2.7.13

"Tintin Nyssen Chez les Musulmans"


Lettre ouverte d’un concitoyen verviétois de confession musulmane à M. Didier Nyssen,
Conseiller Communal PS,
Ancien Echevin de l’éducation,

Cher Monsieur Nyssen,

Je vous aime. Je vous adore. Votre récente lettre ouverte à vos
(c) SudPresse

 « concitoyens de confession musulmane » m’a profondément ému par sa justesse, par sa simplicité, par, oserais-je même, la rusticité de son argumentation.


On reconnaît aisément le pédagogue qui a passé le plus clair de sa vie à se dévouer à l’éducation de ses semblables.

Point de circonvolutions langagières, point de ce double langage prisé par les élites socialistes qui fait comprendre une chose à son électorat issu de la diversité tout en affirmant le contraire auprès de ses ouailles les plus vindicatives en matière de tolérance philosophique. Pas de fard, pas de faux-semblants.

Je salue votre courage – ou votre infinie arrogance ? – de donner à voir de manière aussi décomplexée et condescendante la claustration idéologique et intellectuelle dans laquelle s’est enfermée depuis trop longtemps la majorité de votre parti, vous empêchant de penser le monde d’aujourd’hui et d’en relever les défis.

Mon fils ayant réussi son CEB, je me suis rendu au grand théâtre pour assister à la remise solennelle de son diplôme, cérémonie dont vous étiez d’ailleurs l’un des acteurs. J’ai été particulièrement frappé – et heureux –  de constater à vue d’œil que les élèves issus de la diversité constituaient au moins la moitié – si ce n’est plus, faute de statistiques appropriées – de la promotion de cette année.

Le contraste n’en était que plus frappant de voir que, face à cette jeunesse diverse et bigarrée, sans complexe par rapport à sa propre diversité, ne se trouvait qu’un panel très « blanc » et post-quadra pour leur remettre leurs diplômes. Une image saisissante du contraste entre l’idéologie sous-jacente de cette laïcité particulière que vous revendiquez et la réalité de cette jeunesse déjà dans une autre représentation du monde. Un monde où les lignes de fracture ne sont pas entre qui porte le foulard, la kippa ou le patka et qui ne le porte pas, mais entre qui a accès au wifi et à un compte twitter ou pas, ou encore – vu la crise – qui peut partir en vacances au-delà des collines de Verviers ou pas.

En deux mots, vous avez raté le train de l’histoire en restant coincé dans un combat du siècle dernier pour la décléricalisation de la société. Si ce combat fut méritoire et utile pour créer un magnifique espace de liberté dont nous jouissons tous aujourd’hui, vouloir lui amalgamer la question des signes convictionnels au sein de nos société sécularisée est simplement anachronique et démontre une grande pauvreté d’analyse des dynamiques à l’œuvre dans nos sociétés depuis les années 70. Il est urgent de faire une mise à jour de votre logiciel de référence.

Ainsi, votre lettre regorge de perles mettant en valeur votre condescendance, votre paternalisme et votre satisfaction de soi. En voici quelques unes pour la route, où je vous cite en assortissant vos propos de quelques commentaires du cru :

a)    « Comme vous pouvez l’imaginer, il ne s’agissait pas pour nous de danser comme siffle le MR, mais bien de donner un signe fort des limites que nous imposent nos convictions laïques quant à la présence des phénomènes religieux dans la sphère publique. » 

Merci de reconnaître enfin que votre combat est purement idéologique et qu’il ne relève pas d’un état de nature de la société belge. En quelques mots, ce sont « vos convictions laïques » contre les convictions de vos concitoyens musulmans. Il s’agit bien là d’un rapport de force, rien de plus.
Je vous remercie au passage de faire main basse sur la revendication de « laïcité ». Peut-être vous apprendrais-je qu’il n’y a pas qu’une seule façon de comprendre la laïcité et qu’existent d’autres approches, tout aussi laïques que la vôtre, mais bien moins exclusivistes. Enfin, je souhaiterais vous informer que l’école ne fait pas partie, à proprement parler, de la « sphère publique » comme vous semblez le considérer. L’école est un espace public, nuance de taille, mais qui semble vous échapper.

