Ce mercredi 18 mars, le ministre de l'Enseignement supérieur et des Médias Jean-Claude Marcourt a lancé officiellement sa commission "chargée de faire des propositions en vue de favoriser le développement et la reconnaissance d'un islam moderne en Fédération Wallonie-Bruxelles", selon une dépêche Belga.
Si l'on peut se féliciter de la présence de profils intéressants au sein de la Commission qui peuvent faire espérer de l'obtention de quelques résultats intéressants, ou à tout le moins d'éviter les écueils les plus flagrants inhérents à ce genre d'exercice, il n'en reste pas moins que les premiers éléments publics de la feuille de route confiée à cette Commission sont loin d'être encourageants.
Alors que le projet porte bien sur la reconnaissance d'un "islam moderne en FWB", le Ministre Marcourt souhaite déjà voir "émerger l'équivalent en Fédération de l'institut du monde arabe à Paris".
Source: content.time.com(c)
Sans rigoler !!! Le Ministre Marcourt a-t-il des informations spécifiques qui lui permettent d'affirmer que l'IMA a joué un rôle quelconque dans le développement et la reconnaissance d'un islam moderne en France? Il est affligeant de constater que le porteur politique du projet peine encore à faire la différence entre arabité, culture arabe et islam.
Si l'IMA joue indéniablement un rôle culturel de premier plan sur la scène parisienne, il n'est jamais intervenu sur la formation, l'encadrement, le développement d'un islam de France. Une méprise qui en dit long.
On espère que que la volonté du Ministre Marcourt ne se limite pas à l'érection à moyen terme d'un beau joujou architectural sur lequel il pourra apposer une plaque commémorative à sa gloire personnelle, mais ne sera d'aucune utilité pour le projet visé.
Autre sujet d'inquiétude, la dépêche Belga rapporte qu'il "entend expliquer sa démarche auprès des ambassadeurs du Maroc et de Turquie dont il sollicite le soutien. "L'ambition est de permettre à la deuxième et troisième génération ainsi qu'aux convertis de prendre leur destin en main"".
Vous avez bien lu: solliciter le soutien. Le Maroc et la Turquie pourrissent le dossier de l'islam de Belgique, avec la complicité bienveillante de tous les ministres en charge des Cultes, de gauche, de droite et centristes (ainsi que de leurs gouvernements) qui se sont succédés depuis 1974. Le meilleur moyen d'enterrer tout projet de réforme, ou d'émergence d'un islam belge, c'est bien de donner un droit de regard (pour ne pas dire de préemption) sur le projet, au travers d'un soutien de la Turquie et du Maroc - soutien qui sera loin d'être sans contrepartie. Le nouvel Exécutif des Musulmans de Belgique n'est d'ailleurs que le résultat d'une "entente cordiale" à huis clos entre le Maroc, la Turquie et la Belgique, réalisée dans le dos des musulmans de Belgique, dégoûtés et démotivés par les années de tractations, de guerre de tranchées qui ont mené à cet équilibre où chacun préserve ses prébendes et ses "droits de tirage" sur ses communautés diasporiques respectives.
Pour être bien sûrs de ne rien laisser au hasard, un vent favorable nous rapporte qu'un accord tacite existerait entre "Marocains" et "Turcs" au sein de l'EMB pour que l'actuel président, M. Smaïli, cède sa place à mi-mandat pour un "Turc". Bravo l'islam de Belgique.
Mais le Ministre Marcourt n'a pas peur d'enfiler les contradictions, démontrant sa profonde maîtrise du dossier: à l'heure où les 2ème et 3ème G sont de moins en moins enclines à prêter allégeance au pays d'origine de leurs parents en matière de culte, le Ministre Marcourt va demander le soutien de ces derniers pour aider ces 2ème et 3ème G de prendre leur destin en main - ainsi que les convertis! Mais qu'est-ce que nous avons à faire de la façon dont ces pays organisent leur islam, ou encore de leurs recettes inadaptées à notre réalité ?
