11.9.12

Réponse au Prof. Dassetto


Réponse à l’analyse du Prof. F. Dassetto, intitulée « Sharia4 … all, Éléments d’analyse et de réflexion à propos d’un groupe extrémiste »[1], juin 2012, série « Papers on-line » du CISMOC-IACCHOS.

En conclusion de son analyse sur l’émergence et le discours du groupuscule Sharia4Belgium – à laquelle nous souscrivons amplement – le Prof. F. Dassetto nous fait l’honneur de nous citer longuement à titre d’exemple de réflexion intra-communautaire en progrès sur cette question (pp. 26-28).

Nous souhaitons cependant réagir à certaines conclusions du Prof. F. Dassetto qui trahissent considérablement notre pensée et tendent à nous renvoyer dos-à-dos avec Sharia4Belgium, ce que nous ne pouvons décemment accepter.

Faisant référence à un texte que nous avions publié sur notre blog[2] quelques jours après l’arrestation à Molenbeek d’une personne portant le niqâb et membre de Sharia4Belgium, M. Dassetto tire les conclusions suivantes que nous résumerions comme suit :

1)   créditant de manière émotionnelle les accusations de Sharia4Belgium, nous prétendrions que la police serait « un ramassis d’islamophobes et de racistes » ;
2)   nous proposerions une analyse dialectique simpliste que nous pourrions cristalliser de la façon suivante : des discours politiques islamophobes entraînent des violences policières qui génèrent à leur tour une radicalisation du type Sharia4Belgium ;
3)  en conclusion de notre texte, nous nous désolidariserions subrepticement des valeurs de la démocratie libérale et rejoindrions le camp de Sharia4Belgium.

Délaissant l’approche analytique fine et argumentée caractérisant l’essentiel de son article, M. Dassetto fait preuve, subitement et à notre grande surprise, d’une lecture tronquée et désagréablement orientée, laissant de côté les conditionnels et nuances que nous n’avions pourtant pas manqué d’apporter à notre propos.

S’il apparaît que ce dernier n’a pas été exactement compris, nous tenons donc à apporter les indispensables clarifications suivantes :

1) Utilisant le style qui nous est propre mêlant sarcasme, provocation à visée maïeutique et éléments d’analyse, nous avons entouré la relation de l’arrestation de la personne portant le niqâb des conditionnels requis et avons souligné à cette occasion les possibles dérives « de certains éléments de la police bruxelloise ». Nous n’avons en aucun cas donné crédit inconditionnel aux graves accusations de cette personne, ni ne nous sommes fait l’avocat d’une prétendue essentialisation des forces de l’ordre comme une institution raciste.

2)  M. Dassetto semble ne pas prendre en compte dans son analyse l’expérience négative de nombreux musulmans avec les forces de l’ordre – ici et ailleurs. Or, il convient de ne pas ignorer que les péripéties de la personne portant le niqâb – tout invraisemblables qu’elles puissent paraître pour quelqu’un issu de la majorité – ressortent du domaine du vraisemblable pour de nombreux musulmans. Cela a d’ailleurs suscité une émotion intra-communautaire palpable, pourtant passée inaperçue pendant plusieurs jours aux yeux des décideurs politiques et de la plupart des analystes. Ce fait vaut donc la peine d’être pris comme hypothèse de départ valide pour une réflexion sur le lien de causalité potentielle entre renforcement du radicalisme et l’apparente incapacité des démocraties ouvertes et libérales à gérer certains types de contestation ou de comportements marginaux autrement que par la violence (physique, symbolique…).

3)  Le nœud de notre argument est en conséquence le suivant : dans sa conférence de presse à laquelle nous réagissions, M. Belkacem attaquait de front notre démocratie car faillant à ses propres normes. Or, dans une démocratie ouverte et libérale, le respect par elle-même – en toutes circonstances – des règles que elle s’impose est fondamental pour emporter l’adhésion et la confiance de tous. En particulier de celles et ceux marginalisés pour différentes raisons et qui ont le plus à craindre la toute puissance et l’arbitraire de l’Etat tels qu’ils peuvent s’exprimer notamment au travers de l’action des forces de l’ordre.
Dans ce contexte, le comportement de ces dernières doit être particulièrement exemplaire pour respecter leur rôle de gardiens de la démocratie et éviter de devenir de manière trop évidente les supplétifs du maintien de l’ordre bourgeois à l’encontre (de certains segments) des classes populaires.
Leur faillite renforce donc « le sentiment de victimisation, d’injustice et d’insécurité et ne contribue en rien à l’établissement d’une collaboration fructueuse et confiante entre les communautés musulmanes et la police ». Nous n’avons ainsi jamais conclu à une réduction des processus de radicalisation de certains jeunes à une cause unique et simpliste, à savoir la violence policière dont ils pourraient être les victimes. Ce n’est qu’un facteur parmi d’autres.

