8.9.15

Boycott et halalattitude

La nouvelle vague d’agitation qui traverse les communautés musulmanes de Belgique à l’approche de la Fête du Sacrifice ce 24 septembre 2015 est à nouveau symptomatique de la façon dont « elles » (je veux dire ses leaders communautaires et religieux en particulier) sont traversées par de nombreuses tensions et contradictions de différents ordres.

Quelques éléments de réflexions et pistes pour l’avenir

A) Organisation et logistique communautaires

Tant les Ministres du bien-être animal Ben Weyts (Région Flamande) que Carlo Di Antonio (Région Wallonne) ont annoncé dès leur entrée en fonction il y a plus d’un an qu’ils avaient l’intention d’interdire l’abattage rituel sans assommage électrique préalable dans tous les abattoirs temporaires pour la Fête du sacrifice 2015. L’abattage rituel sans assommage, quant à lui, reste autorisé dans les abattoirs commerciaux fixes.

Pendant plus d’un an, hormis quelques réunions marginales de certains membres de l’EMB ou d’Union de mosquées locales, les institutions musulmanes sont restées dans une position attentiste, faisant quelque part le pari que les ministres n’oseraient pas passer aux actes. Ben si, ils ont osé, pour différents types de motivations qui ne relèvent pas toujours du bien-être animal mais parfois du conflit civilisationnel comme l’a déclaré d’ailleurs le ministre NVA Ben Weyts (voir ses déclarations de l’été qui ont finalement réveillé le landernau associatif musulman).

Aujourd’hui, on en appelle au boycott et l’on voit tous les soldats de la 25ème heure se réveiller et partir en prêches enflammées sur leurs minbars : ils vont leur montrer à ces ministres le poids de la communauté musulmane : si l’on boycotte, l’élevage ovin belge ne va jamais s’en remettre. Espérant bien entendu que les éleveurs vont se joindre à leurs protestations en organisant des lâchers de moutons dans les rue de Namur ou de Bruxelles.

Comme je l’annonçais dès la mi-août, ces initiatives de boycott auront un impact marginal. Pour plusieurs raisons : on ne parle que de quelques milliers de moutons, répartis entre des dizaines d’éleveurs, qui, s’ils doivent râler sur leur perte sèche en temps de difficultés économiques pour le secteur, ne vont pas boire la tasse pour quelques moutons non plus. En tout cas pas assez pour se mobiliser massivement. De nombreux moutons proviennent également de l’importation. On voit mal les éleveurs écossais venir « mettre le souk » à Namur.

Par ailleurs, la question du sacrifice en abattoir temporaire concerne massivement les communautés d’origine maghrébine qui sont encore culturellement très attachées au sacrifice d’un mouton, dans un acte individuel à portée essentiellement familiale (sacrifier le mouton le jour de la Fête, méchoui le soir-même avec le foi et tout le toutim en compagnie de la famille…). En ce qui concerne les communautés d’origine turque, une grande partie profite de l’occasion pour sacrifier des bovins de manière collective (7 parts pour un bœuf), et est de toute manière obligée de passer par les abattoirs fixes commerciaux où l’abattage rituel est tout à fait permis. Bref, ces familles n’ont aucun intérêt au boycott.

Il en va de même pour tous ceux qui ont choisi de sacrifier un mouton et qui s’y sont pris à temps pour négocier l’abattage avec les abattoirs fixes – voire temporaires pour la Région bruxelloise. Cela fait déjà un nombre certains de familles qui auront l’occasion de profiter de l’abattage rituel légal. Il ne reste donc qu’un nombre relativement restreint de familles qui vont devoir recourir « au boycott », car dans l’impossibilité logistique de faire face à la situation – faute de prévoyance communautaire.

Si l’on peut reprocher aux autorités de n’avoir pris aucune disposition pour gérer la question logistique de l’abattage rituel – à savoir comment faire absorber en 3 jours à peu près 30.000 moutons aux abattoirs fixes commerciaux – en particulier dans certaines provinces comme celles de Namur, du Hainaut ou du Limbourg où l’offre en abattoirs pour ovins est extrêmement limitée, il n’en reste pas moins que le défaut de prévoyance repose en priorité sur les institutions communautaires musulmanes.

