Le développement d’un programme de
coalition gouvernementale au niveau fédéral belge n’est jamais une partie de
plaisir. Aujourd’hui pourtant, le travail devrait être plus facile : seuls
des partis de droite siègent à la table des négociations. Au moins
partagent-ils un référentiel idéologique commun, l’essentiel du débat entre eux
étant plutôt le degré de libéralisation à appliquer à chaque question, ou
encore jusqu’à quel point convient-il de privilégier le sécuritaire face au
social.
A l’heure
de la rentrée académique et politique, au moment où les négociations
gouvernementales entrent véritablement dans le vif du sujet en matière de
justice et d’intérieur, il n’est donc pas inutile de revenir sur certains
événements qui ont agité l’opinion au cours de ce mois d’août, en particulier
la question des exactions commises par l’Etat islamique en Irak et au Levant
(EIIL) et ses corollaires : les exigences de justification de la part des
musulmans de Belgique, le « boom » des jihadistes « maison »,
etc.
L’association
« Empowering Belgium Muslims » (EmBeM asbl) est un collectif national
rassemblant des citoyen-ne-s belges de confession et/ou de culture musulmane,
de Bruxelles, Flandre et Wallonie. Tou-te-s sont des professionnel-le-s engagé-e-s :
entrepreneurs, consultants, chercheurs, fonctionnaires, commerçants, artistes,
cadres, des plus jeunes, diplômé-e-s ou non, jusqu’aux quadras. Toutes et tous
se lèvent chaque matin en ayant pour ambition que notre pays, la Belgique, soit
meilleure pour tous chaque jour que fait le Seigneur : qu’elle soit plus
forte, plus inclusive, plus compétitive, plus résiliente, plus solidaire et
moins inégalitaire.
Toutes et
tous contribuent à faire croître la richesse nationale et à payer nos dettes
collectives. Mais ils et elles ne s’arrêtent pas là : elles/ils sont aussi
volontaires, engagé-e-s dans de multiples associations de terrain : qui,
par une école de devoirs, permet à des jeunes de réussir leur scolarité,
compensant les déficits de notre système éducatif ; qui, par une
association de proximité, allège la souffrance et la misère de ses concitoyens
en apportant nourriture et produits de première nécessité ; qui, par une
association cultuelle, permet à de nombreux coreligionnaires de faire le pont
entre leur spiritualité et leur vie quotidienne au service de tous.
Nous
sommes plus d’une centaine déjà, et nous ne faisons que commencer. Les plus
conscientisé-e-s et les plus mobilisé-e-s nous ont déjà rejoints. Au-delà de
nos différences, nous partageons au moins une chose en commun : nous en
avons assez que l’on nous demande de nous justifier, de condamner ceci ou cela,
un tel ou une telle parce que musulman. L’EIIL, al-Qaida et tous leurs suppôts
et leurs affidés ne nous représentent pas. Nous n’avons rien à voir avec ces
gens qui prétendent parler et agir au nom d’une foi que nous partageons.
Mais nous
ne sommes pas naïfs. Nous comprenons fort bien la logique de ce rappel à
l’ordre constant : c’est un outil de domination. On nous rappelle que nous
sommes une minorité, voire des mineur-e-s dont on pourrait disposer à l’envi
pour bâtir carrière politique, médiatique ou encore pour faire adéquatement
diversion quand sont mis en pièces, en catimini, nombre de conquêtes sociales
qui permettaient aux plus fragiles de tenir jusqu’au lendemain, etc.
Nous
avons, quant à nous, assez de savoir-vivre pour ne pas exiger de nos concitoyens
de confession ou de culture (judéo-)chrétienne qu’ils condamnent tout acte de
barbarie à l’encontre de nos coreligionnaires avant de traiter avec eux. Les
musulmans belges n’ont pas exigé de Monseigneur Léonard qu’il condamne les
actes d’anthropophagie à l’encontre des musulmans tels qu’il y en a eu, il y a
quelques mois, en Centrafrique. Nous
savons, nous, que la barbarie est universelle et qu’elle se parera de n’importe
quelle référence idéologique, politique, scripturaire ou théologique pour
justifier le pire. Ni que personne n’a le monopole dans la moralité en la
matière. Les excuses pour la colonisation, les guerres de décolonisation, les mensonges
ayant mené à la guerre en Irak et aux massacres de centaines de milliers de
personnes innocentes pour rien se font toujours attendre. A ce petit jeu-là,
personne ne sort gagnant, ni grandi. Certainement pas celles et ceux qui,
aujourd’hui, se drapent dans de nobles idéaux pour cacher leur incapacité à
élaborer de véritables solutions politiques à l’effondrement du Moyen-Orient
tel que dessiné par les puissances européennes après 14-18 et ses terribles
conséquences.
