Le contexte: Les résultats suivant émanent d'une enquête menée par l'Instituut voor Sociaal en Politiek Opinieonderzoek (Ispo) de la KUL. Ils révèlent que près de la moitié des électeurs flamands a une opinion extrêmement négative sur l'islam et les musulmans. Au moins 46 pc des électeurs flamands estiment que l'islam ne peut rien apporter à la culture européenne. A peine 18 pc sont d'avis contraire. Quarante-huit pour cent des sondés pensent aussi que les valeurs de l'Islam représentent une menace pour l'Europe et 37 pc accusent la plupart des musulmans de n'avoir aucun respect pour la culture et le mode de vie européens. Les chercheurs de l'Ispo, sous la conduite de Jaak Billiet et Marc Swyngedouw, ont interrogé 1.084 électeurs entre septembre 2007 et janvier 2008 sur leurs intentions de vote. En marge de cette question, les chercheurs ont également interrogé les électeurs sur le concept d'islamophobie (voir ici).
Les résultats de ce sondage sont en effet particulièrement préoccupants. Mais quelque part pas très étonnants, car ils confirment le malaise ressenti depuis longtemps dans les milieux antiracistes et/ou musulmans en Belgique.
S’il est difficile de pouvoir extrapoler ces résultats à la Wallonie ou à l’ensemble de la Belgique, je ne serais cependant pas surpris que nous obtenions des résultats probablement très similaires.
Cela révèle plusieurs choses et les forums en ligne qui s’ouvrent aux commentaires à ce propos sont très éclairants:
1) la méfiance vis-à-vis de l’islam et la perception de sa prétendue incompatibilité avec les « valeurs occidentales » confirme son enracinement dans une méconnaissance de l’islam. Certains forumanciers n’hésitent toutefois pas à dire: « ne mettons pas tous les musulmans dans le même panier et ce serait bien de rencontrer des musulmans pour pouvoir discuter de ces questions ». On pourrait croire aujourd’hui dans une société métissée telle que la société belge que la rencontre entre les gens de différentes cultures, religions, ethnicités est une évidence, mais c’est très loin d’être le cas. Les Belges vivent dans des communautés très compartimentées entre lesquelles il y a un grand manque de communication et d’échanges. Les projets de dialogue interculturel et interreligieux ont manifestement de beaux jours devant eux. Je dirais même que l’ampleur de la tâche pourrait paraître décourageante.
2) Le rôle des médias prend dès lors une importance cruciale: si la plupart des citoyens de la communauté majoritaire n’ont pas de contact avec des musulmans (au travers de la famille, des amis, des collègues), il en ressort que leur principale source d’information sur l’islam et les musulmans reste les médias. Si ces mêmes citoyens n’ont pas l’occasion d’être confrontés à la réalité concrète des communautés musulmanes de Belgique pour pouvoir prendre de la distance par rapport à la perception médiatique, et la mettre ainsi en perspective, il ne faut pas s’étonner d’obtenir des résultats aussi élevés en matière de crainte, de rejet, d’incompréhension. Sans vouloir jeter la pierre aux média par rapport à leur traitement de l’information, il faut que les journalistes, les rédactions, les annonceurs, et les dirigeants des groupes médiatiques prennent conscience de toute urgence de la responsabilité énorme qui est la leur dans le formatage de la perception que les différentes communautés et groupes composant la société ont les uns des autres et, conséquemment, l’impact qu’ils ont sur l’accélération, le ralentissement ou l’arrêt d’éventuels processus communautarisants qui y seraient à l’oeuvre.
3) Autre conclusion: ce sondage révèle de façon éclatante que l’école est très loin de jouer un rôle intégrateur et de permettre la rencontre entre personnes de différentes origines. On le savait, certes, le système éducatif étant particulièrement compartimenté lui aussi, mais ce sondage en démontre une des conséquence directe: les électeurs belges moyens ne connaissent rien et se méfient grandement de la deuxième religion officielle du pays. On ne parle pas ici d’une communauté de quelques milliers d’individus, mais d’au moins 5% de notre population.
4) D’un autre côté, cette perception de l’incompatibilité des valeurs de l’islam avec les valeurs européenne rejoint là une perception aussi très présente chez les musulmans. A ce niveau, on pourrait même dire que la compréhension mutuelle est totale entre les communautés sur ce point : elles sont d’accord d’être en désaccord. Mais cela ne fait que mettre en lumière l’impérieuse nécessité d’investir dans des études, des recherches, des enquêtes journalistiques, des programmes télévisuels, des manuels éducatifs, réalisés par des équipes mixtes et pluridisciplinaires (non musulmans et musulmans ensemble) qui démontreraient que nos valeurs respectives ne sont pas incompatibles, et que bien au contraire, musulmans et non musulmans partagent les mêmes valeurs, mais qu’elles peuvent être hiérarchisées et/ou articulées de façon différente, voire parfois même de façon inaudible les uns pour les autres en fonction de l’époque et du contexte.
Revenant d’une rencontre mondiale à Doha des « leaders musulmans de demain » où nous avons précisément soulevé ces questions, il en ressort que cette thématique est transversale, mais que les points d’accord sont multiples et qu’une majorité des jeunes leaders communautaires musulmans présents étaient d’accord pour dire qu’il y avait une profonde unité des valeurs humaines entre l’islam et « l’Occident ».
Ainsi, alors que des musulmans issus du monde entier cheminent rapidement sur la voie d’un oecuménisme des valeurs en en reconnaissant les profondes résonances entre les civilisations, ce sondage démontre qu’il est plus que tant que les Belges non musulmans en fassent autant d’une part, et que les Belges musulmans redoublent d’efforts pour articuler leurs valeurs en fonction du contexte qui est désormais le leur et d’une manière qui parlent à nos concitoyens de toutes origine. Il en va, au fond, de la survie de l’islam en contexte sécularisé : seule les religions qui arrivent à s’adapter et à reformuler leurs objectifs, leur convictions, leurs principes et valeurs dans le langage du siècle ont survécu à travers l’histoire. Les musulmans ont su le faire par le passé. Il n’y a pas de raison qu’ils n’y arrivent plus maintenant. A ce propos, un sondage récent réalisé par Gallup dans les 10 pays musulmans comprenant 80% de la population musulmane mondiale démontre que ce que les valeurs « occidentales » que les musulmans estiment le plus et ce de façon très majoritaire sont: la liberté politique, la liberté, des systèmes judiciaires équitables, et la liberté de parole. A méditer. Voir ici.
Le dialogue est en conséquence une véritable urgence si l’on veut éviter que les fossés entre toutes composantes de la société belge ne se creusent plus encore.
Michael Privot
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