En effet, on ne peut reprocher à l’Etat de ne pas vouloir s’immiscer dans la logistique de la Fête du sacrifice quand il s’agit  essentiellement d’intérêts privés (consommateurs, éleveurs, abattoirs…). Les abattoirs fixes fonctionnant sur une logique purement commerciale, on peut comprendre qu’ils ne peuvent pas tous réaménager radicalement leurs carnets de commande à brève échéance pour gérer un pic d’abattage de près 30.000 moutons en plus des bovins à sacrifier pour l’occasion.

En s’organisant un an à l’avance, des institutions communautaires efficaces auraient pu :
-    Se mettre d’accord sur la date de la Fête du sacrifice. La Diyânet qui a depuis longtemps adopté le calcul astronomique pour la détermination des dates des Fêtes musulmanes est tout à fait en mesure de fournir les dates de fête plusieurs années à l’avance. Ce genre de question logistique démontre une fois encore l’inanité de la vision oculaire dans une société complexe qui a abandonné les joies du pastoralisme depuis longtemps ;
- Négocier avec les abattoirs commerciaux l’insertion du pic d’ovins et de bovins dans leur chaîne d’abattage. Cela leur aurait permis une gestion prévisionnelle du flux à moyen terme et d’étaler leurs commandes avec leurs clients réguliers ;
-   Lier des contacts avec les syndicats d’éleveurs pour parer à toute éventualité d’une demande de pression politique concertée entre les différentes parties prenantes de cette chaîne, de l’éleveur au consommateur ;
-   Analyser de manière pointue les défis de cette première mise en œuvre coordonnée à grande échelle de l’abattage rituel lié à la Fête du Sacrifice et donc d’interpeller judicieusement le politique là où son appui aurait pu être nécessaire, du niveau local au niveau régional.

Aujourd’hui, il est bien trop tard pour cela, mais pas trop tard pour 2016. Les éléments de réflexion ci-dessus sont libres de droit : que les institutions communautaires n’hésitent pas à s’en servir.

Dernier point à ce sujet : le Comité des oulémas de l’Exécutif des Musulmans de Belgique a promulgué une fatwa la semaine dernière autorisant les musulmans à ne pas sacrifier d’ovins ou de bovins vu la situation. Ils sont allés jusqu’à autoriser ceux qui choisiraient de s’abstenir ou de boycotter à ne pas compenser par un don leur renoncement au sacrifice.

On peut s’étonner de la motivation de cet avis : s’il s’agit de vraiment boycotter, alors autant encourager le don : au moins l’esprit de partage de la Fête n’est pas perdu et il y a assez de misère de par le monde pour trouver à qui donner à cette occasion. Si l’idée était d’alléger le fardeau des musulmans faisant face à des difficultés économiques et dans l’impossibilité de sacrifier ou de faire un don, alors l’opportunité de lier ce genre de dérogation à la question du boycott me paraît très malvenue. Je suis cependant convaincu que tout musulman sincère qui choisit de boycotter n’hésitera pas à faire un don équivalent au prix de son mouton (par exemple : Diyânet, etc.).

Il n’en reste pas moins que cette « halalisation » du boycott par les instances communautaires a au moins le mérite de faciliter la gestion de déçus du sacrifice et d’éviter le retour aux abattages rituels dans les baignoires ou les arrière-cours.

B) Abattage rituel et halalattitude

L’autre question reste bien entendu d’ordre jurisprudentiel et métaphysique.

Dans le feu de l’action, certains n’hésitent pas à s’emporter, rêvant d’une unification de l’oumma européenne qui boycotterait toute viande halal pendant un mois pour mettre la pression sur le politique en vue d’empêcher l’interdiction, à terme, de tout abattage rituel sans assommage électrique.

Bref, si ce genre de discours relève plus de la pathologie du « tawhîd al-umma » traduisant un grand sentiment d’impuissance face aux événements et à l’action politique, il permet surtout de ne pas s’interroger sur la question du halal et de l’importance démesurée que prend cette dimension pour les musulmans en contexte minoritaire. Plus qu’une affaire de rituel, il s’agit d’une véritable question identitaire qui doit être traitée de son plein droit dans un article qui lui serait exclusivement dédié.

Il m’importe plus ici de questionner les éléments « religieux » autour desquels s’articule ce discours identitaire.

