Le contexte: Le samedi 29 mai 2010, le site Saphirnews mettait en ligne un entretien avec l’imâm Tareq Oubrou portant sur la question de l’homosexualité analysée d’un point de vue religieux. Cet entretien faisait suite à la signature par l’imâm bordelais d’un appel contre l’homophobie paru dans le journal Le Monde du 17 mars de la même année, cosigné avec d’autres hommes de religion et philosophes.
Sur le fil de commentaires, on pouvait trouver plusieurs réactions de Monsieur Mustapha Chérif, philosophe et théologien, qui se présente sur son site comme « soucieux du vivre ensemble ».
Il est fort surprenant que Monsieur Chérif (dont on trouvera copie des remarques ci-dessous) ne fasse pas preuve d'un peu plus de rigueur dans la manière dont il reprend les propos de l'imâm Tareq Oubrou, sur cette question sensible de l’homosexualité du point de vue de la religion musulmane (aussi sensible que dans les autres religions du Livre, d’ailleurs). De la part d’individus qui n'auraient pas reçu de l’école les instruments propres à distinguer et traiter rationnellement les différents termes d'une proposition, cela serait relativement compréhensible, mais que cela soit le fait d'un Professeur des Universités montre bien que quand l’idéologique et l’émotionnel prennent le pas, la raison trépasse.
En somme, ce que dit Mr Oubrou est pourtant assez simple à comprendre : 1) l’homosexualité est une pratique qui n'est pas moralement acceptée par l'islam et 2) cela ne doit toutefois pas conduire à exercer des violences vis-à-vis des individus qui connaissent cette orientation. Que Monsieur Chérif ne soit pas d’accord avec un des arguments développés par l’imâm Oubrou pour recontextualiser l’approche de l’homosexualité dans la jurisprudence islamique classique (« Celui qui ne respecte pas ses parents ou qui trompe sa femme commet une faute plus grave que l'homosexualité ») est une chose, mais qu’il laisse malhonnêtement entendre en conséquence que Tareq Oubrou nierait que sa religion considère cette pratique comme un péché en est une autre.
Insuffisant? La fin de l'interview:
« C’est pour cela que j’anticipe, en disant qu’il ne faut pas agresser, insulter, mépriser les homosexuels, sous prétexte que leurs pratiques ne sont pas approuvées par la religion. Mais tolérer ne veut pas dire approuver... Il faut développer un savoir-vivre, le vivre-ensemble, où existe le respect mutuel qui préserve la paix civile, l'ordre public, au-delà de nos convictions et nos pratiques » (ibid.).
« La non-agression », « le respect mutuel », « le vivre-ensemble ». Quelle audace !? Quelle insolence de la part de Tareq Oubrou !? Rappeler qu’il ne saurait y avoir de légitimité religieuse à maltraiter ou brimer un individu qui ferait preuve d’une autre orientation sexuelle paraîtrait donc excessivement révolutionnaire aux yeux de Mustapha Chérif.
On constate en effet que Mr Chérif s’offusque de voir un imâm qualifier l’homosexualité d’ « orientation sexuelle », lui qui préfère la bonne vieille catégorie de « maladie[1] » (il emploie même les qualificatifs de « bestial » et d’« inhumain ») pour faire des homosexuels des déviants et les disqualifier de toute quête de spiritualité qui est pourtant un droit fondamental pour tout être humain, indépendamment de son orientation sexuelle. Plus grave encore, Monsieur Chérif prétend s’immiscer dans la relation intime entre tout individu et son Seigneur et s’ériger subrepticement en recteur des consciences, en dispensateur d’autorisation en matière de croire, empiétant lourdement sur une prérogative exclusive de Dieu si l’on se place dans la tradition théologique islamique la plus profonde. Un péché certes subtil mais d’une gravité extrême pour tout prétendant au rang de théologien.
