemble pour les victimes et contribuer au faire ensemble ». Ils auraient ainsi justifié cette exception a minima par les principes de maslaha (bien commun) et de darûra (nécessité), deux principes jurisprudentiels qui permettent d’introduire des exceptions à des règles établies.
Je laisserai de côté l’analyse des rares versets qui servent à justifier cette tradition car leur remise en contexte – pour aboutir à des conclusions différentes – déborderait le cadre du présent essai d’analyse.
Pour résumer :
- Il n’a jamais été question de pratiquer la salât al-janâza qui est un rite spécifique pour les musulmans, à l’instar des rites spécifiques que toutes les religions ont pour leurs fidèles ;
- On ne peut transposer à la récitation d’une Fatiha les conditions de mise en œuvre liées spécifiquement à la salât al-janâza. C’est faire une erreur d’analyse du contexte et de la pratique particulièrement grave, même pour celles et ceux qui veulent s’inscrire dans une lecture ultra-rigoriste de la charia : tous les rituels ne s’équivalent pas et n'ont pas les mêmes conditions d’application ;
- Le Comité des Théologiens a raté l’occasion d’un geste fort en refusant de demander aux imâms de réciter cette Fâtiha, voire même la salât al-ghâ’ib, qui aurait été encore plus appropriée pour l’occasion, en refusant de considérer une voie jurisprudentielle alternative qui aurait pu leur permettre de rester endéans leurs propres clous tout en contribuant au bien commun. Contrairement à ce que dit le communiqué de l’EMB, personne n’a dit qu’il y aurait eu interdiction faite aux imâms d’accomplir une telle prière, ce qui évidemment n’est pas le cas, mais il s’agissait de refuser de prendre la décision d’appeler à agir collectivement et poser un geste fort pour le faire ensemble.
2) L’aspect théologique
Cette polémique tragique a mis une fois de plus en évidence que pour un nombre non négligeable d’oulémas et d’imâms, et a fortiori de musulmans, l’islam s’est réduit à une liste de cases à cocher et de bons points à collecter (hasanât) en étant convaincus qu’il suffit de cela pour être sauvé si l’on est musulman, oubliant que seules sauvent la Grace et la Miséricorde divine. Pas les actes. Car, au fond, c’est bien ce débat qui est là derrière: des oulémas qui n’osent prendre aucune initiative, qui se contentent de reproduire ce que d’autres ont fait avant eux, sans se poser la question de savoir à quel moment et dans quel contexte telle ou telle pratique a pu prendre forme et s’imposer (et ne me dites pas: du temps du Prophète alors que même les prières quotidiennes n’ont pas été formalisées de son vivant en toute hypothèse). Dès lors que l’on est convaincu d’avoir « la recette » du Salut, pourquoi prendrait-on le risque de s’en écarter, et de s’interroger sur les conditions du Salut aujourd’hui et ce qu’implique la prétention à l’universalisme d’une religion dès lors qu’elle refuse d’invoquer, par le rituel, la Miséricorde divine pour celles et ceux qui ne se comptent pas parmi ses fidèles ?
Certains ont avancé le fait que le musulman peut montrer de la compassion et de la solidarité. Certes, nul n’en disconviendra. Il s’agit cependant de penser cela aussi dans le cadre d’une pratique religieuse et d’une religion qui se voudraient vivantes et en phase avec leur temps. Or, pour les gens qui s’inscrivent dans une pratique religieuse, la prière et l’invocation sont leurs outils de base.
