16.2.10

Le MR chez les musulmans : une révolution copernicienne ?


Lors du lancement de l'Appel du Mouvement Réformateur "Mieux pour tous" ce 31 janvier 2010, Didier Reynders, son Président, appela à "réussir le pari d'un dialogue avec les musulmans désireux de développer un islam européen, respectueux des valeurs qui sont le socle de notre vivre-ensemble". Si cette ouverture devait se concrétiser, elle constituerait une véritable rupture épistémique dans l'approche du MR vis-à-vis des Belges musulmans. Bref état des lieux et proposition d'indicateurs visant à mesurer le sérieux de l'ouverture.

Laïcité et place du religieux

La difficulté de la prise en compte du religieux dans nos sociétés sécularisées n'est pas l'apanage du seul MR. Tous les partis, cdH inclus, peinent à intégrer dans leurs réflexions les nouveaux phénomènes religieux, dont l'islam. Alors que l'anticléricalisme rabique a longtemps été abandonné à la gauche, les libéraux se tenant plutôt à distance de ces questions, un virage important a été constaté depuis plusieurs années. Le MR se caractérise en effet par le rejet croissant d'une certaine visibilité de la religiosité musulmane en particulier, mais sous couvert de la défense d'une laïcité quasi républicaine. Cette position s'est radicalisée et a été endossée par tout le parti au cours des dernières élections. Des personnalités comme M. Hervé Hasquin devenant les derniers Mohicans d'un libéralisme progressiste, ouvert à la diversité de l'autre et à une discussion robuste mais respectueuse avec celui-ci.

Or, le point aveugle de l'évolution idéologique du MR vers la défense d'une laïcité d'exclusion du religieux hors de l'espace public, consiste à ne pas comprendre que tant l'approfondissement de la sécularisation de nos sociétés que la visibilité croissante du religieux sont deux facettes d'un même processus. Avec pour conséquence paradoxale que plus le religieux est visible, moins il a d'influence politique, y compris le religieux musulman qui n'échappe pas à cette tendance lourde. Ce virage du MR surfant sur la crainte de certaines manifestations de l'islam est donc dangereux en ce qu'il obscurcit les enjeux en présence.

Premier indicateur : le MR doit renforcer sa cohérence politique en clarifiant son message et en cessant d'appeler au dialogue, tout en laissant des francs-tireurs tels que MM. Destexhe et Ducarme, ou encore Mme Defraigne, pour ne citer qu'eux, tenir des discours outranciers et anxiogènes à l'égard des musulmans (Le récent baroud de certains mandataires MR à propos de la nomination de Mme Fatima Zibouh au CECLR étant une parfaite illustration de ce point).

Approche conceptuelle

On ne le dira jamais assez : les différentes communautés musulmanes sont extrêmement diverses, y compris politiquement. Loin des stéréotypes sur un bloc électoral musulman vendable au plus offrant, les musulmans, dans l'isoloir, se caractérisent par une grande autonomie et votent de façon comparable à la population majoritaire. Si ce n'est vis-à-vis du MR qui traîne la réputation d'être foncièrement anti-migration, anti-musulman, et représentant une Belgique bourgeoise et blanche, rétive à toute idée de diversité. Force est de constater que le MR ne s'est guère efforcé d'envisager les questions migratoires ou démographiques sous un angle autre qu'économiquement utilitariste et protectionniste, laissant au vestiaire les valeurs fondamentales du libéralisme (droits égaux des individus, lutte contre les injustices, protection des libertés individuelles…). Son rapport au fait musulman est typique de cette approche.