b)    « L’histoire de l’Europe depuis la Révolution française, comme celle des mouvements progressistes, nous enseignent que la séparation des églises et de l’état reste le meilleur gage de la cohabitation pacifique entre les différents courants philosophiques qui partagent un même territoire. »
Comme vous y allez ! Quelle soupe ! Juste une petite piqûre de rappel à propos de l’histoire de l’Europe : il n’y pas de séparation de l’église et de l’état en Angleterre, au Danemark et en Suède pour ne citer que ces pays. A ma connaissance, ils ne sont pas à feu et à sang. Verviers n’est pas le centre du monde Mr Nyssen !
Si je vous rejoins tout à fait sur les bénéfices d’une séparation claire de l’église et de l’Etat, expliquez-moi cependant comment vous passez du principe d’une séparation de l’église et de l’Etat au fait d’exclure les signes « ostentatoires » de l’école. Les signes ne sont, ni ne représentent des églises et une salle de classe n’est pas l’Etat mais un espace public organisé par l’Etat. Enfin, on parle de séparation de l’église, en tant que structure de pouvoir et organisation sociale, et de l’Etat, et non de séparation de la religion et de l’Etat. Manifestement, votre longue carrière dans le noble effort de vulgarisation des connaissances vous a amené à confondre vulgarisation et simplisme.
c)    « Croire que les convictions religieuses peuvent être brandies comme autant d’étendards qui indiqueraient la manière d’organiser nos sociétés civiles constituerait une position archaïque, démentie par l’Histoire. Pour nous, Belges de toutes convictions, la séparation des pouvoirs et la neutralité de l’état sont des principes inscrits dans la Constitution. »
Quel souffle ! Mais de quoi parle-t-on ? D’une contre-révolution conservatrice en marche ? Calmez-vous Mr Nyssen, il ne s’agit que de quelques foulards ! Descendez de vos grands chevaux dignes du temps des colonies.
Jusqu’au jour d’aujourd’hui, en dehors de quelques pays européens, l’Histoire n’a nullement démenti le potentiel organisateur des convictions religieuses quand il s’agit de faire société. Les Etats-Unis en sont un brillant exemple dont vous feriez bien de prendre graine, au lieu de vous ériger en donneur de leçon en matière d’archaïsme ou de modernité. Quant à ce « nous, Belges de toutes convictions », vous y faites rentrer qui exactement ? Je me questionne encore comment une personne aussi sensible que vous à la nécessité du vivre ensemble, a pu se rabaisser à utiliser un langage aussi polarisant. Une véritable éloge au communautarisme de la majorité, au communautarisme blanc, essentialisant l’autre dans son statut d’Autre, d’étranger, du non-nous. Merci pour votre violence. Si les mots tuent, celui-ci, sous votre plume, vient de faire un sérieux carnage. Faut-il comprendre que les musulmans sont d’office « non-belges » ? Merci de nous « dés-intégrer » alors que nous faisons partie intégrante de la communauté nationale !
d)    « Remettre cela en cause en s’arc-boutant à un symbole favoriserait la montée des positions les plus dures dans des revendications antagonistes qui ne pourront de toute façon pas être satisfaites… Le bien vivre ensemble passe inévitablement par des concessions qui ne peuvent pas être à sens unique. »
Je reste pantois devant une cécité telle que la vôtre. Vous reprochez à certains musulmans de s’arc-bouter à un symbole. Si cela est incontestable, il n’en reste pas moins que vous vous arc-boutez pareillement sur le même symbole pour partir dans la direction opposée. Cet effet miroir est saisissant – et troublant. D’autant que vous concluez votre paragraphe sur la nécessité de concessions réciproques pour favoriser le vivre ensemble. Si je ne peux être plus d’accord avec vous sur ce point, ce dernier devient une supercherie dans votre lettre. Mais quelles concessions l’enseignement communal a-t-il fait Mr Nyssen en matière de diversité, sous votre propre houlette ou celle de vos prédécesseurs ? Aucune approche de la diversité dans les écoles communales alors que tant de choses seraient à faire avec les tous petits ; aucune reconnaissance des fêtes culturelles des communautés qui composent la mosaïque verviétoise, alors que certaines communautés d’origine non européenne sont présentes depuis plus d’un demi-siècle !!! Quasi aucun enseignant issu de la diversité au sein du personnel