J’entends souvent des musulmans railler les autres religions qui se contentent de « prières » en liberté, de paroles récitées en cœur et en esprit, voire de prières jaculatoires comme substituts de pratique rituelle. Ils ne manquent pas d’insister sur la nécessité de prières rituelles pour structurer la pratique et donner de la consistance au rapport à Dieu. Si cet argument peut être recevable, il doit être développé jusqu’au bout, à savoir qu’un musulman pratiquant ne peut se contenter d’une vague pensée compassionnelle pour manifester son soutien aux victimes non musulmanes, mais doit inscrire cette volonté de compassion dans un acte rituel, que ce soit sous la forme d’une Fatiha, ou d’une prière canoniquement plus élaborée. Ne pas le faire révèle une contradiction de plus dans la logique interne de ce genre d’islam et démontre une fois encore qu’il introduit des distorsions de pratique (prière rituelle/pensée compassionnelle) dès lors qu’il s’agit de musulmans ou de non-musulmans, rompant à nouveau avec le but même d’une religion : relier les êtres et Dieu, en particulier au travers de pratiques ritualisées à différents degrés de complexité, et pas uniquement de simples élans de l’esprit.
Mais il y a plus : d’aucuns se cachent derrière la technicité des termes, prétendant qu’il n’y aurait aucune charge négative associée au terme kâfir (mécréant). Ce dernier ne serait qu’un simple terme technique pour désigner le non musulman dans la terminologie jurisprudentielle classique. Sauf que. Sauf que la théologie la plus répandue fait aujourd’hui entrer sous la catégorie kâfir/kuffâr l’ensemble des non musulmans (chrétiens, juifs) et à fortiori les athées, les agnostiques, les différentes religions polythéistes, voire même les musulmans dont l’islamité serait considérée comme douteuse par quelques censeurs externes sous prétexte qu’ils ne cocheraient pas toutes les cases de la pratique la plus rigoriste. Cela fait du monde. Et ces kuffâr sont voués à l’enfer sans exception sauf ultime repentir sincère, ce qui est en contradiction avec le Coran lui-même qui insiste sur le fait que seront sauvées les communautés qui ont reçu un Ecrit surnaturel (ahl al-kitâb, à savoir une information à propos de leur destin en tant que peuple, pas un livre au sens matériel du terme), pour autant qu’elles s’en tiennent à leur voie (dîn, voir R. Benzine, Finalement, qu'est-ce qu'il y dans le Coran, à paraître octobre 2016).
Si l’exégèse classique, extrêmement restrictive, considère comme ahl al-kitâb les seuls juifs et chrétiens, le Coran est à nouveau bien plus ambitieux puisqu’il affirme que chaque communauté aurait reçu un prophète s’exprimant dans sa langue et donc lui apportant un kitâb, un écrit surnaturel l’informant de son destin. A peu de chose près, l’ensemble de l’humanité peut donc être considérée comme ahl al-kitâb et donc susceptible de salut, à rebours des conceptions de la théologie populaire dominante, qui considère encore que les deux derniers versets de la Fatiha « ceux qui encourent Ta colère et les égarés » seraient les juifs et les chrétiens. Il est pourtant évident aujourd’hui que le texte du Coran ne le laisse supposer à aucun moment, mais cette conception fut vulgarisée par l’exégèse coranique hyper répandue d’Ibn Kathîr, un homme du 14ème siècle, marqué par les croisades et qui avait un intérêt bien compris à interpréter le Coran de cette manière, à contre-sens de nombreux autres versets par ailleurs. Cette exégèse reste pourtant dominante jusqu’à aujourd’hui alors que le contexte de sa génération s’est dispersé avec les cendres de l’Histoire. Et il n’est pas déraisonnable de penser qu’elle oriente encore les choix des oulémas sur des matières aussi sensibles qu’une prière collective pour des victimes non musulmanes – puisque de toute façon elles iront en enfer (note : je ne parle pas ici des positions bien plus nuancées de la théologie savante traditionnelle, mais plutôt de la « junk theology » présentée au musulman lambda comme l’alpha et l’oméga de l’islam).