Plus largement, cela pose la question de savoir à quel type de vivre-ensemble Mr Chérif fait-il au juste référence ? A celui d’un monde rempli de chrétiens, musulmans et juifs qui feraient leur unité à l’encontre des homosexuels ? Le vivre-ensemble serait-il purement hétéronormé dans la « philosophie » chérifienne ? Mais où caser dans cet univers chérifien ces gens prétendument « hors-norme » qui représenteraient jusqu’à 10% de la population globale ? Le bannissement unilatéral de toute communauté de foi à laquelle certains gays et lesbiennes s’identifient serait-il le seul horizon auxquels ceux-ci pourraient prétendre comme Mr Chérif semble le suggérer ? Lire d’ailleurs, comme il le fait, l’épisode de Sodome et Gomorrhe sous l’angle unique d’une condamnation sans détour de l’homosexualité est également un peu court. Les leçons scripturaires sont bien plus subtiles (nous n’avons malheureusement pas le temps de les développer ici, et les laisserons pour un article ultérieur) et ouvrent la voie à une approche spirituelle apaisée non pas en phase avec l’air du temps – qui est à la stigmatisation tous azimuts – mais avec une lecture positive de la Justice divine, ce qui est très différent. Et nous réitérons ici l’approche oubrousienne affirmant qu’il peut y avoir concomitamment condamnation du point de vue de la morale religieuse musulmane (akhlâq), appel à la non-violence et interdiction totale de la vindicte.
Ainsi, c'est plutôt Monsieur Mustapha Chérif qui se fourvoie, et non pas Mr Oubrou, quand il déverse à l’encontre ce dernier un "takfîr soft" que rien, dans cet entretien ne justifie.
A côté de cela, on attend toujours que le chantre de la tolérance et du vivre-ensemble – pourtant intarissable sur les déclarations de Mme Angela Merkel à propos de la « faillite de l’intégration » à l’allemande – se prononce sur les violences antichinoises en Algérie ou encore sur les agressions des femmes d’Hassi Messaoud en 2010 (après la flambée de violence de 2001[2]). On aurait attendu également que celui qui allait au devant du Pape Benoît XVI à la suite de sa conférence de Ratisbonne dise un mot sur les condamnées à la prison en Algérie parce qu’elles ne jeûnaient pas durant le Ramadan. On aurait attendu en outre que celui qui réclame à juste titre tolérance et liberté religieuse pour les minorités musulmanes d’Europe, se lève avec la même vigueur quand la librairie d’un Algérien chrétien est détruite ou que des protestants autochtones sont menacés. Il ne risquerait pourtant rien (si ce n’est de faire preuve de cohérence intellectuelle), la Constitution algérienne garantissant la liberté de culte, aux dernières nouvelles…
Le comble est atteint quand Mr Chérif écrit : « Tareq Oubrou qui est une personne respectable et de bonne intention se trompe et se fourvoie totalement en voulant donner l'image d'un islam tolérant (nous soulignons) ». Quel aveu pour quelqu’un qui fait de profession tolérance de dire que l’un de ses coreligionnaires « se fourvoie », quand il veut donner de sa religion une « image » de tolérance ! Veuillez vous taire, vous musulmans qui, de par le monde, rendez compatible votre foi avec l’acceptation de l’autre ! Mustapha Chérif veille à ce que votre tolérance ne déborde pas le cadre de ses propres conceptions étriquées.
Le vivre-ensemble ne se résume pas pour nous à se gargariser de belles paroles et considérations pour faire bonne figure dans les multiples fora interculturels et religieux dans lesquels Mr Chérif se produit sans véritablement « mouiller sa chemise ». Chacun reconnaîtra qu’il est en revanche un brin plus ardu de choisir la voie d’une pastorale populaire et d’être confronté aux multiples responsabilités d’un imâm profondément engagé sur le terrain, aimant sa religion, sa communauté et sa société, et de répondre aux questions qu’elle se pose immanquablement[3]. Bien plus qu’il ne s’agit de vivre ou de se confondre en rodomontades avec des « Gens du Livre » de bonne tenue, il s’agit d’envisager de vivre concrètement, au quotidien, avec celles et ceux qui représentent pour chacun d’entre nous la véritable altérité – positive comme négative. Et d’outiller conséquemment, tant au niveau conceptuel que pratique, les membres de telle ou telle autre communauté confessionnelle pour les amener à vivre paisiblement leur foi au sein de leur société, dans la lumière de leur seul Seigneur et à l’abri des anathèmes des représentants autoproclamés des nouvelles hisba qui ne cessent de champignonner.