Comme j’ai pu le rappeler dans différentes interviews, le soucis du bien-être animal n’est pas la chasse gardée (si je puis dire) des militants du respect de la vie animale. Tout le monde a à cœur de prendre soin de leur bien-être, les sacrificateurs musulmans y compris.

Ensuite, il est important de rappeler que tous les animaux sont saignés pour être vidés de leur sang, qu’ils soient destinés à la consommation kosher/halal ou non.

La seule question qui compte, in fine, c’est de savoir si l’assommage (par choc électrique) permet, ou non, de diminuer la souffrance animale.

Les partisans de chaque méthode (avec ou sans assommage) fournissent un ensemble d’études scientifiques toutes aussi concluantes les unes que les autres, selon les indicateurs de souffrance choisis. Ces études, malheureusement, servent surtout à renforcer les convictions de chaque camp sans pour autant remporter l’avantage décisif, chacun n’hésitant pas à faire dans la campagne de communication « trash » sur les média sociaux à grand renfort de vidéos plus violentes les unes que les autres.

J’ai également appelé à ce que les ministres responsables mettent sur pied une commission réunissant des scientifiques pour et contre l’assommage pour analyser de manière collective et pluridisciplinaire les évidences scientifiques disponibles, sans tabou. Ce travail pourrait être mené dans une commission commune aux trois régions.

Il n’en reste pas moins que la souffrance, au-delà de certains indicateurs neurobiologiques, reste une question philosophique, voire métaphysique. Il nous est impossible d’arriver à une définition commune de ce qu’est notre propre souffrance, chaque être humain ayant une perception, voire une capacité de résistante différente face à un même stimulus de souffrance, avec des conséquences variées sur nos comportements. Si l’on ne veut pas se borner à une conception mécaniste de l’animal, ne serait-il pas concevable de faire également l’hypothèse d’un rapport différencié de chaque animal face à la souffrance, ce qui rend dès lors la délimitation d’un seuil de souffrance effective plus difficile qu’il n’y paraît de prime abord. Une telle approche, soit dit en passant, n’est d’ailleurs pas incompatible avec la théologie musulmane qui n’exclut pas l’existence d’un devenir pour les animaux dans l’Outre-Monde après leur Résurrection (voir versets 6:38 et 81:5) ce qui suppose au moins l’existence d’une âme individuelle pour chaque animal avec tout ce que cela implique (voir T. Oubrou, L’Unicité de Dieu, Gédis, 2006, pp. 141-145).

Si l’on se soucie véritablement du bien-être animal, on admettra que la question vaut mieux que l’assénement d’études scientifiques sans débat contradictoire, débat qui pourrait permettre d’identifier des aspects encore à explorer de la question de la souffrance animale.

Si les conclusions d’une telle entreprise pluridisciplinaire devaient être que les animaux souffrent effectivement moins lorsqu’ils sont assommés préalablement, cela imposerait aux théologiens musulmans (et juifs) de reconsidérer l’approche de leurs Textes de référence.

En ce qui concerne l’islam en tous cas, le travail semble déjà bien entamé. Les oulémas de Nouvelle-Zélande, par exemple, un des plus gros exportateurs de viande halal, ont validé le principe de l’électronarcose : celle-ci fait en sorte que les fonctions vitales de l’animal restent intactes. L’animal est inconscient pendant quelques dizaines de secondes. S’il n’est pas égorgé, il se ranime et peut reprendre une vie normale.

Il se fait cependant que persiste chez de nombreux musulmans une mauvaise lecture littérale du verset 5:3, elle-même largement soutenue par une longue série d’oulémas étoilés au Guide Michelin du conformisme religieux (taqlîd). Le Coran énonce une série d’animaux impropres à la consommation, souvent pour des raisons de santé et d’hygiène liées à la présence de sang dans le corps de l’animal qui ne serait pas saigné (voire traduction ci-dessous).