De la même manière, il semblerait que le Ministre Reynders soit intéressé par la formation des imâms au Maroc, comme modèle de modération et de sagesse, pour lutter contre la radicalisation. Quelqu'un l'a-t-il informé que plus de 3000 Marocains, supposément encadrés par leurs imâms sociologues et bienveillants, ont déjà rejoint Daesh? Que l'essentiel du contingent des jihadistes européens (en tous cas pour la France, la Belgique, les Pays-Bas) sont issus des communautés d'origine marocaine (etmaghrébines), supposément encadrées également par des imâms formés "au bled". Comme c'est rassurant.
Ces éléments démontrent à quel point la perception politique de la problématique est en décalage avec les réalités et les besoins du terrain. Je fais voeux que la "Commission Marcourt" ne confirmera pas ces généralisations à l'emporte-pièce et qu'elle saura être véritablement indépendante, productrice de recommandations fortes, en rupture avec cette approche "romantique" du futur de l'islam de Belgique.
On a déjà perdu 2 générations, on ne peut pas se permettre d'en perdre une troisième!
PS: Par contre, un petit tour du côté de l'Indonésie (la plus grande démocratie pluraliste à majorité musulmane), cela ne ferait pas de mal... Là, pour le coup, on trouve des initiatives intéressantes qui pourraient inspirer adéquatement les réflexions de nos décideurs.
Le 27 janvier 2015, le Soir informait en exclusivité du lancement de « Convergences musulmanes de Belgique contre la radicalisation et pour la citoyenneté » : une initiative qui rassemble le plus grand nombre jamais atteint d’organisations et de personnalités musulmanes de Belgique autour de ces questions, au-delà de leurs différences ethnoculturelles, politiques, religieuses, théologiques, juridiques... Au final, plus de 80 organisations et presque autant de personnalités ont signé cette déclaration, s’engageant à répondre à l’exigence de responsabilité communautaire et sociétale pour développer des solutions effectives au phénomène de l’extrémisme violent qui traverse nos sociétés en général, et certains secteurs des communautés musulmanes belges en particulier.
De manière globale, les médias belges et étrangers qui ont répercuté cette initiative l’ont fait d’une manière objective et constructive, mettant en avant les défis et les questions que soulève l’opérationnalisation d’une telle déclaration, au-delà du fait – majeur en soi – que cette déclaration démontrait une volonté partagée de la société civile belge de confession musulmane d’être un partenaire responsable des autorités dans la lutte contre les causes profondes de cette crise.
Dans le but d’alimenter la polémique, un topos bien connu de la sphère médiatique (surtout ne pas laisser croire que la moindre initiative pourrait rester sans dissidence !), certains médias ont choisi d’accorder une attention disproportionnée à Hamid Bénichou, planton dans un commissariat de l’avenue de Roodebeek, et responsable d’un réseau d’associations au statut assez imprécis : « Maison inter-citoyenne vivre-ensemble », « Espace Intercommunautaire » ou encore, depuis ce mardi 10 mars 2015, l’« Initiatives citoyennes pour un Islam de Belgique (ICIB) » (Apparemment, son appel à rassemblement du 31 janvier semble rester sans suite à ce jour).
M. Bénichou a très vite émis un fatras de critique à l’encontre de « Convergences » et d’EmBeM – Empowering Belgian Muslims asbl – l’organisation à l’origine de cette initiative originale. On pense ici au Vif-L’Express (6 mars 2015), à la Libre Belgique (qui lui a donné plusieurs fois la parole les 31/01 ; 04 et 15/02), à M Belgique (6 février), au Peuple.be ou encore plus récemment, sur un sujet connexe, la RTBF.be (6 mars).
Il est évident qu’il ne me vient nullement à l’esprit de mettre en question la nécessité d’un débat contradictoire entre tous les acteurs de la société, comme condition sine qua non de l’obtention de positions équilibrées qui permettent de prendre en compte le maximum de facteurs et d’intérêts. Mais pour que débat démocratique il y ait, encore faut-il que celui-ci soit correctement nourri et que tous les interlocuteurs soient passés au crible d’une critique identiquement non complaisante et que leurs dires soient recoupés. Je suppose que l’on discute ici des fondements mêmes d’un journalisme et d’une presse de qualité comme principe vital de notre démocratie.
