Lettre ouverte
d’un concitoyen verviétois de confession musulmane à M. Didier Nyssen,
Conseiller
Communal PS,
Ancien Echevin de
l’éducation,
Cher Monsieur
Nyssen,
Je vous aime. Je
vous adore. Votre récente lettre ouverte à vos
(c) SudPresse |
« concitoyens de confession
musulmane » m’a profondément ému par sa justesse, par sa simplicité, par,
oserais-je même, la rusticité de son argumentation.
On reconnaît
aisément le pédagogue qui a passé le plus clair de sa vie à se dévouer à
l’éducation de ses semblables.
Point de circonvolutions
langagières, point de ce double langage prisé par les élites socialistes qui
fait comprendre une chose à son électorat issu de la diversité tout en
affirmant le contraire auprès de ses ouailles les plus vindicatives en matière
de tolérance philosophique. Pas de fard, pas de faux-semblants.
Je salue votre
courage – ou votre infinie arrogance ? – de donner à voir de manière aussi
décomplexée et condescendante la claustration idéologique et intellectuelle
dans laquelle s’est enfermée depuis trop longtemps la majorité de votre parti,
vous empêchant de penser le monde d’aujourd’hui et d’en relever les défis.
Mon fils ayant
réussi son CEB, je me suis rendu au grand théâtre pour assister à la remise
solennelle de son diplôme, cérémonie dont vous étiez d’ailleurs l’un des
acteurs. J’ai été particulièrement frappé – et heureux – de constater à vue d’œil que les élèves
issus de la diversité constituaient au moins la moitié – si ce n’est plus,
faute de statistiques appropriées – de la promotion de cette année.
Le contraste n’en
était que plus frappant de voir que, face à cette jeunesse diverse et bigarrée,
sans complexe par rapport à sa propre diversité, ne se trouvait qu’un panel
très « blanc » et post-quadra pour leur remettre leurs diplômes. Une
image saisissante du contraste entre l’idéologie sous-jacente de cette laïcité
particulière que vous revendiquez et la réalité de cette jeunesse déjà dans une
autre représentation du monde. Un monde où les lignes de fracture ne sont pas
entre qui porte le foulard, la kippa ou le patka et qui ne le porte pas, mais
entre qui a accès au wifi et à un compte twitter ou pas, ou encore – vu la
crise – qui peut partir en vacances au-delà des collines de Verviers ou pas.
En deux mots,
vous avez raté le train de l’histoire en restant coincé dans un combat du
siècle dernier pour la décléricalisation de la société. Si ce combat fut
méritoire et utile pour créer un magnifique espace de liberté dont nous jouissons
tous aujourd’hui, vouloir lui amalgamer la question des signes convictionnels
au sein de nos société sécularisée est simplement anachronique et démontre une
grande pauvreté d’analyse des dynamiques à l’œuvre dans nos sociétés depuis les
années 70. Il est urgent de faire une mise à jour de votre logiciel de référence.
Ainsi, votre
lettre regorge de perles mettant en valeur votre condescendance, votre
paternalisme et votre satisfaction de soi. En voici quelques unes pour la
route, où je vous cite en assortissant vos propos de quelques commentaires du
cru :
a) « Comme vous pouvez l’imaginer, il ne s’agissait
pas pour nous de danser comme siffle le MR, mais bien de donner un signe fort des limites que nous
imposent nos convictions laïques quant à la présence des phénomènes religieux
dans la sphère publique. »
Merci de reconnaître enfin que votre combat est purement idéologique et
qu’il ne relève pas d’un état de nature de la société belge. En quelques mots,
ce sont « vos convictions laïques » contre les convictions de
vos concitoyens musulmans. Il s’agit bien là d’un rapport de force, rien de
plus.
Je vous remercie au passage de faire main basse sur la revendication de « laïcité ». Peut-être vous apprendrais-je qu’il n’y a pas qu’une seule façon de comprendre la laïcité et qu’existent d’autres approches, tout aussi laïques que la vôtre, mais bien moins exclusivistes. Enfin, je souhaiterais vous informer que l’école ne fait pas partie, à proprement parler, de la « sphère publique » comme vous semblez le considérer. L’école est un espace public, nuance de taille, mais qui semble vous échapper.
