10.9.14

EIIL, al-Qaïda… au-delà des justifications, des solutions !

EIIL, al-Qaïda… au-delà des justifications, des solutions !


Le développement d’un programme de coalition gouvernementale au niveau fédéral belge n’est jamais une partie de plaisir. Aujourd’hui pourtant, le travail devrait être plus facile : seuls des partis de droite siègent à la table des négociations. Au moins partagent-ils un référentiel idéologique commun, l’essentiel du débat entre eux étant plutôt le degré de libéralisation à appliquer à chaque question, ou encore jusqu’à quel point convient-il de privilégier le sécuritaire face au social.

A l’heure de la rentrée académique et politique, au moment où les négociations gouvernementales entrent véritablement dans le vif du sujet en matière de justice et d’intérieur, il n’est donc pas inutile de revenir sur certains événements qui ont agité l’opinion au cours de ce mois d’août, en particulier la question des exactions commises par l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et ses corollaires : les exigences de justification de la part des musulmans de Belgique, le « boom » des jihadistes « maison », etc.

L’association « Empowering Belgium Muslims » (EmBeM asbl) est un collectif national rassemblant des citoyen-ne-s belges de confession et/ou de culture musulmane, de Bruxelles, Flandre et Wallonie. Tou-te-s sont des professionnel-le-s engagé-e-s : entrepreneurs, consultants, chercheurs, fonctionnaires, commerçants, artistes, cadres, des plus jeunes, diplômé-e-s ou non, jusqu’aux quadras. Toutes et tous se lèvent chaque matin en ayant pour ambition que notre pays, la Belgique, soit meilleure pour tous chaque jour que fait le Seigneur : qu’elle soit plus forte, plus inclusive, plus compétitive, plus résiliente, plus solidaire et moins inégalitaire.

Toutes et tous contribuent à faire croître la richesse nationale et à payer nos dettes collectives. Mais ils et elles ne s’arrêtent pas là : elles/ils sont aussi volontaires, engagé-e-s dans de multiples associations de terrain : qui, par une école de devoirs, permet à des jeunes de réussir leur scolarité, compensant les déficits de notre système éducatif ; qui, par une association de proximité, allège la souffrance et la misère de ses concitoyens en apportant nourriture et produits de première nécessité ; qui, par une association cultuelle, permet à de nombreux coreligionnaires de faire le pont entre leur spiritualité et leur vie quotidienne au service de tous.

Nous sommes plus d’une centaine déjà, et nous ne faisons que commencer. Les plus conscientisé-e-s et les plus mobilisé-e-s nous ont déjà rejoints. Au-delà de nos différences, nous partageons au moins une chose en commun : nous en avons assez que l’on nous demande de nous justifier, de condamner ceci ou cela, un tel ou une telle parce que musulman. L’EIIL, al-Qaida et tous leurs suppôts et leurs affidés ne nous représentent pas. Nous n’avons rien à voir avec ces gens qui prétendent parler et agir au nom d’une foi que nous partageons.

Mais nous ne sommes pas naïfs. Nous comprenons fort bien la logique de ce rappel à l’ordre constant : c’est un outil de domination. On nous rappelle que nous sommes une minorité, voire des mineur-e-s dont on pourrait disposer à l’envi pour bâtir carrière politique, médiatique ou encore pour faire adéquatement diversion quand sont mis en pièces, en catimini, nombre de conquêtes sociales qui permettaient aux plus fragiles de tenir jusqu’au lendemain, etc.

Nous avons, quant à nous, assez de savoir-vivre pour ne pas exiger de nos concitoyens de confession ou de culture (judéo-)chrétienne qu’ils condamnent tout acte de barbarie à l’encontre de nos coreligionnaires avant de traiter avec eux. Les musulmans belges n’ont pas exigé de Monseigneur Léonard qu’il condamne les actes d’anthropophagie à l’encontre des musulmans tels qu’il y en a eu, il y a quelques mois, en Centrafrique. Nous savons, nous, que la barbarie est universelle et qu’elle se parera de n’importe quelle référence idéologique, politique, scripturaire ou théologique pour justifier le pire. Ni que personne n’a le monopole dans la moralité en la matière. Les excuses pour la colonisation, les guerres de décolonisation, les mensonges ayant mené à la guerre en Irak et aux massacres de centaines de milliers de personnes innocentes pour rien se font toujours attendre. A ce petit jeu-là, personne ne sort gagnant, ni grandi. Certainement pas celles et ceux qui, aujourd’hui, se drapent dans de nobles idéaux pour cacher leur incapacité à élaborer de véritables solutions politiques à l’effondrement du Moyen-Orient tel que dessiné par les puissances européennes après 14-18 et ses terribles conséquences.