Or, si votre serviteur est l’objet d’une attention particulièrement scrutatrice des médias, il n’en va objectivement pas de même pour celles et ceux que certains médias cooptent à la fonction de « bonne conscience critique de la communauté musulmane ». Hamid Bénichou bénéficie ainsi d’une telle mansuétude, et pourtant son parcours, ses positions et ses propos mériteraient un examen minutieux ainsi que d’être largement recoupés d’après d’autres sources et relativisés en conséquence.
Vous voulez des exemples ? En voici quelques-uns pour la route…
A) Dans une interview hagiographique réalisée, sans surprise, par le CCLJ le 1er juillet 2014, Hamid Bénichou se présente comme un opposant au FLN (Front de Libération Nationale algérien), alors que son parcours associatif à l’époque en tant qu’amicaliste ainsi que son intention de faire une carrière dans la diplomatie algérienne au temps du parti unique démontrent plutôt une allégeance inconditionnelle au régime en place et une relation, disons, distendue avec les valeurs démocratiques à un moment donné de son parcours. Cela semble en effet corroboré par un témoignage de l’époque par un chercheur indépendant sur les communautés étrangères en Belgique (voir le commentaire sous l’article du CCLJ).
Ce qui est plutôt choquant, c’est qu’il se repeigne impunément aujourd’hui en opposant au régime alors qu’il comptait en profiter pleinement, et que cela n’ait, en outre, aucun impact sur la crédibilité dont cet homme peut bénéficier alors qu’il est manifestement en train de réécrire sa propre histoire d’une main plutôt favorable.
B) Hamid Bénichou est présenté régulièrement comme agent de quartier, en première ligne du combat pour la démocratie et contre l’intégrisme. Pourtant, il n’a plus mis les pieds sur le terrain depuis 2002 au moins. Ce que corroborent ses « analyses » : il reste figé dans le paradigme des années 90, période durant laquelle il était effectivement aux charbons. S’il a pu bénéficier, de la sorte, d’informations de première main sur le parcours de certains activistes (surtout de la première génération), il n’a aucune véritable connaissance du militantisme des 2ème et 3ème générations. Bien qu’il ait pu en rencontrer quelques-uns qui faisaient leurs premiers pas militants dans les années 90, il n’a pas assisté à leur évolution et se contente de toujours faire référence à ce qu’ils/elles auraient pu dire il y a 20 ans.
Or, l’eau a coulé sous les ponts pour tout le monde en deux décennies, et fort peu de gens se vanteraient de n’avoir changé en rien en autant d’années. Bref, appliquer des grilles de lecture pertinentes dans les années 90 sur la réalité d’aujourd’hui est profondément inapproprié. M. Bénichou est certes une source d’informations historiques pour ces années-là, mais aujourd’hui, la pertinence de ses propos sur le militantisme musulman contemporain avoisine le zéro.
Il conviendrait donc que les journalistes qui font appel à ses lumières prennent le temps de recouper ses dires pour éviter les contre-vérités.
C) M. Bénichou n’est pas non plus à une incohérence près, ce qui devrait mettre la puce à l’oreille des fins limiers du journalisme qui font amplement échos à ses propos.
Dans cette fameuse interview du CCLJ, M. Bénichou annonçait la couleur : il voulait devenir calife à la place du calife. « Hamid Benichou envisage de lancer à la rentrée une association de citoyens belges de confession musulmane « libres », en dehors de toute confrérie religieuse, composée d’hommes et de femmes « qui souhaitent, comme nous,revoir certains de nos comportements, nous les imposer à nous-mêmes et les traduire sur le terrain », précise Hamid Benichou. « Une association où l’on pourra parler de tout (violences conjugales, égalité des sexes, laïcité…), qui rejettera les fanatismes, condamnera les actes terroristes, reconnaitra publiquement les lois du pays, sans double discours, une association qui constituera un pendant à l’actuel Exécutif des musulmans, comme autre interlocuteur auprès des politiques. Le monde associatif doit être entendu, parce qu’il exprime la réalité du terrain ».