Je vous remercie au passage de faire main basse sur la revendication de « laïcité ». Peut-être vous apprendrais-je qu’il n’y a pas qu’une seule façon de comprendre la laïcité et qu’existent d’autres approches, tout aussi laïques que la vôtre, mais bien moins exclusivistes. Enfin, je souhaiterais vous informer que l’école ne fait pas partie, à proprement parler, de la « sphère publique » comme vous semblez le considérer. L’école est un espace public, nuance de taille, mais qui semble vous échapper.
b) « L’histoire de l’Europe depuis la
Révolution française, comme
celle des mouvements progressistes, nous enseignent que la séparation des
églises et de l’état reste le meilleur gage de la cohabitation pacifique entre
les différents courants philosophiques qui partagent un même territoire. »
Comme vous y allez ! Quelle soupe ! Juste une petite piqûre de rappel à propos de l’histoire de l’Europe : il n’y pas de séparation de l’église et de l’état en Angleterre, au Danemark et en Suède pour ne citer que ces pays. A ma connaissance, ils ne sont pas à feu et à sang. Verviers n’est pas le centre du monde Mr Nyssen !
Comme vous y allez ! Quelle soupe ! Juste une petite piqûre de rappel à propos de l’histoire de l’Europe : il n’y pas de séparation de l’église et de l’état en Angleterre, au Danemark et en Suède pour ne citer que ces pays. A ma connaissance, ils ne sont pas à feu et à sang. Verviers n’est pas le centre du monde Mr Nyssen !
Si je vous rejoins tout à fait sur les bénéfices d’une séparation claire de
l’église et de l’Etat, expliquez-moi cependant comment vous passez du principe
d’une séparation de l’église et de l’Etat au fait d’exclure les signes
« ostentatoires » de l’école. Les signes ne sont, ni ne représentent
des églises et une salle de classe n’est pas l’Etat mais un espace public
organisé par l’Etat. Enfin, on parle de séparation de l’église, en tant que
structure de pouvoir et organisation sociale, et de l’Etat, et non de
séparation de la religion et de l’Etat. Manifestement, votre longue carrière
dans le noble effort de vulgarisation des connaissances vous a amené à
confondre vulgarisation et simplisme.
c) « Croire que les convictions religieuses
peuvent être brandies comme autant d’étendards qui indiqueraient la manière
d’organiser nos sociétés civiles constituerait une position archaïque, démentie
par l’Histoire. Pour nous,
Belges de toutes convictions, la séparation des pouvoirs et la neutralité de
l’état sont des principes inscrits dans la Constitution. »
Quel souffle !
Mais de quoi parle-t-on ? D’une contre-révolution conservatrice en marche ?
Calmez-vous Mr Nyssen, il ne s’agit que de quelques foulards ! Descendez
de vos grands chevaux dignes du temps des colonies.
Jusqu’au jour d’aujourd’hui, en dehors de quelques
pays européens, l’Histoire n’a nullement démenti le potentiel organisateur des
convictions religieuses quand il s’agit de faire société. Les Etats-Unis en
sont un brillant exemple dont vous feriez bien de prendre graine, au lieu de
vous ériger en donneur de leçon en matière d’archaïsme ou de modernité. Quant à
ce « nous, Belges de toutes convictions », vous y faites rentrer qui
exactement ? Je me questionne encore comment une personne aussi sensible
que vous à la nécessité du vivre ensemble, a pu se rabaisser à utiliser un
langage aussi polarisant. Une véritable éloge au communautarisme de la majorité,
au communautarisme blanc, essentialisant l’autre dans son statut d’Autre,
d’étranger, du non-nous. Merci pour votre violence. Si les mots tuent,
celui-ci, sous votre plume, vient de faire un sérieux carnage. Faut-il
comprendre que les musulmans sont d’office « non-belges » ? Merci de
nous « dés-intégrer » alors que nous faisons partie intégrante de la
communauté nationale !
