5.12.08

La Laïcité est-elle soluble dans les Droits de l’Homme ?

Provocatrice ? Sacrilège ? Cette question l’est sans aucun doute, tellement nous avons été habitués à considérer ces deux concepts comme éminemment consubstantiels. Pas de laïcité sans Droits de l’Homme et vice-versa. Et pourtant. De récents et houleux débats autour de la laïcité nous amènent à questionner la légitimité du lien ainsi établi, particulièrement quand il s’agit de l’inclusion et du respect des minorités ethniques ou religieuses – surtout arabes et musulmanes – au sein de nos sociétés européennes.

Mais recadrons d’emblée les termes du débat. La Laïcité – avec un L pour désigner le concept – est en fait intimement liée aux phénomènes de sécularisation qui traversent toutes les sociétés, à savoir ce mouvement constant de distanciation (et parfois de rapprochement) entre le sacré et le profane.

La laïcité française – avec un l pour en désigner la matérialisation concrète – est, quant à elle, une des formes les plus développées, en dépit de ses imperfections, de la transposition dans le droit et la société de ce processus de distanciation. Processus qui, rappelons-le, n’est ni linéaire, ni définitif, ni univoque, ni irréversible, mais multiple et simultané : sécularisation et désécularisation de différents secteurs d’une même société pouvant être parfaitement concomitantes. La laïcité à la française, différente en ce sens de la laïcité à l’américaine ou à la belge (à savoir notre neutralité), constitue donc une méthode particulière de gestion de ces rapports sacré/profane. Elle n’est pas la seule envisageable, ni l’horizon insurpassable de l’effort humain en la matière. Une option parmi d’autres, avec ses avantages et ses inconvénients.

Vouloir dès lors en faire l’aune unique du développement sociétal et de la modernité revient tout bonnement à la dogmatiser et à la rabaisser à ce qu’elle serait censée prévenir : l’immixtion intempestive d’une dogmatique religieuse ou philosophique particulière dans la gestion de la Cité, au détriment de toutes les autres.

Quant aux Droits de l’Homme, ils sont nés dans le contexte de la nécessité d’assurer la protection du citoyen face à un Etat jugé oppresseur presque par défaut. Ils se sont constamment approfondis et complexifiés au cours de ces 60 dernières années. Si l’impératif de la protection du citoyen face à un Etat oppresseur s’est quelque peu estompée dans nos démocraties libérales solidement établies, il n’en reste pas moins que la « majorité démocratique » peut rapidement devenir un oppresseur aussi terrible qu’un appareil d’Etat dictatorial si l’on décidait du jour au lendemain d’appliquer la loi de la majorité absolue. Ce serait la fin des minorités – quelles qu’elles soient – et le triomphe de la grégarité et de l’uniformisation.

Et c’est là que les Droits de l’Homme sont indispensables, comme ultime garde-fou que s’imposent les sociétés démocratiques pour éviter d’éradiquer leurs minorités. Un véritable « joker » préservant notre intrinsèque diversité de toute tentative de solution finale. L’héritage terrible des camps de concentration fut décisif pour faire pencher l’Europe de l’après-guerre vers la voie de la modération et de la (lente et toujours inachevée) acceptation de sa diversité et de son profond métissage.

Or, on se rend compte aujourd’hui que quelques individus bénéficiant d’importants relais médiatiques et politiques, se sont donnés pour sainte mission de défendre une laïcité absolutiste et a-historique comprise comme le rejet sans compromis voire violent de toute conviction religieuse hors de l’espace public – lui aussi totalement indéfini et laissé à la pure subjectivité de nos valeureux pourfendeurs d’intégrisme et de dogmatisme. Même Emile Combes, pourtant pas un tendre, n’est jamais arrivé à de tels excès en la matière alors qu’il était un acteur clé de cet arrachement de la société française hors de l’emprise du clergé catholique.

Marcel Gauchet remarque fort à propos que cette radicalisation d’une frange de défenseurs de l’indispensable dimension laïque de nos sociétés – qui se mue dès lors en une laïcité de combat – correspond en vérité à l’effondrement de son opposant historique, à savoir une communauté chrétienne catholique revendicatrice et revancharde souhaitant recouvrir ses privilèges d’entant. Or cette lecture n’est plus pertinente aujourd’hui. L’Eglise et sa communauté ont été, elles aussi, profondément sécularisées et gagnées à l’idée de la nécessité de la laïcité, de la démocratie et des Droits de l’Homme car s’ils protègent le politique du religieux, ils protègent également le religieux du politique.

Et c’est dans ce contexte que les communautés musulmanes, récemment arrivées, commencent à faire preuve d’une visibilité inhabituelle et de certaines pratiques parfois en décalage avec les us de nos démocraties libérales. Loin d’y voir une phase de transition vers une harmonisation par le haut avec les communautés d’autres convictions, phase qui est pourtant dûment constatée par les observateurs avertis, cette frange – oserions-nous le terme – laïcarde a cru y retrouver enfin l’avatar tant attendu de l’ennemi héréditaire qui pourrait permettre de reconstruire un front idéologique en pleine déliquescence, faute d’objet, ou plutôt faute de reformulation de son objet en fonction des défis de notre nouveau siècle. La Laïcité se doit toujours d’être défendue sans compromission, certes, mais ses ennemis ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Car ce resserrement des rangs se fait au prix de dangereux compromis. Dans un récent article, une des égéries de cette mouvance, se demandait si il était « absurde que de considérer que la liberté religieuse, loin d’être absolue, [devait] être soumise au respect d’autres principes essentiels, fondements eux aussi de la démocratie, tels que l’égalité et la mixité », pour conclure qu’elle préférait contraindre – donc lui refuser un droit fondamental – une fille à ôter son voile à l’école, plutôt que de contraindre une autre à le porter même à l’école.

De nombreux éléments mériteraient d’être relevés dans cette synthèse fulgurante d’une telle laïcité d’exclusion :
- le mantra faisant de la mixité un des principes suprêmes de la démocratie (comment peut-on encore tolérer aujourd’hui que les équipes de foot, voire les vestiaires ou les WC, ne soient pas mixtes !?),
- le glissement subreptice mais significatif de la question des droits fondamentaux à celles des principes (la mixité) comme fondement de la démocratie, autorisant dès lors tous les abus,
- la pernicieuse équivalence introduite entre le refus arbitraire d’un droit et la généralisation abusive d’une conséquence potentielle d’un exercice non encadré de celui-ci (autoriser le port de signes religieux à l’école n’équivaut pas à contraindre à les porter ceux qui n’en n’ont pas envie).


Cependant, le plus important reste de s’interroger sur le fond même de l’argument, à savoir le délicat équilibre dans l’exercice des différents droits fondamentaux au sein d’une société régie par ces derniers.

Contrairement à ce qui est entendu trop souvent, on ne soumet pas un droit fondamental à un autre, on les équilibre, on les exerce ensemble, avec pondération et respect. La limitation d’un droit fondamental, quel qu’il soit, doit toujours être proportionnelle au but recherché, circonscrite dans le temps, argumentée de façon objective et factuelle, et être enfin la plus légère possible dès lors qu’aucun autre accommodement raisonnable n’aurait pu être trouvé de façon concertée pour éviter la limitation de ce droit. Droits et limitations ne sont jamais absolus comme l’a démontré avec constance la Cours européenne des Droits de l’homme.

Dès lors, en venir à justifier la suspension pure et simple d’un droit par la liberté supposée que cela offrirait à d’autres revient à anéantir purement et simplement l’édifice des droits fondamentaux inaliénables de tout individu sur lesquelles reposent nos sociétés. C’est un rapport similaire à des principes, et non au droit, qui, dans un autre contexte, a conduit à Guantanamo. Alors, cette laïcité-là est-elle encore soluble dans les Droits de l’Homme ? Plus sous cette forme en tous cas. C’est pourquoi il est urgent de dés-idéologiser nos approches de la Laïcité et, par dessus tout, de revenir et revenir encore aux Droits de l’Homme comme étalon incontournables de nos convictions et de leur mise en œuvre dans notre gestion commune de la Cité.

Michael Privot
Islamologue

1 Voir N. Geerts, Le port du voile à l’école, Tribune de la CGSP enseignement, reprise par la Revue de la Maison de la laïcité à Verviers, pp. 12-13.

Mobilisation des musulmans sur les enjeux européens: Interview sur Mediane.tv

Une petite réflexion partagée sur l'absence de mobilisation des musulmans sur les questions européennes, et en particulier la lutte contre les discriminations qui les concerne tout particulièrement.

Voir à partir de la 5:10' ici.

Je vous conseille cependant de tout regarder dès le début, car l'initiative du European Forum of Muslim Women à l'origine de cette interview est très intéressante.

30.9.08

Patrick Haenni: Egypte: la blogosphère islamiste – miroir d'un nouveau militantisme et facteur de tensions internes au sein des Frères musulmans

Je ne peux que vous recommander la lecture cet excellent article de Patrick Haenni qui ne cesse de confirmer ses talents d’analyste briseur de tabous et d’idées toutes faites, en mettant en lumière l’amplitude de l’impact de la modernité sur les sociétés musulmanes et certaines organisations qui y sont particulièrement actives – les Frères Musulmans pour ce cas-ci.