Si je rejoins M. Bénichou sur le fait que monde associatif doit être entendu car il exprime la réalité du terrain, je m’étonne par contre grandement du fait qu’il condamne « Convergences musulmanes » dans une interview à la Libre Belgique le 31 janvier 2015 sous prétexte que « Convergences » voudrait se substituer à l’Exécutif des Musulmans de Belgique : « Il y a là derrière un agenda caché. Ce petit groupe proche des Frères souhaite imposer un islam politique et se substituer au travail de l’Exécutif des musulmans de Belgique." ».
M. Bénichou est, en vérité, un « entrepreneur identitaire » qui ambitionne de prendre le leadership sur une certaine communauté musulmane et qui a cru percevoir, dans « Convergences » un concurrent direct. Il est pourtant pris là en flagrant délit de mensonge : le jour même de la réunion historique de « Convergences », le 22 janvier 2015, j’avais personnellement précisé qu’il n’y avait aucune volonté de remplacer l’EMB, mais de le soutenir dans ses fonctions, ce que j’ai personnellement répété dans toutes mes interventions médiatiques à ce propos. L’empowerment, consiste à donner aux acteurs/trices les moyens de faire leur job dans les meilleures conditions possibles. Ce qu’ont bien compris les représentants de l’EMB qui ont signé le document final, contrairement à M. Bénichou.
Mentionnons en passant le motif récurrent de l’agenda caché dans les déclarations de M. Bénichou à propos de « Convergences » et d’EmBeM. S’il le décrit si bien, comment donc l’a-t-il percé ? Aucune des plumes perspicaces qui l’ont interrogé ne semble lui avoir posé la question. Serait-ce tout simplement qu’il n’y a tout simplement pas d’agenda caché, mais que M. Bénichou utilise cette tactique éculée, mais ô combien efficace, pour délégitimer ce qu’il perçoit comme un adversaire ?
D) Mais venons-en à cet aspect des choses : si « Convergences » voulait être un adversaire de M. Bénichou, pourquoi aurait-il été invité à cette réunion, ainsi qu’à signer la « Déclaration du 22 janvier » ? M. Bénichou a été invité en toute transparence et a pu participer aux débats, comme tout un chacun, ainsi qu’il le précise lui-même dans une vidéo disponible sur YouTube. Bien que l’on sente cet homme d’une autre génération mal à l’aise face à l’utilisation de techniques modernes de gestion efficace de réunions complexes en un temps restreint, il reconnaît avoir pu partager son point de vue au même titre que les autres participant(e)s.
Notre objectif était en effet de rassembler le spectre le plus large possible de points de vue autour de la table : nous avions invité toutes les associations ou personnalités qui se sont prononcées sur la question de l’avenir de l’islam et des musulmans de Belgique, ce qui est au cœur des propos de M. Bénichou. Nous n’avons posé aucune exclusive sur les méthodes employées par les acteurs/trices, ni leurs objectifs pour permettre justement un tel rassemblement, car tou-te-s, nous luttons pour que tou-te-s les citoyen-ne-s belges, quelles que soient leurs convictions personnelles et leur angle d’approche sur la question, puissent s’épanouir en Belgique.
Dès lors, M. Bénichou, comme d’autres, avait sa place dans cet effort commun. Ni plus, ni moins que les autres participant(e)s.
Effectivement, pour montrer que les musulman(e)s décidaient de reprendre l’initiative, l’idée d’un communiqué a été proposée aux participant(e)s, mais n’a pas réuni l’assentiment général. Dès lors, il a été proposé de ne rien sortir le lendemain, mais de prendre le temps de la consultation. M. Bénichou a beau appeler cette déclaration une « arnaque », affirmer (avec quelles preuves ?) qu’elle « était écrite depuis longtemps » (La libre, 31/01), mais toujours est-il qu’il y a eu processus de consultation à plusieurs étages :
48h pour rédiger une proposition de texte sur base des éléments issus des 4 ateliers qui prirent place le 22 janvier ;
Une consultation via mail pendant 48h supplémentaires ET l’organisation d’une réunion physique le dimanche soir (25 janvier) pour celles et ceux qui souhaitaient cette formule plutôt que d’envoyer leurs commentaires par mail ;
Le texte final, reprenant tant les commentaires reçus par mail que les contributions émises lors de la réunion de consultation, fut établi le lundi 26 au soir par l’équipe d’EmBeM.