communal, alors que Verviers est une « minority-majority city » depuis bien longtemps ; aucune politique collective en matière de cantine adaptée, de la prononciation correcte des prénoms des enfants, de prise en compte des jours de fêtes religieuses des différentes communautés ; aucun cours de mise à niveau en français pour les jeunes étrangers qui débarquent dans nos classes… Et je pourrais encore continuer la liste longtemps ! Le sens unique, il existe bel et bien, Mr Nyssen, mais pas dans le sens de « votre » côté vers les communautés de la diversité, mais dans le sens inverse, alors que tous ces gens contribuent pareillement à la richesse de notre ville, travaillent, et payent des impôts. Que dire encore de cette initiative de visite des lieux de culte verviétois portée par vos enseignants que vous auriez apparemment sabordée ?
Osez donc détailler publiquement, au-delà de votre slogan à l’emporte-pièce, les actions « diversité » entreprises par la ville en matière d’enseignement qui justifieraient votre perception d’un « sens unique ».
e)    « A ceux-là, je demande que leur lecture du Coran mettent en avant le respect de tout être humain quelle que soit sa religion »
Outre votre saillie par laquelle vous rendez les musulmans responsables de la montée de l’islamophobie faute de suffisamment combattre les islamistes – un poncif de l’islamophobie de gauche – voici certainement la perle des perles de votre lettre ouverte. Là, je vous tire mon chapeau bien bas. Clore un cours magistral sur la séparation de l’église et de l’Etat comme valeur clé de la belgitude, en nous gratifiant, en tant que CONSEILLER COMMUNAL, de tuyaux sur la façon de lire et de comprendre le Coran, il fallait oser le faire. En bref, la séparation de l’église et de l’Etat n’est qu’un élément de langage auquel vous ne croyez pas une seconde, puisque vous n’hésitez pas vous-mêmes à faire intervenir la religion, voire pire, à intervenir dans la religion de vos concitoyens pour parvenir à vos fins politiques.
Ayez la décence de garder vos leçons pour vous, Mr Nyssen. Votre lettre ouverte s’inscrit dans cet interminable chant du cygne de cette gauche paternaliste et bêtement anticléricale au sein de laquelle vous semblez vous complaire. Au lieu de tirer les leçons de manière digne et informée de votre déconfiture électorale, vous persistez dans l’approche aigrie et revancharde qui vous a conduits où vous êtes aujourd’hui. Je ne peux que déplorer ce gâchis d’intelligence et d’expérience qui s’interdit de penser une gauche pluraliste, ouverte et inclusive qui sait faire Belgique de tout bois pour un meilleur avenir pour tous.
A l’heure où la ville de Gand, qui s’enorgueillit, elle, d’être une Ville active contre le racisme, choisit de mettre en pratique une approche progressiste et inclusive de la plus grande diversité, votre décision d’interdire les signes religieux dans l’espace public n’en paraît que plus myope, rabougrie et déconnectée du réel.
Oui, une autre gauche, confiante, créatrice et volontariste est possible. Manifestement, ce n’est pas celle de votre choix.
Si d’aventure, cette expérience vous amenait à délaisser la vie politique faute d’en saisir encore les enjeux, sachez que nous serions heureux de vous accueillir pour une carrière de moufti. Vous semblez avoir des prédispositions.

Sincèrement vôtre,
 Michael Privot
Post-scriptum : l’auteur de ces lignes s’oppose sans hésitation aucune au port du foulard pour les élèves de l’enseignement primaire. Il s’élève contre l’argumentaire de Mr Nyssen qui articule une interdiction généralisée des signes convictionnels dans la sphère publique – ce que nous ne pouvons accepter au nom des principes d’égalité et de non-discrimination. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quand je pense à mes études ... Je revois ce genre de professeurs ...ou plutôt pseudo professeur... La compréhension que nous sommes des subalternes ...
Que nous ne méritions pas de faire des études car nous n'étions pas " belges " et encore moins chrétiens...
Retournez faire des études monsieur Nyssen... Sainte-Marie en 3 ans... Cela ne s'appelle pas être professeur mais profiteur du système ... Avec vos convictions et perceptions... Administrateurs, mandats ... C'est l'hôpital qui se moque de la charité !!!

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