Très détaillé, cet article démontre comment la blogosphère islamiste en Egypte « participe au renforcement d’une nouvelle tension au sein de la confrérie [des Frères Musulmans] entre un courant protectionniste dans son rapport à l’organisation, le courant du tanzim, et un nouvel esprit militant marqué par un «concordisme» (tawfiqiyya) politique et culturel, c’est-à-dire l’acceptation de l’ouverture sur le champ politique, sur les acteurs non religieux de la société civile et sur les références culturelles non islamiques et en rupture avec la militance » telle qu’elle s’était développée au sein des Frères.

J’y ai retrouvé toutes les thématiques auxquelles les Frères d’Europe sont confrontés et, même si l’article se conclut sur une rentrée dans les rangs des bloggeurs critiques qui semble plus être causée, une fois encore, par la nécessité de réduire au maximum les dissensions internes pour faire face à la féroce répression du régime en place, je trouve encourageant que le débat ne soit pas clos et qu’il puisse se poursuivre en Europe notamment.

A titre de réflexion personnelle, on peut dire que le pragmatisme et le localisme des Frères a pour effet négatif paradoxal de fragmenter la mouvance et d’empêcher un plus grand débat interne véritablement transnational sur les problématiques communes qui les concernent (droits de l’homme, militantisme, élimination de l’héritage qutbiste…), des Etats-Unis à la Chine, en passant par l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est. C’est un horizon de communication qui reste à explorer, voire à créer, en tous cas pour ceux qui n’ont pas accès à la langue arabe.

Vous trouverez ici l’article en format pdf.

Voir le site Religioscope sur lequel l'article à été publié. A visiter impérativement: une véritable mine d'informations pour ceux qui s'intéressent au religieux en Europe et dans le monde.

11.9.08

Les musulmans d'Europe dans le calcul de la terreur

Article publié sur Saphirnews le 7 octobre 2005

Le contexte: en ce jour anniversaire du 11 septembre 2001 qui a marqué - c'est devenu un poncif - un tournant radical dans les relations internationales, mais aussi dans la façon dont les communautés musulmanes sont devenues majoritairement perçues comme une menace pour la sécurité nationale de nombreux Etats, il m'a semblé intéressant de republier un article que j'avais écrit à la suite des attentats de Londres de juillet 2005. Frappé par la grande confusion et l'indécision qui règnaient au sein du leadership communautaire musulman européen à la suite de ces attentats, j'ai essayé d'attirer l'attention sur la nécessité d'un positionnement clair et sans équivoque à l'heure où certains terroristes se revendiquant de l'islam tentent d'instrumentaliser le développement d'un rejet massif des communautés musulmanes européennes pour pousser ces dernières dans les bras d'un radicalisme politique anti-occidental et potentiellement violent. Je crois que l'essentiel est toujours d'actualité aujourd'hui: un leadership musulman qui ne sait comment gérer la radicalisation rampante d'une partie de sa base ni la dérive de celle-ci vers des logiques d'enfermement sur soi, d'exclusion, voire de réification de l'autre (le kâfir en l'occurrence). Certes, aucun attentat à l'horizon, mais je ne suis pas convaincu que des mesures efficaces, au niveau communautaire, aient été adoptées.

Les terribles attentats de Londres ont soulevé une vague de répulsion unanime, comme il en alla, à juste titre, pour les attentats de Madrid, d'Istanbul, de Bali et de New York. Les communautés musulmanes, particulièrement en Occident, mais également dans le reste du monde, se sont jointes, de façon massive et sans équivoque, aux condamnations indispensables de ces actes odieux.

Dont acte. Ceci étant, dans une perspective musulmane, il n’en reste pas moins que cet élan – attendu et nécessaire – de condamnations ne va pas sans laisser en son sillage quelques points d’interrogation dérangeants.

1. Cet empressement des Etats, des organisations, des associations, des groupes, voire d’individualités musulmans à clamer leur sincère condamnation de toute violence à l’égard de civils, musulmans ou non, ainsi que de toutes les lectures rétrogrades et les manipulations de l’Islam menant à de tels actes de violence, jette une lumière crue sur la véritable incertitude et la crainte profonde dans lesquelles vivent nombre de musulmans de se voir assimilés de près ou de loin à ces dérives sanglantes.

S’il est non seulement éthiquement recommandable mais indispensable de condamner ces comportements extrêmes, on peut regretter que cela se fasse en partie sous la contrainte en ce qui concerne les musulmans. Quel être humain équilibré pourrait pourtant rester insensible à la souffrance et à la désolation causées par ces carnages gratuits ? Mais la coercition morale poussant à l’obligation de la condamnation sous peine de se voir soi-même accusé de collusion avec le terrorisme rend la déclaration de soutien parfois particulièrement amère. Le calcul en vient parfois à s’y disputer avec la compassion, alors que l’on souhaiterait légitimement ne se contenter que de cette dernière. Mais qui pourrait en vouloir à ces musulmans et musulmanes qui voient trembler, lors de chaque attentat, les fragiles relations de confiance qu’ils parviennent à établir avec leur entourage institutionnel, associatif ou banalement relationnel ?

On peut le comprendre : ceux qui ont le plus à perdre sont souvent les musulmans réputés plus conservateurs, l’amalgame étant vite fait, de part et d’autre, entre conservatisme et jihadisme terroriste. S’il est vrai que l’on peut constater que les auteurs d’attentats font rarement – pour ne pas dire jamais – partie de groupes de musulmans libertins, cela n’en signifie pas pour autant que tout individu plus ou moins conservateur serait un terroriste en puissance.

2. D’autre part, cette pression diffuse amenant les musulmans à se justifier ne fait que révéler la lourde méfiance que nourrit, en Europe et aux Etats-Unis, la société dite majoritaire envers ses minorités musulmanes, en dépit des démentis publics et des déclarations de bonnes intentions. Et qui pourrait également la blâmer pour cela : les terroristes provenaient de nos communautés. Et ils appartenaient à des groupuscules particulièrement conservateurs. Certes, la société dite majoritaire doit apprendre à faire la différence, mais il faut avouer que les musulmans eux-mêmes ne lui rendent pas toujours la tâche facile et ne lui fournissent pas toujours les clés de compréhension nécessaires. La question qui se pose dès lors est la suivante : n’est-il pas plus que temps de commencer à faire le ménage au sein de nos communautés ainsi que parmi les discours qu’elles véhiculent ?

En effet, point positif tout d’abord, depuis quelques années, le discours médiatique des musulmans en général s’est fortement clarifié en ce qui concerne ces problématiques d’action politique violente. Pour autant, cela ne doit pas nous aveugler quant à la permanence de certains discours rampants qui justifient, voire légitiment, ou tout simplement banalisent et rendent acceptables ces formes abjectes de violence, au nom d’autres formes de violence commises par des forces armées étrangères sur des populations hétéroclites dont le trait commun serait leur seule islamité.

S’il est vrai que les responsables communautaires développent à ce sujet, et à destination interne des communautés musulmanes cette fois, un discours de plus en plus ferme, parallèle au discours médiatique, l’accent reste mis sur la condamnation a posteriori et le rappel ponctuel de versets ou hâdîth excluant toute forme de violence à l’égard de civils et d’innocents, musulmans comme non musulmans, ainsi que du fait que « cela ne fait pas partie de l’Islam ! ». Cependant, ces attentats ne sont que l’expression paroxystique de processus de maturation se déroulant dans des groupuscules évoluant au sein même de nos communautés et qui se nourrissent des ressentiments, des sentiments d’échec, d’exclusion, de faillite, d’humiliation,… en suspens dans notre psyché communautaire. Et l’on ne sait que trop bien aujourd’hui où peut mener, chez nos jeunes, particulièrement réceptifs à ce mal-être, une inopportune fragilité morale, sociale, familiale, individuelle, identitaire, que d’aucuns n’hésitent pas à exploiter au profit de leur cause. La responsabilité des leaders communautaires n’est-elle dès lors pas d’agir en amont ?

3. Car, effectivement, ceux qui en viennent à commettre ces atrocités ne vivent pas sur une autre planète. Ils sont en plein centre de notre monde, de notre vie, parfaitement au courant de ce qui se passe et de ce qui fait battre le cœur de nos communautés. Que ce soient les ressources technologiques utilisées, les modes de financements, bien souvent illégaux (trafic de drogue, voitures, cartes bancaires volées,…), ou encore les justifications avancées pour leurs actes[1], tout cela démontre l’acuité de leur présence dans le monde, même si la vision théologico-juridique qui les anime est le fruit d’une raison délirante abandonnée à elle-même, cultivant la haine, et le mépris de l’Autre. Or, si de nombreuses personnalités musulmanes et non musulmanes ont souligné que l’Islam n’a cessé d’être pris en otage de New York à Londres, il semble de plus en plus évident que les musulmans également, et pas seulement l’Islam, soient les otages de calculs sordides.

Les membres des groupuscules jihadistes vivent en Occident.

Ces groupuscules ne peuvent pas ignorer que chaque attentat produit automatiquement un choc en retour contre les communautés musulmanes : augmentation du niveau de l’islamophobie (au sens étymologique du terme), agressions verbales, physiques, déprédations de mosquées, de centres communautaires, voire de commerces appartenant à des musulmans… Certains justifient cela comme des dégâts collatéraux autorisés par le triomphe de la bonne cause et produisent à leur appui certaines arguties jurisprudentielles qu’ils voudraient voir considérées comme « halalisant » leur débauche de violence.