Autre élément à prendre en compte : la théologie musulmane dominante actuelle n’est pas une théologie de la Miséricorde, de la compassion ni du pardon, y compris envers les musulmans eux-mêmes. Le curseur théologique du discours musulman sur Dieu – quand il existe – est calé sur la description d’un Dieu boutiquier mesquin, derrière une caisse enregistreuse de bons et de mauvais points, prompt à punir, brandissant l’enfer à tour de bras et oublieux du Paradis. Un Dieu de vengeance, un Dieu du châtiment et de la réprimande. Le logiciel du musulman fonctionne en priorité sur la trouille de l’enfer et non la promesse du paradis. Combien n’ai-je entendu d’oulémas affirmer que si l’on adoucissait la peur de l’enfer, « les musulmans feraient n’importe quoi », infantilisant complètement les pratiquants de cette religion. De tels postulats théologiques ne peuvent permettre de penser une compassion universelle et une solidarité spirituelle entre différentes voies et pratiques convictionnelles ayant pour but d’aider tout cheminant dans sa quête, non pas selon des critères de Vérité, mais d’adéquation individuelle avec le contenu et la méthodologie proposée par chaque voie particulière à un moment « t » de notre évolution personnelle. En ce sens, de tels postulats théologiques, historiquement situés, mais maintenus dans des contextes différents, finissent pas mettre l’islam « hors de l’histoire » car dépourvu des ressources pour penser le présent et l’avenir.
J’évoquerai encore un aspect de la problématique qui me paraît important : le fait que, dans un pays majoritairement musulman, on ne se pose jamais la question du rapport individuel d’un coreligionnaire avec sa foi, son Dieu, lors de la mise en œuvre de ses funérailles. On pratique le rituel islamique, point barre, quitte à violer la conscience individuelle du défunt en question qui pourrait très bien ne plus se reconnaître dans cette religion. En Europe, on se souvient du long combat des libres penseurs pour pouvoir avoir droit à un enterrement digne de ce nom, mais en dehors de l’Eglise et sans la stigmatisation de la fosse commune. On en est très loin dans le monde musulman : pas question de se faire enterrer, en athée, sans cérémonie si l’on est né musulman. La rhétorique servie à propos du respect des convictions d’autrui post mortem à propos des non musulmans (qui est impérative pour les cas individuels, mais ne concerne pas les prières commémoratives collectives) pour éviter d’affirmer que l’on refuse de prier pour eux par principe, ne s’applique donc pas dès qu’il s’agit d’un-e musulman-e. On est, à nouveau, face à une contradiction éthique de grande ampleur dont les oulémas peinent à s’extirper pour répondre aux exigences morales de notre temps.
3) Le faire-ensemble
Cette affaire a pourtant révélé un nombre de points positifs pour le faire-ensemble.
- Un nombre important de musulman-e-s ont été choqué-e-s par cette affaire, choqué-e-s par le fait que l’on puisse même envisager, au nom de l’islam, de ne pas prier pour des non musulmans en général, et dans ces circonstances particulières qui plus est. C’est extrêmement rassurant. Beaucoup ont dénoncé une confiscation de l’islam par un corps autoproclamé d’oulémas qui s’arrogent le droit de donner le « la » communautaire alors qu’ils vivent manifestement dans une bulle en dehors de la société.
- Cette polémique souligne également qu’il existe une (ou plutôt de multiples) fracture(s) entre de nombreux musulmans d’une part et les imâms, les instances « représentatives » communautaires, voire le leadership associatif musulman d’autre part. Signe évident que la sécularisation des communautés musulmanes (et à fortiori de l’islam) est en marche et que de nombreux croyants prennent leurs responsabilités individuelles dans leurs modes de croire et n’hésitent pas à être – et désormais à s’affirmer – en rupture par rapport aux sources traditionnelles de (re)production de la norme.