Un exemple ? Alors que ne cessent de s'empiler les études scientifiques démontrant que le port du foulard est polysémique et résulte avant tout d'un choix personnel, le MR pose pour condition au dialogue qu'il faut l'interdire dans l'enseignement et l'administration sous prétexte de son atteinte à l'égalité homme-femme, et ce sans aucun dialogue avec les premières concernées. Bel exemple d'ouverture. Outre cela, les termes mêmes utilisés par M. Reynders (islam européen, respect de [nos] valeurs), soulignent l'absence de véritable grille d'analyse permettant de saisir adéquatement la complexité des réalités et des dynamiques à l'œuvre au sein de nos populations musulmanes. Quels critères utilisera-t-il pour déterminer l'européanité des musulmans avec lesquels il souhaitera réussir son pari ? Quelle est ce socle de valeurs qu'il invoque ? La Commission des Sages qu'il avait mise en place en 2004 et à laquelle j'avais eu l'honneur de participer avait déjà butté sur cette question. Qu'avons-nous vraiment de commun au-delà des Droits de l'Homme ? Et que faire alors d'une musulmane revendiquant le droit au foulard en leur nom ? Trop ou pas assez européenne ? Digne ou non de participer à ce dialogue ?

Deuxième indicateur : le MR doit établir une commission pluraliste d'experts, de musulmans et d'élus en vue de développer son intelligence collective sur le fait musulman et de proposer des politiques respectueuses et progressistes visant à renforcer la cohésion de nos sociétés.

Représentation politique

Si l'on ne peut reprocher au MR de n'avoir pas trop succombé aux sirènes du shopping arabo-musulman pour la constitution de ses listes électorales, on constate cependant une véritable résistance à offrir des places éligibles à des candidats de qualité ne mettant pas en berne la composante musulmane de leur identité. Sous d'autres cieux, cela s'appelle de la discrimination systémique. Or si le MR veut être crédible dans son pari du dialogue, il importe qu'il sache offrir à celles et ceux séduits par son programme des chances égales de mobiliser positivement leur diversité au nom de l'intérêt commun.

Troisième indicateur : le MR doit entreprendre une étude approfondie de la représentativité de son personnel politique et de ses élus et mettre en place des mesures permettant de lever les obstacles structurels à la progression du personnel et des élus de confession musulmane en son sein.

Citoyenneté participative

Membre actif de ma communauté musulmane locale, je constate avec amertume l'extrême difficulté d'établir un contact avec le MR alors que les autres partis démocratiques n'ont jamais hésité a engager le débat avec nous, sans complaisance, mais avec respect. Cette mention serait anecdotique si l'homme fort local du MR n'était un des proches conseillers de M. Reynders, ce qui pourrait nous faire craindre que cet appel au dialogue ne relève que du "faites ce que je dis, mais pas ce que je fais". On ne compte plus les invitations restées sans réponse, les courriels systématiquement ignorés, les propos à la limite de l'islamophobie de mandataires MR… Des souhaits présidentiels à l'ouverture au niveau local, le MR fait face à un gouffre impressionnant auquel sont confrontés les musulmans demandeurs d'un dialogue constructif, depuis bien avant le "I have a dream" de M. Reynders.

Quatrième indicateur : le MR doit mettre en place une instance de monitorage de la bonne gouvernance interne en matière de dialogue avec les communautés convictionnelles, y compris musulmanes, permettant d'évaluer les progrès réalisés au niveau local (là où le dialogue prend tout son sens), de proposer des recommandations, mais aussi des sanctions en cas de dérapage.

Les indicateurs proposés sont ambitieux, mais à la hauteur du défi lancé par le MR s'il veut retrouver un peu de crédibilité auprès des musulmans qui ont été profondément heurtés par une série de positions défendues par des mandataires MR. A l'heure où se développe une classe moyenne de confession musulmane composée de jeunes cadres, de commerçants et de petits entrepreneurs sensibles au message du MR en matière d'effort individuel, d'entrepreneuriat et d'encouragement à la propriété privée, le MR ne peut pas prendre le risque de se l'aliéner en stigmatisant ses convictions spirituelles. La récente ouverture du MR doit être saluée en ce qu'elle marque un retour vers les valeurs fondamentales du libéralisme.

Au-delà de la promesse, le MR devra prouver par des actes concrets que cet appel n'est pas que rhétorique. Quant aux musulmans, ils devront relever le gant et démontrer qu'ils sont des partenaires constructifs, capables de négocier leurs exigences pour élaborer un vivre-ensemble inclusif et favorable à l'épanouissement de tous.

Dr. Michaël Privot
Islamologue et citoyen de confession musulmane

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