Mais, plus subtilement, il est temps que les communautés musulmanes réalisent qu’elles font partie également de ce calcul de la terreur : oui, bien sûr, en tuant un maximum d’Occidentaux « impies » au cœur même de leur quotidien, ces individus espèrent faire plier les Etats dont ils visent les populations. C’est la partie la plus évidente du calcul, la seule qui soit médiatisée. Mais, ces prétendus barbares – et quand on les qualifie de « barbares », on s’interdit toute analyse plus fine de leurs motivations, car hors de portée de la raison –, ne s’arrêteront certainement pas là. N’est-il pas vrai que plus on oppresse un peuple, plus il se durcit, et plus il se mobilise contre l’oppresseur ? De là, le pas peut être franchi : plus les musulmans d’Occident (les traîtres qui ne participent pas à la guerre contre l’oppresseur croisé et laissent leurs frères se faire tailler en pièces !) seront humiliés, violentés, discriminés, ostracisés, plus ils envisageront sérieusement la révolte contre les sociétés dans lesquelles ils vivent. Une stratégie d’exaspération et d’usure est payante, en terme de recrutement de main d’œuvre, à moyenne échéance. Les derniers éléments d’une enquête menée récemment en Angleterre montrent tristement que les nouveaux candidats terroristes sont des jeunes, nés dans ce pays, sans passé judiciaire, radicalisés à force d’exclusion et prêts à se mobiliser pour ce qui leur sera présenté comme une juste cause pouvant donner sens à une vie sans autre horizon que l’exclusion « à perpète ».

Dès lors, pour les responsables communautaires musulmans, il ne s’agit plus seulement de condamner tout en se disant que les communautés musulmanes ne sont en soi qu’un élément périphérique du problème. Au contraire, elles en sont l’épicentre à plus d’un titre : elles sont une variable du calcul d’action violente de ces groupuscules, elles en sont les victimes directes (dans les attentats) et indirectes (dans le choc en retour), elles servent de matrice à ces groupuscules jusqu’à un certain point (dans le bric-à-brac idéologique et dogmatique qu’elles véhiculent et dans lequel elle s’abstiennent de mettre de l’ordre) et, enfin, elles évitent d’affronter directement ces problématiques.

Bien sûr, les moyens et les ressources humaines manquent cruellement pour envisager des actions à grande échelle. Bien sûr, les prêches du vendredi ne suffisent pas à faire évoluer la communauté, sinon cela ferait longtemps que tout aurait été dit et mis en acte. Bien sûr, le dit des mosquées est déjà amplement contrôlé, et à juste titre en l’état actuel des choses, par les services nationaux de sécurité, voire par les services consulaires, et l’on sait que nos responsables font particulièrement attention, avec raison, aux messages ainsi délivrés de façon hebdomadaire. Reste qu’il faut faire avec les moyens du bord, et les prêches, les leçons, les assises, les familles (usra) sont des vecteurs essentiels de tout discours, positif comme négatif. Les groupuscules jihadistes l’ont bien compris, avec les résultats que l’on connaît.

Il est impératif aujourd’hui que les leaders communautaires prennent le risque de bousculer un peu plus leurs ouailles dans leurs convictions, leurs certitudes, leurs préjugés, leurs lectures du monde. Si on ne peut pas faire grand’chose face à des mastodontes comme al-Jazeera, un véritable travail communautaire d’information et de désamorçage des tensions au travers de discours et d’actions coordonnés, matures et responsables peut sans aucun doute avoir un impact durable sur la construction de communautés équilibrées et bien insérées. Pour autant qu’on lui en donne la chance. Trop souvent, on assiste, au sein de nos communautés, à des silences complices. On ne relève pas certains éléments du discours de nos interlocuteurs par lassitude, par manque de temps, pour éviter les ennuis ou les conflits ou encore parce que l’on se dit que ce n’est pas grave de la part de cet interlocuteur précis, qui serait loin d’être un jihadiste. Impossible, en effet, de relever chaque dérapage ! Mais sait-on seulement après combien de dérapages de la sorte, la vie d’un individu peut basculer vers la haine et la volonté de détruire ?

Aujourd’hui, leaders communautaires, détenteurs du discours officiels, mais aussi chacun d’entre nous, nous sommes face à cette responsabilité : être proactifs, et tenter de ne rien laisser passer, mais surtout être cohérents, du minbar à la usra. Et combattre sans répit la haine, le racisme, les préjugés et les délires paranoïaques ou « victimisants » qui minent nos communautés.

On ne peut plus laisser nos coreligionnaires dans l’incertitude, dans l’absence totale de repères clairs, dans le désarroi moral, face à ces situations de crise complexes mettant en cause leur vision du monde, leur sentiment d’allégeance, voire même la fragile architecture de sens qu’ils essayent de bricoler au quotidien. A l’heure où les certitudes identitaires de beaucoup se fissurent ou s’effondrent, les responsables communautaires n’ont plus droit à l’indécision, au manque de courage ou au silence. Les communautés ont cruellement besoin de sens et de guidance, et elles se tourneront vers ceux qui leur fourniront un prêt-à-penser un tant soit peu structuré. Au risque qu’il soit en complet décalage avec leur réalité quotidienne de communautés en processus d’insertion et de négociation avec des sociétés majoritairement non musulmanes. Avec les conséquences funestes que l’on ne connaît aujourd’hui que trop bien.

Or, nous possédons un ensemble de valeurs et un message qui nous fournissent des moyens très efficaces pour répondre à cette situation, même si certains aspects devraient encore être développés en fonction de nos contextes locaux respectifs. Mais, ça, c’est au niveau du discours. Maintenant, au niveau des actes, il faudra se confronter à la question de la loyauté sincère développée dans les discours médiatiques. A titre d’exemple, jusqu’où irons-nous si il était porté à notre connaissance que de tels actes sont en préparation ? Attendrons-nous que soit commis l’irréparable pour pleurer sur les victimes ? En espérant que nous ou nos proches n’en faisions pas partie…

[1] A ce propos, remarquons également en passant que, bien que ces massacres soient commis au nom des souffrances des musulmans en Palestine, en Irak, en Tchétchénie ou en Afghanistan, aucun ressortissant de ces pays ne faisait partie des commandos meurtriers. Pourtant, chacun de ces pays bénéficie d’une large diaspora, en Europe ou aux Etats-Unis, particulièrement mobilisée pour leur propre cause. Cela pose de manière définitive la question de la légitimité de la cause revendiquée par ces groupuscules violents. Au nom de qui, de quoi, agissent-ils quand les premiers concernés n’ont pas recours à de telles méthodes qui ne font que desservir leurs objectifs ? N’y a-t-il pas là détournement frauduleux de luttes nationales au profit de tentatives de mobilisation de communautés diverses dont, à nouveau, le seul dénominateur commun serait l’Islam ? Et dans quel but ?

Vendredi 07 Octobre 2005
Privot Michaël

6.7.08

Un mufti, pour quoi faire ?

Carte blanche publiée dans Le Soir du 18 novembre 2006.

Michaël Privot, Islamologue, administrateur d'un centre islamique

Le contexte: un peu plus loin encore, fin 2006, apprenant que l'EMB envisageait sérieusement de créer le poste de muftî de Belgique, je décidai de réagir et de mettre en avant un certain nombre d'arguments démontrant que la demande paraissait pour le moins inopportune et peu réfléchie. J'apprendrai après la publication de cette carte blanche qu'il n'y avait pas, derrière cette revendication, de véritable motivation religieuse, mais plutôt une approche très matérialiste: "les catholiques reçoivent de l'argent pour rémunérer un cardinal. Nous aussi on veut son équivalent: un muftî de Belgique". On croit rêver. Heureusement, du fait des multiples mésaventures de l'EMB, le projet a été remisé au placard. Jusqu'à quand?

Le débat du samedi
Les catholiques ont leur cardinal. Les israélites leurs grands rabbins. Des musulmans réclament un mufti de Belgique. Inattendue, la revendication suscite la méfiance d'autres fidèles de l'islam. Un enjeu de société.

La soudaine revendication d'un mufti par «les» musulmans interpelle à plus d'un titre, suite à la publication du rapport d'experts sur le financement public des convictions religieuses reconnues et de la laïcité organisée qui défend, à juste titre, un traitement plus équitable entre ces dernières (Le Soir du 8 novembre).

Tout d'abord, de quels musulmans s'agit-il ? Fréquentant assidûment la communauté musulmane de Belgique depuis de longues années, c'est pourtant la première fois que j'entends cette demande. Certes, personne ne discute la nécessité d'une autorité religieuse qui éclairerait avec sagesse et intelligence le cheminement spirituel des musulmans, en harmonie avec les exigences de leur ancrage temporel dans la société belge. L'actuel «comité des théologiens» n'a guère de crédibilité de par le faible bagage théologique et juridique possédé par la plupart de ceux qui y siègent. Mais un mufti est-il la solution adéquate qui emporterait l'adhésion des musulmans de Belgique ?