Un terme fait toute la différence dans le cas qui nous concerne : mawqûdha : la plupart des gens traduisent par « [la bête] assommée », comprenant dès lors que le Coran refuserait l’idée de tout assommage avant égorgement. Un retour au Lisân al-‘Arab, le dictionnaire le plus complet et le plus proche de la langue arabe du moment coranique, démontre que mawqûdha ne signifie pas « assommée » mais « morte à la suite de coups répétés ». L’interdiction de ce type de viande se justifie pleinement puisque la saignée n’aurait pas été effectuée avant le décès de l’animal pour rendre sa viande propre à la consommation – y compris selon les règles de l’AFSCA. Il n’est dès lors pas étonnant que les oulémas néo-zélandais aient pu arriver à la conclusion qu’une électronarcose ne pose pas de problème en soi si elle est réalisée dans des conditions idéales pour le bien-être animal.

Il semble donc que l’on est face à une véritable maldonne que n’hésitent malheureusement pas à entretenir certains entrepreneurs identitaires ou certains entrepreneurs (tout court) ayant de juteux intérêts financiers dans la consommation massive d’aliments prétendument « halal ». 

Traduction proposée par Rachid Benzine :

« Vous sont interdits : la bête morte (il s'agit évidemment ici de la consommation de sa chair) ; le sang (on le dit réservé aux dieux dans tout le Proche Orient pastoral, mais en fait il risque d'empoisonner les hommes), la chair du porc (absent en Arabie à l’époque du Prophète, mais interdit dans Deutéronome, 14:7-8, Lévitique, 11:7) ; ce (les animaux sacrifiés) sur quoi a été prononcé un autre nom (divin) que Dieu, la bête étranglée (on traduit souvent étouffée), morte sous un coup (mawqûdha), d'une chute, encornée ; ce (les animaux) que les fauves ont dévorés, sauf la bête que vous avez purifiée (c'est-à-dire égorgée vous-mêmes avant qu'elle ne soit morte, précision avec raison de Muhammad Hamidullah) ; ce qui est sacrifié (par égorgement) sur la/les pierre(s) (le mot nusub pose problème on ne sait si c'est un singulier ou un pluriel ; nasaba donne l'idée de planter une pierre dans le sol ou simplement la poser pour marquer) ; (vous est interdit) de partager les lots (des bêtes égorgées) en tirant les flèches (voir autres passages en lien avec le maysir : 2:219 ; 5:90) : tout cela est transgression ».

Commentaire de Rachid Benzine (par courtoisie de son auteur, édité pour les besoins de cet article) :

Ce verset s'insère dans une série sur les interdits liés au pèlerinage concernant les animaux destinés au sacrifice et l'interdit de la chasse qui doivent relever d'une continuité de tradition et certainement pas d'une innovation que l'on croirait coranique. Dans sa ritualité, le pèlerinage qui va devenir musulman s'inscrit dans le ritualisme tribal précédent. Seule la puissance divine invoquée a changé mais non pas la gestuelle humaine ni ce que l'on attend en retour de son pèlerinage et du sacrifice consécutif en matière de don et de contre-don entre l’homme et le divin.

Le verset 3 est accolé sans véritable solution de continuité avec les deux premiers versets, peut-être parce qu'il est question d'une thématique sur l'abattage d'animaux (animaux de sacrifice ou de chasse). Sur la question de la consommation des bêtes abattues, il faut aussi comparer avec 2:173 (sauf contrainte) ; 16:115 (sauf contrainte) ; 6:145 (sauf contrainte, passage le plus explicite).

En cas de situation de force majeure (pour préserver sa vie), les interdits sont levés. Le musulman peut manger du porc, etc. si il y est contraint, car ce qui est recherché constamment, c'est de rester vivant pas de vouloir aller au paradis au détriment de sa survie. La vie passe avant la mort. Si, malheureusement - et pas heureusement - la vie est perdue dans la voie de Dieu (au combat) alors que l’on a tout fait pour la préserver, le paradis arrive comme compensation (mais cette rhétorique ne semble pas avoir eu beaucoup de succès dans le monde tribal).

En ce qui concerne l'interdit sur les bêtes non égorgées ce n'est certainement pas une innovation coranique. S'il y a un rapport avec les interdits alimentaires du Deutéronome et du Lévitique, cela concerne uniquement le porc. Or, il n'y avait pas de porcs ni de sangliers en Arabie, contrairement au Proche Orient et à tous les pays montagneux plus au nord. On est donc face à un élément biblique intégré comme pour se mettre en conformité avec une révélation antérieure mais sans aucun effet sur le terrain puisqu'il n'y a pas de porc en Arabie.