Rien n’était préparé à l’avance : nous n’aurions pas attendu 5 jours pour sortir l’information si nous n’avions voulu trouver un consensus entre celles et ceux qui voulaient prendre le temps d’une concertation plus approfondie et les autres, partisan(e)s d’une réaction plus rapide.
Cela s’appelle un processus démocratique de consultation, qui échappe manifestement à M. Bénichou, pour qui la « démocratie » semble relever moins de la pratique que l’incantation. Bref, nous sommes très loin du « mensonge » complaisamment relayé par l’apprenti journaliste de M Belgique dans son article du 6 février (Une initiative citoyenne divise la communauté musulmane). D’autant que, cerise sur gâteau, de nombreux témoins directs se rappellent qu’il a déclaré publiquement, lors de cette rencontre, qu’il était prêt à signer une telle déclaration si elle avait pour objectif de lutter contre le radicalisme.
A nouveau, le plus étonnant n’est pas que M. Bénichou, soit ambivalent ou encore qu’il émette de telles critiques face à une initiative qu’il perçoit comme une menace directe pour sa propre quête de légitimation, mais qu’aucun des journalistes ayant répercuté ses dires n’ait pris la peine de vérifier cette information auprès des protagonistes.
E) Une autre critique récurrente de M. Bénichou concerne l’emprise frériste sur « Convergences ». Là encore, les propos de M. Bénichou montrent à quel point ses affirmations sont à prendre avec des pincettes, alors qu’elles ont constitué, entre autres, le squelette du dossier du Vif l’Express du 6 mars sur la façon dont les Frères Musulmans auraient pris la Belgique en otage (sic).
Dans la vidéo citée ci-dessus, M. Bénichou admet qu’une cinquantaine de participant(e)s ont pris part à la réunion. Il précise pourtant n’en connaître que quelques-un(e)s (10 précisément, sur 50 !!!!), mais cela ne l’empêche pas de déduire que « tous partagent les mêmes convictions que l’association qui les a invités », à savoir « imposer un islam politique » (La Libre du 31/01 et du 04/02), du fait que cette « cette initiative est poussée et portée par des personnes et des mouvements proches des Frères musulmans ».
Sans autre forme de procès ! Amène-t-il la moindre preuve de qu’il prétend ? Aucun fin limier de la presse ne se sera donné la peine de faire son enquête, répandant sans vergogne des propos diffamatoires susceptibles de porter atteinte à la réputation et à la carrière professionnelle de gens qui investissent leur temps et énergie pour sortir notre pays de l’ornière dans laquelle il est plongé.
F) Une simple vérification, B-A-BA du journalisme de qualité, leur aurait pourtant permis de s’interroger sur le double de discours de M. Hamid Benichou. Au cours des trois derniers mois, M. Bénichou avait en effet sollicité des rendez-vous tant avec certain(e) de mes collègues admistriateurs/trices d’EmBeM que moi-même dans le but de travailler ensemble, avec EmBeM, et de développer des synergies, vu notre intérêt commun pour un avenir apaisé pour l’ensemble des citoyens belges de toutes convictions. M. Bénichou savait pertinemment qui nous étions et c’est d’ailleurs suite à ces rencontres que nous avons pris la décision de l’inviter à la rencontre du 22 janvier.
Dès lors, on peut s’étonner de cette accusation de frérisme qu’il se met à lancer urbi et orbi à notre encontre : soit, nous sommes effectivement fréristes, et cela ne le dérange pas de travailler avec des « Frères » tant que cela sert ses intérêts personnels (avec une belle dose d’hypocrisie) ; soit nous ne sommes pas fréristes – ce qui est le cas, la formule est purement rhétorique (précision pour les âmes épaisses) – et l’accusation qu’il lance vise purement et simplement à nous « flinguer » car nous gênerions son petit « business communautaire ».