Là est peut-être une des clés profondes du travail de Mr Oubrou, qui échappe curieusement à un Professeur des Universités, philosophe et théologien, qui a fait carrière de tolérance. Si un intellectuel musulman en est à ce niveau de compréhension d’une interview d’une page et demi, il ne faut alors pas s’étonner que des incompréhensions plus radicales encore puissent advenir à une échelle moins favorisée socialement et intellectuellement. Et qu’une opinion somme toute assez simple de rappel de l’interdit moral accompagnée d’un impératif de tolérance (quoique « tolérer ne veut pas dire approuver... » pour coller aux propos de Tareq Oubrou), soit transformée en opinion « favorable à l’homosexualité » par réductionnisme (ou manipulation ?)
Cédric Baylocq/Michaël Privot
http://www.saphirnews.com/Islam-homosexualite-et-homophobie-vus-par-Tareq-Oubrou_a11544.html
16.Posté par Mustapha Cherif le 30/05/2010 15:39
19.Posté par mustapha cherif le 30/05/2010 22:16
Tout musulman ne peut que proclamer le droit au respect des êtres humains et nul ne peut excommunier autrui. Cependant, il est clair que la déclaration de Tareq Oubrou est une contre vérité et un dérapage trés grave sans précedent ! La cause de ce dérapage grave m'est inconnue, en effet pourquoi cet imam d'habitude pondéré profere t-il un propos aussi infondé, anti islam, faux et choquant? Est ce par tactique et ruse pour gagner la sympathie de groupes influents? Est ce un accident incontrolé qui dépasse sa pensée? Cela montre que la situation des musulmans en France est préocupante et mérite concertation et mobilisation contre toutes les formes de préssions, de contre façon, d'instrumentalisations, de diversions et de dérapages. J'en appelle à la vigilance et à la sagesse pour dire stop aux amalgames et stop aux faux débats, alors que les principes sont clairs. L'affirmation fausse d'Oubrou met en danger la santé morale de la communauté musulmane et notamment de sa jeunesse. Il ne faut pas se laisser influencer. Tous les extrémismes sont un danger. L'islam si haut , si noble et si vrai se moque de toutes les délires et perversions.
Fin définitive de mes[1] Rappelons par ailleurs que le DMS IV, instrument (scientifique et occidental) de critères diagnostiques, a supprimé l’homosexualité de la catégorie des « troubles du genre » seulement récemment et que Freud lui-même y voyait une « perversion ».
[2] http://www.lemonde.fr/idees/reactions/2010/04/22/algerie-le-lynchage-des-femmes-de-hassi-messaoud-se-poursuit-par-nadia-kaci_1341015_3232_2.html
[3] A ce propos, on ne peut que sourire, quand certains jeunes militants reprochent à Tareq Oubrou de ne pas être assez engagé auprès de sa communauté confessionnelle, au prétexte qu’il s’applique aussi à parler en dehors de celle-ci. Entre fin 2009 et fin 2010, l’homme de religion bordelais a en effet répondu à des invitations d’émissions radios de qualité (entre autres, deux sur France Culture, une sur RFI, une sur la Première et à la « Pensée et les Hommes » en Belgique), a publié trois tribunes dans Le Monde, et a participé à des rencontres intereligieuses, entre autres, sans compter quelques plateaux télés en France (l’émission confessionnelle du dimanche sur France 2) et en Belgique (émissions confessionnelles également). Ceci faisant suite à la publication de Profession imâm (Albin Michel, 2009). Ceux qui lui reprochent ce parcours extracommunautaire se rendent-ils seulement compte qu’ils débattent et circulent allègrement aujourd’hui dans toute la France voir l’Europe grâce à des associations cultu(r)elles que l’imâm a contribué à fonder ou dont il fut l’un des premiers conseillers à l’époque des vaches maigres (UOIF, FOIE, FEMYSO, AMG, Secours Islamique) ? Une époque où la plupart de ces jeunes gens qui aujourd’hui le critiquent portaient encore des couches, et qui, plus âgés, n’ont jamais fait l’expérience de diriger la prière dans les caves, avec l’humidité et les souris pour compagnons d’infortune. Nous ne saurions que trop leur conseiller la lecture de l’introduction, ainsi que des chapitres I, VII, VIII et IX de Profession imâm et de considérer les 30 années passées dans l’œil du cyclone de sa communauté. Ainsi pourront-ils objectivement confronter leur bilan-engagement au sien.
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