Plutôt qu'une revendication légitime de l'ensemble des musulmans, cette demande paraît plus relever du souhait de quelques membres de l'Exécutif des musulmans de Belgique dont la faible représentativité est par ailleurs largement reconnue. On ne peut également s'empêcher de penser qu'il y a là tentative d'importer un modèle très culturellement connoté de gestion étatique de l'islam. C'est en Turquie qu'une véritable hiérarchie de dignitaires religieux fut instaurée sous la houlette des dirigeants ottomans et dont l'actuelle Diyanet n'est qu'un avatar.

Mais au-delà de ce que certains comprendront comme une énième tentative d'ingérence étrangère sur une communauté musulmane essentiellement belge, l'importation d'un tel modèle risque de ne pas apporter l'apaisement espéré par d'autres.

Car si les musulmans ont pu relativement facilement accepter de s'intégrer dans le système très particulier de gestion des cultes «à la belge», c'est que la création de l'EMB a pour seule raison d'être de gérer le temporel du culte et non de présenter une hiérarchie religieuse structurée qui édicterait la norme en matière de doxa et de praxis. Certes, il serait peut-être intellectuellement confortable de voir un grand mufti représenter la communauté musulmane aux côtés d'un grand rabbin ou d'un cardinal, mais est-il pour autant nécessaire de vouloir imposer à tout prix ce type de structuration à celle-ci ? Ce qui fait sa richesse et sa complexité, c'est justement cette pluralité d'approches et de tendances dont la plupart sont légitimes.

L'institution d'un mufti peut aisément se concevoir dans une contrée dont la majorité de la population dépend d'une seule école juridique et où la restriction des possibilités de divergences doctrinales répond également à des nécessités politiques. La Belgique, du fait même de l'immigration de communautés musulmanes provenant d'horizons très divers, s'est enrichie de la présence de la plupart des écoles juridiques musulmanes, sunnites comme chiites ou même khâridjites. Or rares sont ceux qui, aujourd'hui, dans le monde, maîtrisent les quatre principales écoles juridiques, pour ne parler que du sunnisme. Où trouver cette perle rare qui, en outre, serait parfaitement au fait des réalités belges et parlerait, cerise sur le gâteau, tant le français que le néerlandais ? Par ailleurs, le revers de la médaille de la diversité juridique, c'est l'absence de consensus. Aussitôt le mufti aurait-il donné un avis, nombreux seraient ceux qui s'empresseraient de ne pas en tenir compte.

Quel pourrait donc être le rôle d'un mufti unique dans un tel contexte ? Jurisconsulte, il n'a d'autre fonction que de délivrer des opinions juridiques. Aux croyants l'entière liberté de les suivre ou non, voire de les disputer. L'exemple de la Pologne est intéressant : alors qu'un mufti originaire de la minorité tatare a été reconnu par l'Etat, il est cependant contesté par les musulmans d'autres communautés en dépit du fait qu'il possède les compétences requises.

Bien que cette diversité soit souvent perçue de l'extérieur de la communauté musulmane comme un problème, voire une menace, il conviendrait au contraire de la considérer comme un atout et de la gérer de façon créative, au lieu de chercher à la restreindre à tout prix. C'est elle qui permet le débat interne et fait progresser les mentalités musulmanes, c'est elle aussi qui évite à la communauté de s'engouffrer unanimement dans une dangereuse radicalisation.

Quelle solution dès lors ? Une vaste consultation de la communauté sur ses attentes en matière de guidance spirituelle me paraît le préalable indispensable à toute démarche. Les références religieuses étant multiples et provenant tant de l'Europe ou des Etats-Unis que du reste du monde musulman, la communauté musulmane belge est joyeusement et anarchiquement polyphonique. C'est une réalité dont il faut tirer le meilleur parti.

Un conseil de théologiens - un terme un peu galvaudé au vu des ressources intellectuelles disponibles - ou, plus adéquatement, de jurisconsultes véritablement compétents, indépendant et ouvert à la diversité de la communauté, y compris ses voix les plus progressistes, ne serait-il pas une solution préférable, plus en phase avec les attentes de la communauté et prêtant moins le flanc à une inévitable contestation ?

Exécutif des Musulmans de Belgique : clarifier les enjeux sous un autre angle

Carte blanche publiée dans Le Soir du jeudi 06 mars 2008 (disponible ici).

Michael Privot Islamologue, administrateur d'une mosquée reconnue en Wallonie

Le contexte: Ma précédente interview publiée par Saphirnews (voir post antérieur) m'a donné l'occasion d'approfondir quelques réflexions sur l'Exécutif des Musulmans de Belgique. En mars 2008, alors que l'EMB était en pleine tourmente et à la veille de l'élection d'une nouvelle équipe, Radouane Bouhlal avait suscité le débat en proposant l'organisation d'assises de l'islam visant à permettre, entre autres, à la communauté musulmane de prendre son avenir en main en débattant du type de structure qu'elle souhaiterait pour gérer le temporel du culte musulman en Belgique en tirant les leçons de l'expérience EMB. De nombreuses réactions ou contre-propositions ont été publiées. J'ai essayé de prendre un angle plus "original" pour en analyser l'impact.

Quand le ministre de la Justice, Jo Vandeurzen, a suspendu le versement de la dotation de l'Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) pour l'inciter à remettre de l'ordre en ses affaires, il ne s'imaginait probablement pas susciter une effervescence communautaire d'une telle ampleur. Avec pour point d'orgue, la démission du président de l'EMB il y a peu, suite à diverses inculpations.

Depuis près d'un mois, les communautés musulmanes belges vivent au rythme des propositions et des contre-propositions de sortie de crise. Qui y va de son commentaire, qui de son offre de service au nom d'agendas qui, pour certains, ne pèchent pas toujours par excès de transparence. Le monde politique n'est pas en reste. Pour le meilleur et pour le pire, la gestion du temporel du culte musulman est au cœur même de la res publica. Tentons donc un essai de clarification des enjeux sous un angle jusqu'ici peu approfondi par les différents protagonistes : l'ingérence des pouvoirs étrangers.

Face aux soupçons récurrents de double allégeance, il est de bon ton, pour les musulmans d'origine allochtone, de légitimer leur voix dans l'espace public en dénonçant, presque par automatisme, les influences étrangères et les réseaux des ambassades. En tant que citoyen belge converti à l'islam, demandeur au premier chef du développement d'un islam «indigène» et pluraliste, modelé selon notre contexte culturel et sociétal spécifique, je ne peux qu'applaudir de telles déclarations. Mais quel est l'envers du décor à l'heure où un certain nombre d'Etats étrangers engagent des dynamiques visant à orienter ou encadrer la pratique cultuelle de leurs ressortissants, alors que la plupart sont désormais de nationalité belge ?

Trois propositions sur l'avenir de l'EMB ont été récemment formulées. Sous l'angle du risque de l'ingérence extérieure, elles peuvent être classées selon l'ordre décroissant suivant :

1. Reconnaissant lui-même l'inefficacité structurelle de l'Institution qu'il présidait pourtant jusqu'il y a peu, Beyazgül Coskun propose de confier la gestion du temporel du culte musulman aux grandes fédérations, sur le modèle du Conseil français du culte musulman. Séduisante sur la forme – cela réduirait drastiquement le nombre d'interlocuteurs autour de la table –, la proposition n'en est pas moins perfide. Il n'existe en effet que deux véritables fédérations en Belgique, toutes deux turques d'ailleurs : la Diyanet, réseau d'une septantaine de mosquées (sur environ 350), directement sous le contrôle de l'Etat turc, et le Milli Görüs, réseau international jadis fondé par M. Erbakan et comptant une trentaine de mosquées dans notre pays. Aucune réelle fédération n'existant pour les autres communautés, cela revient à proposer que l'Etat turc gère directement les affaires des musulmans de Belgique. Pourquoi ne pas faire de ceux-ci une «néo-Milet» post-ottomane ?

2. Plus subtile mais pas moins troublante, la proposition récente d'Abdelghani Benmoussa et consorts de faire reposer la représentation institutionnelle des musulmans sur les mosquées officiellement reconnues, permettrait en vérité tant à la Diyanet qu'aux mosquées proches, entre autres, des autorités marocaines de piloter les musulmans de Belgique en bonne intelligence. Perspective d'autant plus préoccupante que les mosquées «non alignées» reconnues seraient minoritaires dans une telle structure et sans réel moyen de promouvoir un Islam d'ici, soustrait aux influences étrangères. Le soutien officiel à cette initiative de la part de certains mandataires politiques belges réputés proches du Makhzen ne peut que renforcer les soupçons légitimes des musulmans qui ne se reconnaissent pas dans un tel régime des mosquées.

3. Les assises de l'Islam de Belgique proposées par Radouane Bouhlal ont véritablement agité le Landerneau musulman et suscité, chronologiquement, les contre-propositions décrites ci-dessus. Sans nier les difficultés d'une telle entreprise ni les nombreux risques de récupération politique dont elle ne manquerait pas de faire l'objet – si tout le monde est invité, il est évident que les réseaux diplomatiques tenteront de s'y inviter aussi en chevaux de Troie –, de telles assises auraient à tout le moins le mérite d'inaugurer un processus inédit de réflexion pluraliste, démocratique et transparent pour une réforme de la gestion du temporel du culte musulman. Disons-le clairement, tout participant n'aura probablement pas d'autre choix que de formuler explicitement sa vision et ses propositions, cartes sur table. Ce que redoutent sans l'avouer nombre de parties prenantes institutionnelles de ce dossier. Ce qui explique aussi l'agressivité, perceptible sur le terrain, des réseaux officiels marocain, turc et saoudien à l'encontre de la tenue d'assises.