Ne soyons pas pour autant injustes à son propos : cela fait des mois qu’il essaye de lancer une plate-forme de rassemblement d’un large panel de musulman(e)s, sans aucun succès, et EmBeM réussit en 10 jours à faire ce qu’aucune autre association n’avait réussi à faire auparavant, lui « raflant la mise » au passage. De quoi s’étrangler, il faut le reconnaître. Non pas qu’EmBeM soit d’une essence supérieure, mais du fait, simplement, que la méthodologie utilisée (pas de volonté de se placer en lider maximo de la communauté musulmane, mais de travailler le collectif et les convergences) et l’intelligence du contexte ont permis ce développement prometteur.
G) autre exemple de double langage ? Il suffit de lire la presse : ce vendredi 6 mars, le site de la RTBF.be fait état du rapport de Muslim Rights Belgium (MRB) sur 10 cas d’islamophobie dans la police. Alors que le président du SFLP police reconnaît la possibilité de tels dérapages, M. Hamid Bénichou, planton de son état, mais s’exprimant, dans le cas d’espèce, comme simple citoyen (ben voyons !) n’hésite pas à « relativiser » : « C'est un acte très très isolé, c'est au contrôle interne, au comité P et à l'inspection générale de mener cette enquête. Pour eux (MRB, ndr), tout est islamophobie, je pense qu'ils exagèrent un peu ».
Pourtant, le même Hamid Bénichou, notamment lors de réunion du 22 janvier, n’a pas hésité à clamer se battre sans compromission contre le racisme dans la police, à tancer ses supérieurs. Dans une autre interview dans la Libre Belgique du 15 février, il confirmait « Oui, [Guy Cudell, le bourgmestre de Saint-Josse, ndr] me soutenait car j’avais des problèmes d’intégration; pas au sein de la population, mais au sein du corps de police. L’esprit de suspicion était fort, et il existe encore. J’ai entendu un jour un policier, un apostilleur, dire : "J’aimerais bien qu’il fasse moins 24 dehors comme cela tous les Arabes crèvent !" Cinq minutes après, il avait un Arabe en face de lui, pour une audition. Comment ce bonhomme aurait pu faire correctement son travail ? ». Il précisait encore : « Oui, cette discrimination existe toujours ».
Cette discrimination, fondée sur l’appartenance réelle ou supposée d’un individu à l’islam, cela s’appelle, précisément, de l’islamophobie. Avis à ce cher Monsieur Bénichou. De nouveau, ou ce dernier raconte n’importe quoi à la Libre Belgique, il y à peine 3 semaines, en disant que ce type de discrimination existe (sans employer le mot islamophobie), et ce que dit MRB n’est pas une exagération (mais quel est alors le sens de son intervention ?) ; soit l’islamophobie n’existe effectivement pas, et il ment de facto à la Libre, ainsi qu’à tous les participants de la réunion du 22 janvier auprès de qui il s’est fait passer pour un champion de lutte contre les discriminations à l’encontre des musulmans, au sein de la police, de l’administration, mais aussi du monde politique.
Il ne me vient pas à l’idée de jeter la pierre à M. Bénichou : face à la pression médiatique, nous ne sommes pas tous équipés de la même façon pour respecter notre impératif de cohérence. Des formulations malheureuses peuvent nous échapper, on peut être amené à revisiter son passé, à tenter de le faire voir sous un jour meilleur, à révéler ses pensées profondes au détour d’une phrase un peu trop longue… Après tout, nous ne sommes pas nés ni n’avons été formés pour être des communiquants professionnels… Nous sommes des acteurs de terrain et tentons de notre mieux de faire en sorte que la société évolue dans le sens de ce que nous croyons au plus profond de nous-mêmes être le Juste, le Beau, l’intérêt général commun.
Je me pose par contre de nombreuses questions quant à la pratique et l’éthique journalistiques de celles et ceux qui se sont transformé(e)s plus que complaisamment en porte-voix des propos de M. Bénichou, sans nuance, sans contre-enquête – sur le simple fait qu’il ait été, il y a plus de quinze ans, un brave policier de quartier, et qu’il parle aujourd’hui citoyenneté, alors que beaucoup d’acteurs/trices de terrain, citoyens belges de confession musulmane, considèrent déjà la citoyenneté comme un acquis sur lequel on n’a même plus besoin de revenir, et qu’il faut maintenant passer aux questions de l’égalité en pratique, de la reconnaissance mutuelle, de bénéfices partagés, d’une histoire et d’un avenir commun.