4) Nous tentons également d’éclairer pourquoi « certains éléments » des forces de l’ordre, comme certain(e)s simples citoyen(ne)s, peuvent perdre tout contrôle d’eux-mêmes en présence de femmes en niqâb et en venir à commettre différentes formes de violence dans une recherche de justice individuelle.  Renvoyant aux rares études sur ce sujet, nous posons que ce type de comportements n’apparaît pas ex-nihilo, mais est indirectement généré par un contexte discursif particulier, pré-datant le 11.09.2001 et renvoyant le musulman à une altérité irréductible.
Ce discours est porté tant par des politiciens en quête de notoriété facile qu’un certain nombre d’intellectuels et d’activistes de tous poils bénéficiant d’une large surface médiatique. M. Dassetto semble pourtant ignorer, voire nier, l’effet performatif négatif des discours de rejet assénés presque quotidiennement depuis plus de deux décennies. Nous affirmons au contraire que  vingt ans de débats – plus ou moins intellectuels – sur l’islam et les musulmans dans lesquels ceux-ci sont encore trop souvent les objets et insuffisamment les sujets, ont eu un impact extrêmement négatif sur les perceptions partagées par les membres de la communauté majoritaire vis-à-vis des communautés musulmanes. Anders Breivik figure une des conséquences concrètes extrêmes – et non plus seulement théoriques – de ces rhétoriques et discours.

5)  Effectivement, prenant acte du rapport de force politique en présence, et nous incluant pour le coup, en tant que démocrate, dans la minorité musulmane, nous admonestons dans notre conclusion les démocrates de la communauté majoritaire à revenir à l’esprit des démocraties ouvertes et libérales pour les sauver de la faillite, au risque de faire le lit de tous les extrêmes. Car, en effet, la responsabilité princeps du changement ne peut venir que de la majorité détenant l’essentiel des leviers de pouvoir politique, médiatique ainsi que du capital culturel et symbolique. La responsabilité des minorités est de se préparer à s’engager dans l’ouverture et d’aller de l’avant l’occasion se faisant.

Il va de soi qu’à aucun moment, nous ne nous distançons de ces valeurs libérales et démocratiques, bien au contraire.

Une lecture moins cursive de notre texte – en corrélation avec nos engagements dans la durée tels qu’exprimés au travers de notre blog – aurait permis au Prof. Dassetto d’arriver aisément à cette conclusion plutôt que de tenter de nous ranger du « côté obscur de la force » pour les besoins de sa propre argumentation, et ce à l’encontre même de la lettre et de l’esprit de notre texte.

Michael Privot,
Citoyen engagé, islamologue et musulman
30 août 2012

1 commentaire:

Godefroi de Bouillon tiède a dit…

Michaël Privot/Shari'a 4 Belgium même jihad ? Aouzoub'illah ! Vous cachiez bien votre jeu sous votre niqab Mr Privot !

Soyons sérieux... L'universitaire aurait au moins pu mentionner dans le détail le sévère tirage de barbichette que vous avez administré à ce groupuscule ici même:

http://xxiv-35.blogspot.be/2010/06/sharia4belgium-apories-mensonges-et-cie.html

Ou se pencher sur votre islam à vous, dont la spiritualité surplombe tranquillement celle de ces "ulémas" de bas étages improvisés et sans cultures ni contemporaines ni traditionnelles. Pour ce faire, il lira certainement avec intérêt votre « L’islam, une éthique pour aujourd’hui », Centre Maximilien Kolbe, Verviers, 21 novembre 2007, disponible à partir du lien suivant :

http://www.centremaximilienkolbe.be/index.php?option=com_content&view=article&id=37:qlislam-une-ethique-pour-aujourdhui-q-par-mr-privot-&catid=4:archives&Itemid=13

En revanche, petit bémol, je ne vois pas en quoi la police devrait cultiver de bonnes relations en direction d'une communauté de foi. Dans mon esprit prosaïquement républicain et universaliste, la police n'a pas à classifier son public à partir du facteur confessionnel. Elle doit contrôler et/ou arrêter la délinquance, quelle que soit l'origine du délinquant, qu'il fasse partie ou non d'une communauté dite "stigmatisée". Elle doit avoir toute latitude pour cela. En plus mélanger le facteur sécuritaire à celui du confessionnel nous ferait nécessairement prendre un pli cognitif (par association d'idées), qui finalement se retournerait contre votre combat antiraciste.

Pour terminer, "Shari'a 4 les C.A.P tourneurs-fraiseurs devenus ulémas" (alias "Shari'a4Belgium) est pour moi le produit du transnationalisme belliqueux du hanbalo-wahhabisme, mais certes mal-assimilé, et passé à la moulinette simplificatrice de leurs esprits binaires et quasi illettrés.

Amitiés

GdBt

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