En ce qui concerne les autres animaux par exemple l'animal déjà attaqué par un fauve (loup, lion d'Arabie, panthère d'Arabie, guépard) l'interdit est certainement dans la continuité de la pratique locale. Elle se ramène sans doute au fait que l'animal n'a pas été immédiatement vidé de son sang dans les cas évoqués : strangulation, mort sous les coups, sous l'effet d'une chute ou trouvé mort. Dans ces cas, la viande peut se corrompre très rapidement. Or, dans la coutume tribale ancestrale, on connaissait le risque d'empoisonnement qu'il y avait à consommer un animal encore en sang. Le type de consommation de la viande en Arabie consistait à égorger pour ensuite découper la viande en lanières que l'on mettait à sécher au soleil. La viande ainsi séchée pouvait être consommée sans problème. On retrouve cette coutume dans les jours du pèlerinage qui succèdent au sacrifice et qu'on appelle ayyâm al-tashrîqsharraqa signifiant le fait de découper la viande des bêtes sacrifiées en lanières pour la mettre à sécher au soleil et la consommer plus tard. Cela se fait immédiatement après que l'animal ait été vidé de son sang pour éviter le pourrissement, la contamination et l'empoisonnement.
Le Coran ne fait que confirmer la pratique locale de la conservation des viandes à des fins de consommation. 

C) Quelques considérations pour la route

1)     Comme on peut le lire au travers du verset 5:3, le « halal » ne relève pas du domaine du sacré, mais de la simple licéité de consommation pour des questions essentiellement hygiéniques, confirmant les pratiques (‘urf, mar‘ûf) de l’époque préislamique. La saignée de l’animal ne sanctifie pas sa viande en quelque sorte. Elle revêt encore moins une quelconque dimension identitaire qui servirait à différencier le musulman du non musulman. Tous les habitants de Médine et de La Mecque, païens, musulmans et juifs consommaient leur viande de manière identique. Il est donc urgent de reconsidérer la notion de « halal » telle qu’elle est comprise et vécue par les musulmans vivant en contexte minoritaire, en particulier en Europe. Et ce d’autant que le surinvestissement émotionnel dans le « halal » suscite, en retour, un surinvestissement identitaire et émotionnel dans la consommation de cochon et de ses dérivés ainsi que de l’alcool au sein de la population majoritaire non musulmane. Une réaction en chaîne d’actions et de contre actions identitaires autour des régimes alimentaires a été enclenchée. Il me semble urgent de la ramener à de justes proportions.
2) Quelle énergie convient-il encore de consacrer à l’organisation de la Fête du sacrifice et du déploiement d’abattoirs temporaires ? La pratique du sacrifice est une affaire générationnelle qui tend progressivement à disparaître, les 2ème et 3ème générations n’ayant plus trop le goût à passer les jours de fêtes les mains dans les entrailles de mouton à préparer le méchoui familial. Les dons à l’étranger sont en augmentation et l’on peut parier que la tendance n’est pas prête de s’inverser. Les autorités communautaires n’auraient-elles pas intérêt à favoriser la transition en encourageant les dons plutôt que la pratique du sacrifice ? 
3) D’une manière plus générale et à l’aune de l’intention officielle des Ministres du bien-être animal d’aller vers une interdiction complète de l’abattage rituel sans électronarcose pour 2020, ne conviendrait-il pas de s’interroger en profondeur – et sans tabou – sur le bien-être animal en général : cesser les « accommodements raisonnables » culturels quand il s’agit des cuisses de grenouilles, de la cuisson des homards et du gavage des oies (quitte à décevoir les esprits chagrins, précisons que les musulmans n’ont pas le monopole de la barbarie). Revoir en profondeur l’élevage intensif et les souffrances intenses qu’il inflige aux animaux, les conditions de leur transport, les conditions réelles de l’abattage, y compris avec électronarcose, dans les abattoirs fixes commerciaux où il n’est pas rare que les animaux soient découpés alors que la narcose n’est plus opérantes à 100% car cela coûterait trop cher de les y soumettre une deuxième fois… 
La liste est longue des conditions inhumaines et des humiliations qui sont infligées aux animaux pour satisfaire les besoins en viande d’une société de consommation et de gaspillage, qu’il soit halal, kosher ou « philosophiquement neutre ». 