A EmBeM,
notre projet est différent : nous partons des richesses de nos
communautés. Nous avons des savoir-faire, des talents, de l’énergie, de la
jeunesse et une envie folle d’améliorer notre situation à tou-te-s. Nous
croyons en l’avenir. Nous recréons des liens sociaux, nous fournissons des
formations aux acteurs associatifs, nous organisons des rencontres pour
partager nos savoirs et faire en sorte que, dans le long terme, la situation de
nos jeunes s’améliore sensiblement, et qu’ils sentent enfin, qu’ils sont bien des
enfants de cette nation, comme tous les autres. C’est loin d’être le cas. Et
nous n’avons que nos moyens et des journées de 24h.
Aujourd’hui,
les négociateurs de la future coalition gouvernementale s’apprêtent à adopter
des mesures pour traiter le problème de ces « jihadistes » qui
cherchent à rejoindre l’EIIL.
Sans
surprise, on aura droit à un train de mesures sécuritaires et répressives. Il
en faut, sans aucun doute, car ces gens sont un danger pour tout le monde, en
particulier pour les musulman-e-s comme nous, considéré-e-s comme traitres à la
cause, car trop enclin-e-s au dialogue.
Mais le
répressif, n’est qu’un aspect de la question. Notre analyse, malheureusement,
c’est que nous sommes partis pour au moins une, voire deux, décennies de crise.
D’un côté,
l’Europe s’effondre et l’austérité frappe de plein fouet les plus fragiles.
Parmi eux, beaucoup de jeunes musulman-e-s, confrontés au même « no
future » que toute notre jeunesse, avec le facteur aggravant que la
discrimination à laquelle ils font face sur le marché du travail est 2 à 6 fois
plus importante que celles de leurs copains blancs, non-musulmans. L’austérité
provoque un raidissement identitaire au sein de la population majoritaire qui
se traduit par une augmentation lente, mais continue, des violences physiques
et verbales envers nos communautés. La haine anti-arabe et anti-musulmane sur
les réseaux sociaux est en augmentation constante et s’exprime librement.
De l’autre
côté, l’EIIL jouit d’un fort pouvoir d’attraction, sait communiquer et a beau
jeu de se présenter comme la solution à tous les problèmes des musulmans, y
compris en Europe. Il se pose en modèle de société messianique qui, une fois tous
les ennemis vaincus, établira la vraie justice sur terre.
Une
machine infernale a ainsi été mise en place. L’incapacité, ou l’absence de
volonté de nos gouvernements successifs de travailler à l’inclusion de leur
jeunesse de confession et/ou culture musulmane depuis plus de 30 ans, a créé un
tel abysse de désespoir qu’il vaut mieux pour certain-e-s mourir au combat à la
poursuite d’une chimère, que de mourir socialement, spirituellement,
économiquement, à petit feu, au sein d’une Europe qui s’écroule sous les coups
de boutoirs du capitalisme financiarisé et qui se refuse à les reconnaître comme
ses enfants légitimes.
A EmBeM,
nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de fatalité à cela et que nous pouvons
changer le cours des choses. Nous sommes des partenaires de cette bifurcation.
Nous avons
élaboré un catalogue de recommandations politiques concrètes, du court terme au
long terme. Nous sommes prêts à rencontrer les négociateurs pour leur faire
part de nos solutions en vue d’éviter le pire et de remettre les choses en
ordre de marche.
Nous
sommes convaincus, que sans le minimum que nous présentons, pas de salut. Il
faut de l’ambition et de l’énergie. Nous tendons la main, une fois de plus. Il
y aura-t-il, chez nos dirigeants, quelqu’un pour la saisir et enclencher,
enfin, un cercle vertueux de coopération ? Mesdames et Messieurs nos
représentants, la balle est dans votre camp, car nous sommes loin « d’être
sortis de l’auberge ».
Michael Privot
Vice-Président de
EmBeM asbl
« Empowering
Belgian Muslims »