- Les oulémas mis en cause se sont contentés d’un démenti sur le fait que la discussion aurait eu lieu, mais aucun n’a osé publiquement débattre du fond de la question, voire se sont contentés de jouer sur l’ambiguïté du terme « prière » qui est utilisé, souvent mal à propos, pour désigner tant les prières rituelles proprement dites (salât) que les prières d’invocation (du’a). Pire, certains oulémas ont admis qu’il était interdit de prier pour des non musulmans sur des médias arabophones du Golfe, croyant parler à une audience connivente, sans prendre en compte le fait qu’à l’ère de la globalisation médiatique, il est impossible de ne parler qu’à une seule audience sans être écouté par des audiences bien moins sympathiques à ses idées. L’expression de « double discours » ne sera pas usurpée pour cette occasion, mais ce passage démontre bien la gêne de bon nombre d’imâms à assumer des positions jurisprudentielles qu’ils savent, au fond, être en contradiction avec les attentes et les standards de la société dans laquelle ils vivent. Mais ils n’ont le courage ni de les assumer et de les défendre en public, ni de les questionner et de les réformer s’ils estiment qu’elles sont en dissonance profonde avec notre contexte. Dans un cas comme dans l’autre, le leadership communautaire ne prend pas ses responsabilités et laisse ses ouailles à elles-mêmes au lieu de lui prodiguer la guidance spirituelle qu’il est supposé offrir. Fort heureusement, un nombre croissant de musulman-e-s assume ses propres responsabilités et agit en conséquence, mais cela ne fait que renforcer le sentiment d’inutilité, de déconnexion et de manque d’a propos de ce leadership, ce qui le fragilise d’autant plus.
- Cet épisode démontre qu’il est impératif que l’Exécutif des Musulmans de Belgique réforme ce Comité des Théologiens. En effet, c’est ce même Comité qui est sensé épauler les imâms de Belgique dans leur effort de lutte contre la radicalisation en leur donnant soutien, conseil et formation. C’est ce même Comité qui valide les candidatures des candidats imâms en matière théologique avant que l’Exécutif ne transmette leurs noms au Ministre en charge des cultes pour leur désignation comme ministres du culte stipendiés par les deniers publics. Comment espérer que ce Comité puisse permettre la nomination d’imâms contribuant activement au faire-ensemble quand eux-mêmes sont dans l’incapacité de saisir le sens de l’Histoire, de poser des gestes forts pour la cohésion sociale, de sentir le besoin de compassion transconvictionnel et prendre les mesures qui s’imposent quitte à reconsidérer ses propres a priori théologiques ? Or ce n’est pas la première fois que cela se passe : en 2008, la Mosquée Assahaba de Verviers avait proposé de nommer, parmi ses 3 imams, une femme qui serait devenue la première femme imâme d’Europe. Alors que le Conseil d’Administration de la mosquée avait procédé à un recrutement ouvert et avait choisi une candidate de qualité avec tous les titres requis, tant le président de l’EMB de cette époque que le Comité des théologiens avaient refusé de lui faire passer l’audition d’évaluation de ses compétences sous prétexte que « de leur vivant, aucune femme ne deviendra imâme ». Ils s’arrogeaient une fois de plus le droit de prendre des décisions en matière théologique pour lesquelles ils n’avaient aucune compétence, puisque dès lors qu’une communauté particulière ayant fait son effort d’interprétation estime qu’une femme peut être imâme, en s’appuyant en outre sur un corpus d’avis minoritaires dans la charia traditionnelle, il n’appartient ni à l’EMB ni au Conseil des Théologiens de mettre en cause une telle interprétation dès lors que ce Conseil doit pouvoir couvrir l’ensemble du spectre des options théologiques possibles au sein de l’islam pluriel de Belgique et non pas se contenter d’être le Conseil des théologiens sunnites de rite malékite (largement salafisé) de Belgique.
Les écarts de sens et les dissonances entre les positions des membres du Comité des théologiens et les aspirations d’une partie non négligeable des musulmans de Belgique en faveur d’un islam lumineux et contribuant concrètement au faire ensemble sont rassurants, mais soulignent cruellement l’enfermement idéologique et social d’un nombre tout aussi non négligeable d’imâms et d’oulémas, désormais clairement en incapacité de produire du sens pour nos sociétés contemporaines, car s’accrochant à un paradigme qui a montré son épuisement, depuis longtemps déjà, mais qu’ils n’osent remettre en question. C’est désormais là qu’il faudra continuer à porter l’effort, l’estocade parfois, pour l’accompagner dans son effondrement tout en contribuant à l’émergence d’un nouveau paradigme, à même de répondre à nos attentes et nos interrogations de musulmans du XXIème siècle.