A EmBeM, notre projet est différent : nous partons des richesses de nos communautés. Nous avons des savoir-faire, des talents, de l’énergie, de la jeunesse et une envie folle d’améliorer notre situation à tou-te-s. Nous croyons en l’avenir. Nous recréons des liens sociaux, nous fournissons des formations aux acteurs associatifs, nous organisons des rencontres pour partager nos savoirs et faire en sorte que, dans le long terme, la situation de nos jeunes s’améliore sensiblement, et qu’ils sentent enfin, qu’ils sont bien des enfants de cette nation, comme tous les autres. C’est loin d’être le cas. Et nous n’avons que nos moyens et des journées de 24h.

Aujourd’hui, les négociateurs de la future coalition gouvernementale s’apprêtent à adopter des mesures pour traiter le problème de ces « jihadistes » qui cherchent à rejoindre l’EIIL.

Sans surprise, on aura droit à un train de mesures sécuritaires et répressives. Il en faut, sans aucun doute, car ces gens sont un danger pour tout le monde, en particulier pour les musulman-e-s comme nous, considéré-e-s comme traitres à la cause, car trop enclin-e-s au dialogue.

Mais le répressif, n’est qu’un aspect de la question. Notre analyse, malheureusement, c’est que nous sommes partis pour au moins une, voire deux, décennies de crise.

D’un côté, l’Europe s’effondre et l’austérité frappe de plein fouet les plus fragiles. Parmi eux, beaucoup de jeunes musulman-e-s, confrontés au même « no future » que toute notre jeunesse, avec le facteur aggravant que la discrimination à laquelle ils font face sur le marché du travail est 2 à 6 fois plus importante que celles de leurs copains blancs, non-musulmans. L’austérité provoque un raidissement identitaire au sein de la population majoritaire qui se traduit par une augmentation lente, mais continue, des violences physiques et verbales envers nos communautés. La haine anti-arabe et anti-musulmane sur les réseaux sociaux est en augmentation constante et s’exprime librement.

De l’autre côté, l’EIIL jouit d’un fort pouvoir d’attraction, sait communiquer et a beau jeu de se présenter comme la solution à tous les problèmes des musulmans, y compris en Europe. Il se pose en modèle de société messianique qui, une fois tous les ennemis vaincus, établira la vraie justice sur terre.

Une machine infernale a ainsi été mise en place. L’incapacité, ou l’absence de volonté de nos gouvernements successifs de travailler à l’inclusion de leur jeunesse de confession et/ou culture musulmane depuis plus de 30 ans, a créé un tel abysse de désespoir qu’il vaut mieux pour certain-e-s mourir au combat à la poursuite d’une chimère, que de mourir socialement, spirituellement, économiquement, à petit feu, au sein d’une Europe qui s’écroule sous les coups de boutoirs du capitalisme financiarisé et qui se refuse à les reconnaître comme ses enfants légitimes.

A EmBeM, nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de fatalité à cela et que nous pouvons changer le cours des choses. Nous sommes des partenaires de cette bifurcation.

Nous avons élaboré un catalogue de recommandations politiques concrètes, du court terme au long terme. Nous sommes prêts à rencontrer les négociateurs pour leur faire part de nos solutions en vue d’éviter le pire et de remettre les choses en ordre de marche.

Nous sommes convaincus, que sans le minimum que nous présentons, pas de salut. Il faut de l’ambition et de l’énergie. Nous tendons la main, une fois de plus. Il y aura-t-il, chez nos dirigeants, quelqu’un pour la saisir et enclencher, enfin, un cercle vertueux de coopération ? Mesdames et Messieurs nos représentants, la balle est dans votre camp, car nous sommes loin « d’être sortis de l’auberge ».


Michael Privot
Vice-Président de EmBeM asbl

« Empowering Belgian Muslims »

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