Autre atout non négligeable de cette dernière proposition, elle pousse les musulmans à s'approprier leur représentation institutionnelle en participant activement à son élaboration – un processus jusqu'à présent confiné à un club très select de leaders communautaires autoproclamés, fervents des discussions de couloirs.

À l'heure où d'aucuns sonnent prématurément l'hallali de l'EMB et que Jo Vandeurzen – défi supplémentaire – annonce la fin prochaine de son financement fédéral transitoire, une voie semble enfin être en train de se dégager pour son assainissement sous l'impulsion des réformateurs de son AG. Donnons-leur l'occasion de mettre sur pied un EMB provisoire, qui assurerait la continuité du service aux musulmans de ce pays.

Cette grosse épine hors du pied, un climat plus serein permettrait la tenue d'assises visant à sa réforme en profondeur. Car s'il existe un consensus au sein des communautés musulmanes aujourd'hui, c'est bien sur le fait que la situation est critique et qu'il faut y remédier. D'urgence. Et sans concession.

24.6.08

Michael Privot : 'La crédibilité de l'EMB est réduite à néant'

Entretien avec Michael Privot, islamologue

Publié sur Saphirnews le 24 juin 2008. Voir aussi un autre article basé sur une interview publiée récemment dans le quotidien français La Croix. Je fais une pause dans la publication d'articles précédents pour plonger à nouveau dans l'actualité. Cela me permettra également d'enchaîner avec la publication d'autres petits articles liés à la question de l'EMB.

L'Exécutif des musulmans de Belgique traverse une ènième crise et Saphirnews a choisi de donner la parole à l'islamologue belge Michael Privot, afin d'en connaître les tenants et aboutissants. Entretien.

Saphirnews : Pouvez-vous vous présenter ?
Michael Privot
: Je suis islamologue, membre du Conseil d'Administration et porte-parole d'une des plus grandes mosquées reconnues officiellement par l'Etat belge. A ce titre, je suis également directement impliqué dans la problématique de l'institutionnalisation de la représentation des musulmans de Belgique depuis plusieurs années.

Quelle est cette nouvelle crise qui secoue l'Exécutif des musulmans de Belgique ?
M. P. : La crise actuelle (qui vient de s'achever – provisoirement ? – lors de la dernière Assemblée générale de ce vendredi 13 juin) ne constitue qu'un énième avatar des élections du 20 mars 2005. Ces élections avaient été fortement soutenues et encouragées par le Ministre de la Justice et des Cultes de l'époque. Elle avaient eu pour résultat notable de conférer une forte représentation aux tenants d'un islam proche des ambassades, tant du côté des populations d'origine turque que marocaine, les deux populations musulmanes majoritaires en Belgique (grosso modo, 60% de personnes d'origine marocaine, 30% de personnes d'origine turque et 10% de personnes de toutes origines, y compris les convertis, composent la communauté «musulmane» de Belgique dont les estimations numériques varient entre 400 et 500 000 individus).

Du fait du boycott des élections de 2005 par une partie importante de la population d'origine marocaine qui s'opposait à la tenue même d'un processus électoral dans les conditions difficiles qui étaient celles de l'époque, et ce pour des raisons multiples qu'il serait trop long d'expliquer ici, les représentants d'origine turque liés à la fédération de la Diyânet (DITIB – l'administration en charge du culte, directement dépendante d'Ankara) sont devenus le groupe le plus important d'une Assemblée générale composée de 68 membres. Assemblée au sein de laquelle sont élues les 17 personnes qui constituent l'Exécutif des Musulmans de Belgique, seul organe reconnu officiellement par l'Etat belge pour la « gestion du temporel du culte musulman ».

Du côté des élus d'origine marocaine, il n'y a pas de fédération de ce genre, mais un réseau d'influence beaucoup plus difficile à circonscrire et passant parfois par les canaux confréristes. Celui-ci est toutefois aussi efficace quand il s'agit de défendre un certain nombre d'intérêts strictement communautaires (au sens ethnoculturel du terme cette fois-ci).

Que s'est-il passé après les élections de 2005 ?
M. P. : Dès le départ, ces 2 groupes proches de leurs ambassades respectives et désormais majoritaires au sein de l'Assemblée générale se sont alliés pour contrôler toute la structure. Et pour cause, les enjeux étaient – et sont toujours – de taille :
  1. Reconnaissance officielle des mosquées par l'Etat belge (par l'intermédiaire des Régions wallonne, flamande et bruxelloises compétentes en matière de lieux de culte), impliquant le subventionnement de leur déficit annuel en matière d'entretien et de frais de fonctionnement,
  2. Reconnaissance corollaire de leurs imâms qui deviennent alors ministres du culte et fonctionnaires rémunérés par le Ministère de la Justice et des Cultes, comme le sont prêtres et rabbins,
  3. Contrôle des désignations des enseignants de religion musulmane dans les écoles publiques et détermination du curriculum,
  4. Quelques dossiers annexes comme la désignation des aumôniers de prison et hôpitaux, etc.
A l'heure où la question de la formation d'imâms « indigènes » en fonction de curricula répondant aux attentes de nos sociétés sécularisées devient de plus en plus pressante, des fédérations telles que la Diyânet qui importent directement de Turquie leurs imâms ne pouvaient prendre le risque de laisser d'éventuelles négociations en dehors de leur contrôle. Pareil pour la question du subventionnement des mosquées. Les autorités marocaines, quant à elles, ne pouvant toujours pas se résoudre à laisser s'autonomiser leurs ressortissants résidant à l'étranger au vu de la rente financière importante qu'ils représentent pour l'économie marocaine dans son ensemble, ont également tout intérêt à contrôler le discours religieux auquel sont soumis leurs ouailles et éviter tout discours qui insisterait sur la création d'un islam ancré en Europe quant à ses références. Celui-ci risquerait peut-être de détourner les fidèles d'une attache affective, mais surtout financière, avec le pays d'origine au fur et à mesure du passage des générations.

Dès lors, entre jeux de pouvoirs continus et absence singulière de bonne gouvernance (népotisme dans les nominations, abus de biens sociaux,…), l'EMB a été contraint de démissionner début 2008 par un vote de défiance de l'Assemblée générale faisant suite à une série d'inculpations de certains de ses membres. Il n'avait que peu d'éléments positifs à son bilan en dehors de la reconnaissance partielle d'une soixantaine de mosquées en Belgique (sur un total de près de 360).

Un nouvel EMB a été ensuite élu...
M. P. : Un nouvel EMB, issu de la même Assemblée générale, fut élu le 14 mars. Bien qu'il ait fait place à quelques jeunes réformateurs de toutes origines – dont la Vice-présidente Isabelle Praile, convertie et shî‘ite –, le fait que la Présidence de l'EMB soit toujours occupée par un affilié à la Diyânet et que des proches des réseaux consulaires turcs et marocains en soient toujours membres, a replongé l'EMB dans des enjeux de pouvoir et de représentation, alors que le financement de l'EMB sera définitivement arrêté en mars 2009. La structure actuelle n'a donc plus que quelques mois pour attaquer les trois chantiers prioritaires suivants :
  • avancer substantiellement dans le dossier de la reconnaissance officielle des mosquées et des imâms,
  • lancer une réflexion en profondeur sur la problématique de la représentation des musulmans de Belgique en vue de tirer les enseignements de ces 20 dernières années et proposer des alternatives durables,
  • assurer son propre financement sur des ressources qui restent encore à définir.
Bref, réaliser en 10 mois ce qu'il a été impossible de mettre sur pied en 10 ans.

Autant dire que rien n'est gagné et que l'existence d'un organe de gestion du temporel du culte musulman (EMB ou autre) est loin d'être acquise au moment où la Diyânet veut jouer en solo la carte des fédérations comme seules interlocutrices crédibles de l'Etat belge (et ce d'autant plus qu'elle est la seule véritable fédération existant en Belgique, à côté du Milli Görüs, deux fois plus petite cependant). Face à ces velléités, le Maroc tente de susciter le développement d'une fédération de mosquées qui lui serait proche, voire son propre conseil de savants.

Coût de l'opération : chaque partie fait fi de la nécessité d'élaborer une réflexion juridique prenant en compte la réalité du terrain belge et de sa diversité en matière d'orthodoxie et d'orthopraxie jurisprudentielles.

Pourquoi vingt-trois des soixante-huit membres de l'Assemblée générale de l'EMB ont présenté jeudi 12 juin leur démission ?
M. P. : En conséquence des enjeux mentionnés ci-dessus et face, manifestement, à l'impossibilité de faire vraiment avancer l'EMB dans la direction qu'ils souhaitaient, les démissionnaires, presque tous membres de la Diyânet, quittent un navire dont ils ne voient plus l'utilité et qu'ils ont amplement contribué à saborder. Leur objectif : tenter une ultime manœuvre de déstabilisation et de discrédit de l'équipe actuelle et tout miser sur la reconnaissance de leur fédération comme interlocutrice officielle de l'Etat belge. Il n'est point question ici d'esprit de réforme en profondeur de la représentation des musulmans de Belgique comme ils l'annoncent dans leur communiqué de presse, mais de mettre les musulmans de Belgique (ou en tous cas les membres que cette fédération représente) sous la tutelle de l'administration turque des affaires religieuses dont « l'indépendance » à l'égard du pouvoir central est bien connue.