M. Bénichou a des intérêts particuliers à raconter ce qu’il raconte, ce qui est en soi légitime, mais ne justifie aucunement les publi-reportages dont il a bénéficié en tentant de casser l’élan de plus de 160 organisations et personnalités de tous horizons visant, justement, à refuser le communautarisme et l’islam politique qu’il dénonce (La Libre de 4 février) et s’engager dans une vraie démarche de coresponsabilité avec les institutions de l’ensemble de la société.
Dans le cadre d’une véritable démarche de journalisme d’investigation, il aurait été pertinent de s’intéresser au bilan de M. Bénichou et de ses différentes associations, à ses solutions pour lutter contre la radicalisation du 0,1% des jeunes musulmans qui finissent par rejoindre Daesh. Quelles réponses a-t-il apportées au cours de ses 25 ans de présence sur le terrain ?
Lui qui accuse EmBeM et « Convergences musulmanes » de sectarisme, pourquoi ne nous a-t-il pas invités au lancement de sa nouvelle « Initiative Citoyenne pour un Islam de Belgique (ICIB) » ? A EmBeM, nous partageons également fermement cette volonté de connaître enfin un islam belge dégagé des influences étrangères et nous aurions volontiers soutenu cette nouvelle tentative.
D’ailleurs, l’Alternative Démocratique des Musulmans de Belgique (ADMB), qui a porté, extrêmement seule, ce combat pendant ces 5 dernières années, durant tout le processus de renouvellement de l’Exécutif, en se battant contre l’emprise de la Turquie et du Maroc sur les communautés musulmanes de Belgique ainsi que contre la résignation des gouvernements belges successifs sur ce dossier, ne s’y est pas trompée et a signé l’appel de « Convergences ». Durant toutes ces années, M. Bénichou regardait probablement ailleurs et semble aujourd’hui découvrir la Lune. Qui de nous s’inscrit, en vérité, dans une démarche de fermeture ? Un seul journaliste lui a-t-il posé la question ce 10 mars lors du lancement de sa nouvelle « Initiative » ?
A l’instar de tous les autres acteurs/actrices de terrain qui ont rejoint « Convergences » et qui se sentent concerné(e)s par l’avenir de nos enfants, il porte une responsabilité personnelle dans cet échec collectif. Les signataires de « Convergences » et beaucoup d’autres reconnaissent cette responsabilité, cet échec, et s’engagent à agir pour changer la donne. M. Bénichou semble ne pas les reconnaître et préfère pointer les autres du doigt, alors que son travail et sa démarche sont, en soi, pleinement légitimes et complémentaires avec de nombreuses actions sur le terrain.
C’est d’ailleurs dans un tel esprit d’ouverture, de co-construction, de « faire-ensemble » et de soutien mutuel, qu’EmBeM, en tant qu’organisation, a signé des deux mains l’appel lancé par Hassan Bousetta « Article 193 », plaidant pour un patriotisme constitutionnel. EmBeM ne prétend pas détenir la vérité, bien au contraire. Nous reconnaissons que, vu la gravité de l’heure, toutes les énergies abordant ces problématiques complexes sous des angles différents sont complémentaires. Tout groupe ou association prétendant apporter seul(e) une solution holistique à la situation que nous connaissons s’expose d’emblée au ridicule et au discrédit.
Dès lors, un vrai débat démocratique alimenté par une presse de qualité aurait tenté de mettre en évidence les lignes de forces entre nos approches respectives, nos présupposés méthodologiques, l’opérationnalisation de nos solutions et les défis qu’elles suscitent…
Il n’aura rien été de tout cela, car prisonniers de leurs propres impératifs de rentabilité, de leur besoin de faire le buzz, de leur tropisme à souligner les divergences superficielles, la petite phrase assassine, le colportage de rumeurs et la suspicion, ces journalistes n’ont fait qu’alimenter une polémique stérile, en instrumentalisant la quête existentielle de sens et de réalisation personnelle d’un ancien policier de quartier.
Décidément, une certaine presse ne sort pas grandie de cette histoire. Triste période pour la démocratie et le débat d’idées.
(*) Voir Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Raison d’agir, 2005.