d) « Remettre cela en cause en s’arc-boutant à un symbole
favoriserait la montée des positions les plus dures dans des revendications
antagonistes qui ne pourront de toute façon pas être satisfaites… Le bien vivre ensemble passe
inévitablement par des concessions qui ne peuvent pas être à sens unique. »
Je reste pantois devant
une cécité telle que la vôtre. Vous reprochez à certains musulmans de
s’arc-bouter à un symbole. Si cela est incontestable, il n’en reste pas moins
que vous vous arc-boutez pareillement sur le même symbole pour partir dans la
direction opposée. Cet effet miroir est saisissant – et troublant. D’autant que
vous concluez votre paragraphe sur la nécessité de concessions réciproques pour
favoriser le vivre ensemble. Si je ne peux être plus d’accord avec vous sur ce
point, ce dernier devient une supercherie dans votre lettre. Mais quelles
concessions l’enseignement communal a-t-il fait Mr Nyssen en matière de
diversité, sous votre propre houlette ou celle de vos prédécesseurs ? Aucune
approche de la diversité dans les écoles communales alors que tant de choses
seraient à faire avec les tous petits ; aucune reconnaissance des fêtes
culturelles des communautés qui composent la mosaïque verviétoise, alors que
certaines communautés d’origine non européenne sont présentes depuis plus d’un
demi-siècle !!! Quasi aucun enseignant issu de la diversité au sein du
personnel communal, alors que Verviers est une
« minority-majority city » depuis bien longtemps ; aucune
politique collective en matière de cantine adaptée, de la prononciation
correcte des prénoms des enfants, de prise en compte des jours de fêtes
religieuses des différentes communautés ; aucun cours de mise à niveau en
français pour les jeunes étrangers qui débarquent dans nos classes… Et je
pourrais encore continuer la liste longtemps ! Le sens unique, il
existe bel et bien, Mr Nyssen, mais pas dans le sens de « votre »
côté vers les communautés de la diversité, mais dans le sens inverse, alors que
tous ces gens contribuent pareillement à la richesse de notre ville,
travaillent, et payent des impôts. Que dire encore de cette initiative de
visite des lieux de culte verviétois portée par vos enseignants que vous auriez
apparemment sabordée ?
Osez donc détailler publiquement, au-delà de votre
slogan à l’emporte-pièce, les actions « diversité » entreprises par
la ville en matière d’enseignement qui justifieraient votre perception d’un
« sens unique ».
e) « A
ceux-là, je demande que leur lecture du Coran mettent en avant le respect de
tout être humain quelle que soit sa religion »
Outre votre saillie par laquelle vous rendez les
musulmans responsables de la montée de l’islamophobie faute de suffisamment
combattre les islamistes – un poncif de l’islamophobie de gauche – voici
certainement la perle des perles de votre lettre ouverte. Là, je vous tire mon
chapeau bien bas. Clore un cours magistral sur la séparation de l’église et de
l’Etat comme valeur clé de la belgitude, en nous gratifiant, en tant que
CONSEILLER COMMUNAL, de tuyaux sur la façon de lire et de comprendre le Coran,
il fallait oser le faire. En bref, la séparation de l’église et de l’Etat n’est
qu’un élément de langage auquel vous ne croyez pas une seconde, puisque vous
n’hésitez pas vous-mêmes à faire intervenir la religion, voire pire, à
intervenir dans la religion de vos concitoyens pour parvenir à vos fins politiques.
Ayez la décence de garder vos leçons pour vous, Mr
Nyssen. Votre lettre ouverte s’inscrit dans cet interminable chant du cygne de
cette gauche paternaliste et bêtement anticléricale au sein de laquelle vous
semblez vous complaire. Au lieu de tirer les leçons de manière digne et
informée de votre déconfiture électorale, vous persistez dans l’approche aigrie
et revancharde qui vous a conduits où vous êtes aujourd’hui. Je ne peux que déplorer ce gâchis d’intelligence et d’expérience qui s’interdit de penser une
gauche pluraliste, ouverte et inclusive qui sait faire Belgique de tout bois
pour un meilleur avenir pour tous.
A l’heure où la ville de Gand, qui s’enorgueillit, elle, d’être une Ville active contre le racisme, choisit de mettre en pratique une
approche progressiste et inclusive de la plus grande diversité, votre décision
d’interdire les signes religieux dans l’espace public n’en paraît que plus
myope, rabougrie et déconnectée du réel.
Oui, une autre gauche, confiante, créatrice et
volontariste est possible. Manifestement, ce n’est pas celle de votre choix.
Si d’aventure, cette expérience vous amenait à
délaisser la vie politique faute d’en saisir encore les enjeux, sachez que nous
serions heureux de vous accueillir pour une carrière de moufti. Vous semblez
avoir des prédispositions.
Sincèrement vôtre,
Michael Privot
Post-scriptum : l’auteur de ces lignes s’oppose
sans hésitation aucune au port du foulard pour les élèves de l’enseignement
primaire. Il s’élève contre l’argumentaire de Mr Nyssen qui articule une
interdiction généralisée des signes convictionnels dans la sphère publique – ce
que nous ne pouvons accepter au nom des principes d’égalité et de
non-discrimination.