A titre d'anecdote, les mosquées liées à cette fédération continuent par ailleurs, chaque vendredi, à implorer Dieu de bénir et de protéger leur pays… la Turquie, bien sûr ! Et ce, alors que la majeure partie de la communauté musulmane d'origine turque possède désormais la nationalité belge. Un bel exemple d'intégration s'il en est, mais in fine fort peu étonnant quand on apprend que le conseiller aux Affaires religieuses de l'ambassade de Turquie en Belgique irait jusqu'à dire qu'il préfèrera toujours traiter avec un musulman voleur qu'avec un non-musulman.

Un peu d'espoir quand même dans ce triste tableau : cette hégémonie administrative commence peu à peu à être contestée de l'intérieur par les membres de base de cette fédération. Mais combien de temps faudra-t-il pour y faire vraiment le ménage ?

Et pourquoi le ministre de la Justice belge Jo Vandeurzen refuse-t-il de réaccorder des crédits à l'instance ?
M. P. : Le financement de l'EMB était, dès l'origine, voué à s'éteindre une fois la reconnaissance des mosquées et des imâms achevée. Aucune date n'avait été avancée à l'époque, mais chacun présumait qu'un nombre d'années relativement limité y suffirait. 10 ans ont passé et seuls 15% des mosquées ont été partiellement reconnues. Face aux situations de blocage répétées que connaît l'institution pour des raisons multiples dont j'ai exposé certaines ci-dessus, l'Etat belge commence à montrer une certaine impatience face à une institution qui tarde à délivrer des progrès concrets. L'avenir proche ne semble pas offrir, en outre, de perspectives outrageusement optimistes en la matière.

En l'occurrence, étant donné que l'Etat ne peut intervenir directement dans les affaires internes du culte pour cause de séparation des pouvoirs, il reste peu de moyens à ce dernier pour tenter de faire avancer les choses à part menacer de couper les ressources financières de l'EMB si la communauté musulmane ne propose pas une institution fonctionnelle, efficace et gérée de manière professionnelle. Et ce d'autant plus que le précédent EMB a quitté ses fonctions en laissant un trou de près de 300 000€ dans sa comptabilité !

Si une telle mesure peut paraître faire sens d'un certain point de vue, on touche pourtant là à l'un des paradoxes, voire une des contradictions les plus dommageables de la gestion du dossier de l'institutionnalisation de la représentation des musulmans de Belgique par l'Etat belge lui-même. D'un côté, il tient un discours encourageant fortement à l'intégration des musulmans de Belgique au sein de la population majoritaire et à leur émancipation des tutelles étrangères, mais ne cesse parallèlement de sous-traiter leur gestion concrète, d'une façon comme d'une autre, à des Etats étrangers au travers de leurs réseaux d'influences plus ou moins formalisés. Cette politique schizophrénique joue évidemment un rôle crucial dans la situation actuelle. Elle entraîne :
  • un manque de clarté pour les musulmans vis-à-vis des attentes et des promesses de l'Etat belge ;
  • une application de standards différents pour les citoyens belges de confession musulmane par rapport à leurs concitoyens d'autres confessions ou convictions puisque le traitement de leurs affaires reste soumis à des ingérences étrangères plus ou moins fortes s'exerçant en dehors de tout contrôle démocratique ;
  • ou encore une application d'obligations discriminantes, à la limite de la légalité, à l'instar du dernier règlement électoral imposé par une commission d'experts désignée par le Ministre des Cultes (i.e. la nécessité de l'auto-désignation des électeurs selon des catégories ethnoculturelles en vue de la création de collèges électoraux artificiels (marocain, turc, converti, autre))...
Loin d'être un interlocuteur neutre, l'Etat belge est une partie prenante active de ce processus d'institutionnalisation et a donc une responsabilité importante, mais non assumée, dans la situation actuelle de l'institution.

Les difficultés auxquelles doit faire face l'EMB peuvent-elles être comparées à celles auxquelles fait face le CFCM en France, à savoir les conflits de nationalités et autres luttes d'influence ?
M. P. : Oui, si l'on s'en tient aux conflits de nationalités et autres luttes d'influence. Pour ce qui relève des autres aspects de la problématique française, je ne suis pas assez informé pour pouvoir pousser plus loin la comparaison. Ceci étant, on retrouve chez un certain nombre d'élus la même quête de légitimation, d'accession au capital symbolique, voire politique (on traite avec les ministres ou leurs administrations), les mêmes stratégies de notabilisation intra- voire extracommunautaires, etc. L'accumulation de ces multiples dimensions individuelles ajoute évidemment à la complexité de la compréhension des enjeux institutionnels de cette représentation.

Enfin, comment est perçu l'EMB par les musulmans Belges ?
M. P. : Autant dire que sa crédibilité est réduite à néant. Les musulmans avaient investi, peut-être à tort, beaucoup d'espoirs dans ce processus. Nombreux étaient également ceux qui avaient des attentes ne correspondant d'aucune façon au mandat de l'institution (e.g. défendre le port du foulard dans les écoles, prendre des décisions jurisprudentielles en la matière,...), ce qui n'a pas manqué de conduire à de lourdes déceptions.

Mais au-delà de ça, la population est plus choquée par les "affaires" diverses qui ont entaché la gestion de l'EMB et par la démonstration d'une incapacité à s'entendre et à collaborer en faisant fi des intérêts strictement ethno-communautaires pour traiter de l'intérêt général de la communauté musulmane de Belgique. Il est attendu, en effet, de personnes acceptant de prendre de telles responsabilités qu'elles fassent preuve d'une éthique exemplaire à la hauteur des valeurs promues par la communauté de foi qu'elles sont censées représenter. Et du fait de quelques canards boiteux qui n'ont pas pu départager entre les différents intérêts en jeu, c'est l'ensemble de l'institution et des personnes qui s'y sont investies qui sont frappés de discrédit. C'est dommage, mais prévisible.

En conclusion, lors des élections de 1998 et 2005, les musulmans ont démontré avec brio leur maturité démocratique en organisant de véritables élections libres et démocratique, ouverts à tou-te-s, devenant ipso facto la seule communauté convictionnelle de Belgique, voire d'Europe, à élire ses représentants au suffrage universel dans une telle transparence. Ils doivent maintenant tirer les leçons des douloureuses expériences de gestion, de négociation intracommunautaire ainsi qu'avec les autorités gouvernementales qui s'en sont suivies, pour envisager enfin, sereinement, un mode de représentation qui permette de contourner les obstacles apparus jusqu'à présent et ce en vue de faire émerger une véritable communauté musulmane de Belgique par delà la joyeuse diversité du patchwork des multiples communautés d'origine.

Lundi 23 Juin 2008
Propos reccueillis par Assmaâ Rakho Mom

16.6.08

A Muslim declaration of independence

Article publié dans le "Providence Journal", vendredi 25 Novembre 2005
(disponible à http://www.projo.com/opinion/contributors/content/projo_20051125_25mus.177be02b.html).

Le contexte: durant la même rencontre organisée par l'Ambassade des Etats-Unis à Bruxelles (voir article précédent), j'ai eu l'occasion de rencontrer Salam al-Marayati, du Muslim Public Affairs Council (http://www.mpac.org/), une organisation très intéressante qui se définit comme une "agence de service public travaillant pour les droits civils des musulmans américains, pour l'intégration de l'Islam au sein du pluralisme américain, et pour une relation positive et constructive entre les musulmans américains et leurs représentants. [...] MPAC a travaillé avec diligence pour promouvoir une communauté musulmane américaine vivante et pour enrichir la société américaine au travers de l'exemplification des valeurs islamiques de Miséricorde, de Justice, de Paix, de Dignité humaine, de Liberté et d'Egalité pour tous". Partageant manifestement nombre d'aspirations, Salam et moi avons pris l'initiative d'un communiqué "punchy" montrant que les musulmans, quel que soit leur point de départ, font maintenant partie intégrante des sociétés occidentales et qu'au même titre que tous les autres citoyens, ils ont les mêmes devoirs et bénéficient des mêmes droits. Ni plus, ni moins. Tout un programme.

BRUSSELS
AS TWO MUSLIMS of European and American background, we have just attended a conference on U.S.-Belgian Muslim dialogue as a means of raising the level of civic engagement among our respective Muslim communities. The conference was engineered by the U.S. ambassador to Belgium, Tom Korologos, and sponsored by non-governmental organizations in Belgium.
The discussions, which took place among people who were not diplomats or state officials, were centered on the fortification of the Western Muslim identity. By understanding our different experiences, we gained appreciation of the commonality of purpose of our two communities. It is time to establish and strengthen the Western roots of Muslim communities, as opposed to living off the respiration of transplanted roots from "back home."

This -- Brussels, Los Angeles, New York, Paris, London -- is home. We shed our cultural baggage while maintaining our Islamic values. We embrace our European and American cultures, while committing ourselves to serving our national and global Muslim communities. And we aim to examine our respective roles in order to raise the status of Muslims in the West -- as a way to answer perennial questions about isolation, extremism, women's rights, human rights, democracy and attitudes toward other faiths.

As Muslims have integrated into Western societies, it is time to shift from speaking from the margins to speaking from the mainstream. We know that there are groups and political forces whose aim is to keep us excluded from the Western mainstream, but we also know that there are more people of goodwill, who want to see our acceptance in society.

We reject the labels of "alien" or "foreigner" in our Western nations. Some of us were born in the West and became Muslim, and some of us were born Muslim and came to the West. Whatever our origin, we have arrived at our destination. We reject those who want to eject Islam from the United States or Europe; and we aim for our rightful place in society, through education and example.

It is a matter of raising the consciousness of our fellow Muslims to accept our new beginning in the West, and it is a matter of raising the consciousness of others that our acceptance in Western societies is in the West's best interests.

Our goal is to gain not religious converts but political converts to the "party" of the human family. We do not presume to have the answers, nor do we believe we are the answer or the only answer. But we are the opportunity for America and Europe to begin looking toward a brighter future. Without the civic participation of our Muslim communities, there are no solutions -- just a dark chapter following the dark pages of the past.

Our ability to shed light on the aspirations and frustrations of Muslim communities is a tool to be utilized by our governments, even if it is occasionally exploited.

While there is much talk of public diplomacy to the Muslim world, there is a growing realization that positive image building -- of the United States in particular and the West in general -- cannot take place without the involvement of the Muslim communities. There must be a parallel track of grassroots diplomacy (Muslims in Western countries in dialogue with Muslims of other countries) and government diplomacy (Western governments in dialogue with Muslim governments).

It was decided during the two-day conference to follow up with concrete steps, including an exchange of best practices in the areas of youth empowerment, combating domestic violence, and developing Islamic literacy among the Muslim masses.

This event was a moment for fostering the theology of inclusion and opposing the theology of exclusion. The multifaceted approach will help in a number of ways: It will end the notion that Muslims are persecuted in the West and take a point of exploitation away from extremists. It will give a legitimate voice to the mainstream Muslim community. And it will counter extremism fomented by alienation resulting from economic deprivation, social isolation and political exclusion.

We feel that we completed a historic journey on this short trip -- one that is as yet only leaving the dock in a global search for reconciliation among faiths, among peoples and among cultures.

Michael Privot is vice president of the Forum of European Muslim Youth and Student Organizations, in Brussels. Salam Al-Marayati is executive director of the Muslim Public Affairs Council, in Washington.

12.6.08

Change is in Our Hands: Ways in Which Belgian Muslims could Begin to Make their Integration a Reality

Article publié dans le Vol. 1, n°3 de février 2006 du bulettin de l'Association "Karamah, Muslim Women Lawyers for Human Rights (http://www.karamah.org/)".

Le contexte: étant à cette époque vice-président du FEMYSO (Forum of European Muslim Youth and Student Organisations, http://www.femyso.org/), j'avais été invité à une conférence organisée à Bruxelles, à l'automne 2005 par l'Ambassadeur des Etats-Unis, M. Korologos, pour échanger réflexions, expériences et bonnes pratiques entre musulmans belges et américains. A la suite de cela, j'avais été sollicité par une organisation participante américaine pour proposer quelques paragraphes de réflexion sur cette initiative.

Under the initiative of Ambassador Tom Korologos, the U.S Embassy in Belgium and the Belgian Royal Institute for International Relations, a conference convened that provided 30 American Muslims and 70 Belgian Muslims the exceptional opportunity to meet and discuss issues of common concern.

Thanks to the commitment of the U.S. Embassy staff, a positive material and relational framework was set up to facilitate and encourage participants to exchange and share experiences. Without those resources, such a dialogue would simply have remained unconceivable. But it took place! And we all benefited from this occasion to network and build good and strong intercontinental relations for years to come.

Yet, beyond those first positive impressions and results, a critical look at what happened still remains to be taken for the sake of intellectual sanity. In my opinion, the fact that the conference was entirely funded by the U.S. Government compelled many of us to reassess many stereotypes and prejudices about the reality of the relationship between Muslim communities and the Administration, and to depart from black and white ‘do-it-yourself’ simplistic worldview to consider more complex shades of grey. And if it “halalises” this meeting that would have looked very suspect to any intelligence service had it been organised by anyone else, one can only but regret that such a useful and positive initiative did not stem from the so called Muslim countries, whose embassies are as deeply involved on the Brussels’ scene. The fact remains that once again, save the building of mosques and trendy Islamic centres, Muslim officials and governments are (at least) one train late when it comes to community building, exchange of best practices and thinking for the future.

Now, as a Muslim Belgian, I still feel a kind of dismay at the picture that some Belgian participants gave of their communities. Perhaps the same is true for the American participants, but I do not have any direct personal knowledge of the situation of the American Muslim communities to be able to give a judgment on the possible gap between the delivered discourses and the grassroots reality. True enough, this was a first step that was not really meant to be in–depth, but exploratory. However, it strangely resulted in a form of reproduction of some stereotypes about our respective communities, although one could have expected more nuances from the part of Muslims expressing themselves about their own day to day realities.

I will focus on three main issues which should help clarify my point:

1) Muslim Politicians/MPs in Belgium
It was quite surprising for me to learn that many of the MPs or even ministers of Arab (essentially Moroccan) or Turkish background were presented as Muslims. Being myself ethnically European, this aroused in my eyes the lasting confusion in the minds of many Muslims from migrant descent between religion and ethnicity: being Moroccan or Turkish means being Muslim, which is a fallacy and a basic negation of the cultural and religious diversity of both the alleged countries of origin and the Belgian or wider European societies. The reality is that none of those politicians was elected on the basis of his/her religious affiliation but rather on the ground of his/her ethnicity. None of them has been campaigning on the religious aspect of his/her identity and very few of them have been publicly expressing themselves say by mobilising this religious identity in ethical debates (euthanasia, homosexual marriages, cloning, etc.) or in social controversies (the wearing of hijâb in secondary schools). Many of those politicians are also engaged in left-wing parties which are usually uncomfortable with the expression of one’s faith in the public sphere. What I am trying to say here is by no mean an expression of criticism or a judgment of value on their involvement and positioning. I just wish to underline the fact that there are no Muslim representatives in the Parliament, but just people from various ethnical and cultural backgrounds whose religion externally plays a minimal if no role at all in their political careers.

2) The Media and their Negative Portrayal of Muslims
Sure enough, one cannot deny the fact that some journalists or media have a certain political agenda in which the depreciating portrayal of Islam, Muslims and Muslim communities plays a key role. Yet, during our exchanges, I received the impression that it is a hopeless reality for Muslims.

I know that there are differences in the mindset of the populations (and thus, of the media) between Northern and Southern Belgium, where the former tends to be far more conservative and often cooks up far right ideas. But I cannot place all the blame entirely on the media. The media is a complex world with its own rules, demands, deadlines and shortcomings; it is not per se against Islam and the Muslim communities. It is true that there is much ignorance, but I personally met many media people who were eager to learn and who expressed their deep regret that they had too little time to become acquainted with the world(s) of Islam. Muslims should understand that for outsiders, Islam and Muslim communities are an intensely complex universe. Journalists unfortunately do not have the time to try to understand the complex direct, indirect or even subliminal relationships existing between people, groups, ideologies, religious interpretations, cultures, traditions, national and/or ethnical interests that are all intrinsically linked within the Muslim magma. Moreover, Muslims should also quit being self-centred and should start realising that the media’s treatment of many other minority groups is very similar in terms of the stereotyping they endure (i.e. Roma minorities, anti-globalisation movements, etc.).

Therefore, before blaming the media for not portraying us not nicely but at least objectively (i.e. telling what is right and wrong, according also to their perspective and not only ours), Muslims in Belgium (and Europe) should make great efforts to communicate more effectively and accurately to the Western audience. They need to articulate who they are, as a community, what they think, what they do and what they plan (if they ever managed to reach this last stage!). Very strangely, I often noticed that the individuals who are the most suitable to deliver such a message to the broader community are refusing to speak out. This is due to their fear of the media. But change has to come from somewhere, so let’s start with ourselves.

3) The Financial Condition of Muslims in Belgium
Masâkîn! That’s what I was thinking, my hand in the pocket, ready to give, when hearing the reports. It is a fact that the socio-economic level of Muslim communities in Belgium is quite lower than that of the Muslim communities in the U.S. with the notable exception of the African-American Muslim community. But from my particular position which is neither totally of an insider or an outsider, I can only but notice that, in general, Muslims in Belgium are not amongst the poor, but are increasingly part of the middle classes while many of them maintain the habits they inherited from their parents, dating from their family’s experience with poverty. What is needed above all is a change in mentalities. Beyond the huge amounts of money sent back to the respective countries of origin, in Brussels only, this last Ramadan had witnessed once again millions of Euro being collected for the building, extension, development and embellishment of mosques. But very few Muslims dare give money for civil rights organisations, social organisations, youth organisations, student organisations, Muslim private schools or even for real estate investments that would offer their offspring a suitable working and studying environment.

I dare think that the financial condition of Muslims in Belgium is not so linked to an endemic poverty than to questionable logics of priority investment and fund management. These few examples are also a marker of the level of a ‘victimization mentality’ that is pervasive in Muslim communities. As much as Muslims complain about being the scapegoats of Western societies, they are themselves using the broader community as a scapegoat for their own underachievement. Muslims in Belgium should depart from this comfortable mindset that prevents them from facing their failures and taking charge of their own matters without the need for any external help. Neither the Muslims nor the broader communities are entirely responsible for the present state of affairs. Responsibilities are shared and need to be mutually confronted. But as long as Muslims go on moaning and begging for help while refusing to acknowledge their shortcomings or taking lessons from them or constructively engaging the broader society – which they are already part and parcel of – few positive changes will occur in the coming years.

10.6.08

Frères Musulmans: l'heure du coming out

Michael Privot
Islamologue, Frère musulman

Carte Blanche publiée dans Le Soir du mardi 03 juin 2008

Le contexte: je reviendrai par la suite plus en détails sur la question des Frères Musulmans qui m'a (pré)occupé depuis plusieurs années.
Suite à la publication d'un rapport - particulièrement négatif car très idéologiquement orienté - de la NEFA sur les Frères Musulmans en Belgique et les multiples conséquences médiatiques qui en découlèrent, j'ai pris la décision d'aller de l'avant et de clarifier un certain nombre de choses à ma portée. D'où ce "coming out" personnel en espérant que cela suscitera un débat intéressant, particulièrement au sein des Frères, à l'heure où chacun sait qui est qui, tout en faisant semblant de ne pas savoir. La doctrine clintonienne du "don't ask, don't tell" à propos de l'homosexualité au sein de l'armée américaine me semble avoir démontré ses limites en ce qui concerne les Frères. Ils font - nous faisons - partie de nos sociétés européennes, alors assumons-le et débatons de nos appartenances, de nos projets, de nos idées et de nos idéaux en toute transparence. Ce sera déjà un grand pas en avant vers une compréhension mutuelle. A tout le moins, j'en fais le pari.
Pour l'ensemble du dossier, voir les rétroactes publiés par PYL:
Belgique - "The Muslim Brotherhood in Belgium"
Belgique - Verviers, bastion du Hamas?
Belgique - Verviers, bastion du Hamas ? (suite)
Verviers, bastion du Hamas ?

Un récent emballement médiatique a de nouveau focalisé l'attention sur les Frères musulmans et leurs prétendues connexions avec le terrorisme, de Verviers à Gaza, suscitant bien des interrogations légitimes.

Qui sont ces « extrémistes » parmi nous ? Ou comment suis-je devenu un supposé terroriste du jour au lendemain ?

Le contexte : nés en 1928 en Egypte sous l'impulsion de Hasan al-Banna, les Frères musulmans ont joué un rôle clé dans la libération de ce pays du joug colonial britannique. Le choc causé par l'intrusion des Frères n'a jamais été digéré par de nombreuses chancelleries européennes. En effet, les Frères fédérèrent une partie importante du peuple égyptien, puis du monde musulman où ils avaient essaimé, sous la bannière d'une réappropriation de l'universel à partir d'un référent islamique, par opposition à une modernité à l'occidentale disqualifiant la pensée musulmane.

La réponse des Frères s'articulait donc autour de références religieuses, et non laïques ou simplement culturelles, rendant illusoire toute sympathie européenne pour leur résistance. Le décor était planté pour une « mécompréhension » durable.

Leur succès repose sur quelques principes forts : quête d'une vie spirituelle intense au travers d'une religion vécue comme vecteur de réforme et de dignité, lutte pour la Justice, participation active au sein de la société, pragmatisme et éducation populaire. À partir de ce noyau, tous les positionnements sont possibles, comme on le constate dans tous les pays où les Frères ont établi des associations ou des partis politiques, parfois tout à fait légitimes comme au Koweït.

L'accent sur l'adaptation au contexte local a rendu les Frères jaloux de leur indépendance. Chaque section est seule juge des défis qui lui sont propres. Un exemple ? Les Frères irakiens participent en bonne place au gouvernement actuel alors que le reste de la mouvance s'est opposé à l'intervention américaine en Irak. Ce qui relègue la thèse du lien organique de la Confrérie internationale avec la maison mère égyptienne au rang de mythe de la propagande antifrériste. Au-delà de la frontière égyptienne, le Guide de la Confrérie n'a plus rien à dire.

Par ailleurs, tout en combattant l'emprise idéologique de l'Europe sur les sociétés musulmanes, les Frères n'en reconnaissent pas moins les vertus et le progrès civilisationnel, y maintenant une présence constante, mais discrète. Et pour cause : les pionniers du mouvement étaient presque tous des exilés politiques ayant croupi dans les geôles de leurs dictatures d'origine, pendant que l'Europe des droits de l'homme détournait pudiquement le regard au nom d'intérêts bien compris. On saisira aisément pourquoi s'afficher Frères musulmans ici ne leur avait pas semblé le meilleur calcul.

Qui sont les Frères européens ? Leur profil est très diversifié.

Une première génération d'inspiration moyen-orientale, en partie proche de la retraite, se retrouve au sein de la Fédération des Organisations Islamiques en Europe (FOIE) et de ses organisations satellites (jeunesse, femmes…).

Les membres de ce « canal historique » se regroupent en associations islamiques nationales (la Belgique compte une soixantaine de membres, la France quelques milliers). Bien que certains Frères suivent encore de près la situation politique de leur pays d'origine, la majorité a pris le parti définitif de l'intégration en Europe.

La jeune génération des Frères européens a une autre histoire. De toutes origines ethniques, culturelles et sociales, ils sont nés ici, biberonnés aux vertus de la démocratie, des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la citoyenneté responsable. Loin des stéréotypes, les Frères sont en plein questionnement identitaire, lié en partie à leur complexité foisonnante, traversée par des courants parfois antagonistes : des derniers nostalgiques du califat aux démocrates les plus convaincus, des ultraconservateurs aux réformés libéraux, des partisans de politiques communautaristes aux intégrationnistes sans concession, des révolutionnaires aux ultra-légalistes, des partisans de gauche à ceux de droite…

Et moi dans tout ça ? Converti à l'islam, droit-de-l'hommiste convaincu, mon engagement avec les Frères se fonde sur une citoyenneté engagée s'inscrivant dans la lignée de leurs principes fondateurs.

Ils possédaient seuls des structures pouvant relayer leurs réflexions sur les questions relatives à l'intégration des musulmans, sur l'adaptation de la pratique musulmane à nos sociétés sécularisées ou encore sur un renouveau de la pensée islamique destiné à l'ensemble de la communauté musulmane. Bien que marginal par rapport à la Confrérie, mon propre engagement est à l'intersection de plusieurs défis :
– Amener les Frères à rompre leur silence schizophrénique autour de leur appartenance pour enfin assumer et débattre publiquement tant de leurs idéaux que de leur héritage encore à évaluer sereinement. Des décennies d'activisme politique au cœur de la région la plus agitée du monde mènent inévitablement à certaines erreurs. Ce qui n'excuse pas tout.
– Développer une véritable approche « musulmane » d'intégration à nos sociétés pluralistes et globalisées.
– Agir en faveur de la construction d'une société européenne effectivement juste et démocratique, où les droits fondamentaux des individus sont mis en pratique sans concessions, et où les discriminations sur les motifs de l'ethnicité, de la situation sociale, des convictions philosophiques ou religieuses, de l'âge, du handicap, du genre ou de l'orientation sexuelle seront condamnées et combattues.
– Normaliser les Frères et promouvoir une approche objective de leur bilan pour en faire des partenaires positifs de nos sociétés démocratiques confrontées aux défis de la diversité et des replis identitaires.

Malheureusement, dans le contexte actuel parfois franchement islamophobe et polarisé par le conflit israélo-palestinien d'une part, et le 11 Septembre d'autre part, tenter une analyse à froid ou faire son coming out équivaut à « suicider » sa légitimité, ce que redoutent, à raison, la plupart des Frères. J'en veux pour preuve tous les opportunistes qui font carrière sur leur diabolisation en profitant de l'absence d'interlocuteurs fréristes et d'un public peu averti. Abus et mensonges les plus éhontés sont dès lors permis. Frères musulmans ? Tous obscurantistes et terroristes ! Coupables de tous les maux, du choc des civilisations au déficit démocratique en passant par la lapidation des adultères. Qu'importe, personne ne démentira !

Or, chacun admettra d'évidence que le peuple de gauche s'étend de Hu Jintao à Hugo Chavez en passant par Tony Blair et le Sous-commandant Marcos. Il ne s'agit pourtant pas de la même gauche, et leurs positionnements respectifs sont radicalement différents. Chacun admettra, en corollaire, la nécessité d'une analyse nuancée pour donner sens à cette diversité.

Pourquoi de telles précautions n'ont-elles plus lieu d'être dès lors qu'il s'agit de s'intéresser à la diversité des Frères musulmans ? La délégitimisation systématique d'acteurs incontournables de l'intégration des musulmans en Belgique et en Europe par le recours à des amalgames essentialistes et nauséabonds entre Frères et terrorisme n'est là, hélas, que le syndrome d'une pauvreté de notre civilisation qui démontre ainsi son incapacité à éviter simplisme et caricature dès qu'il est question d'islam.

Plutôt que de débattre, même âprement, des idées, d'aucuns préfèrent s'en prendre aux hommes et aux organisations, s'érigeant ainsi en fossoyeurs de la démocratie. De Verviers à Gaza.

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...