Si à l’aune du prescrit coranique du respect de l’animal, quasi aucune viande labellisée « halal » ne l’est en vérité vu les conditions de sa production, la recherche du respect de l’environnement et de la vie en général ne devrait-elle pas pousser à une incitation à une consommation accrue de végétaux et à une diminution drastique de toute forme de régime carné ? Et cela vaut, bien entendu, pour l’ensemble de la société, étant compris qu’une telle remise en cause est encore plus impérative pour celles et ceux qui se revendiquent comme étant porteurs d’une éthique du respect de la Vie.


Au-delà d’un boycott pour se donner bonne conscience, ou de l’enfermement dans une halalattitude intransigeante, ce sont, à notre sens, quelques unes des questions prioritaires que devraient se poser les oulémas de Belgique et d’ailleurs. Malheureusement, leur silence reste étourdissant.


17.5.15

Abou Houdeyfa: agent de décérébration de la communauté musulmane?

Dans la vidéo d’un de ses derniers prêches du vendredi (9 mai 2015), l’imâm Abou Houdeyfa s’en prend à ceux qui « prétendent réformer l’islam au nom de la raison », probablement celles et ceux réunis au sein de la Fondation al-Kawakibi, sans qu’il ne les nomme précisément d’ailleurs. 

Bien que l’audition de cette vidéo soit un véritable supplice pour l’esprit et l’intelligence, elle vaut cependant que l’on s’y arrête un instant. En effet, reconnaissons-lui ce mérite, l’imâm Abou Houdeyfa, tout en prenant manifestement son auditoire pour une foule de demeurés, parvient à concentrer la quintessence de l’opposition salafiste à toute idée de réforme, n’hésitant pas non plus, pour quelqu’un qui se revendique d’une haute éthique, à utiliser les plus sales procédés rhétoriques de disqualification de son adversaire.

Passons sur les images simplistes de la relation père-enfant pour faire comprendre que l’enfant (l’homme en l’occurrence) doit s’incliner devant ce que ça raison ne peut saisir. Passons aussi sur les comparaisons à deux francs six sous avec la question des ablutions sur les chaussettes et celle de l’exemption du rattrapage de la prière et non du jeûne en cas de règles, comme possibles « contradictions » entre révélation et raison. Passons encore sur la confusion de son discours entre ‘aql et ra’y (raison/intellection et raison/opinion) qu’il utilise comme équivalents et oppose systématiquement à l’idée de naql (révélation) pour discréditer bassement l’idée même de raison.

Le cœur même de son discours est qu’une fois la révélation descendue sur l’humanité, le naql, comprenant le Coran et la sunna du Prophète, il n’y a plus rien à ajouter, la raison doit se soumettre et obéir, et suivre sans contester les injonctions de la révélation, la raison étant par essence incapable de découvrir les plus hautes vérités. C’est si simple. Il dénonce ensuite plusieurs fois celles et ceux qui, selon lui, voudraient faire passer la raison (‘aql) AVANT la révélation (naql).

On ne s’étonnera peut-être pas trop que le cursus de l’imâm Abou Houdeyfa ait eu quelques lacunes. Il n’a probablement rien lu sur le motif du tabernacle des lumières du prophétat (mishkat al-anwâr) qui explique que les philosophes et les savants (en passant par Platon, etc.) sont tous parvenus à un niveau de compréhension du monde proche de ce qui est obtenu par la révélation, et ce de par leur seule intelligence (guidée par Dieu, certes). Ni non plus le fameux roman de Hayy b. Yaqzân qui, perdu sur une île, induit les principes autrement révélés par le seul usage de sa raison et de l’observation. Bref, la civilisation islamique a une longue tradition de conciliation entre raison et révélation qui dépasse largement le simple rapport de soumission ou de guidance.

Pour en venir à l’essentiel, le discours de l’imâm Abou Houdeyfa expose en vérité l’angle mort, ou plutôt le trou noir, de la pensée salafiste. A savoir le rôle du lecteur, du savant, de l’herméneute dans le rapport à la révélation. 

Les principologues du droit musulman (usûliyyûn) savent que la Loi a deux sources : le khabar (Coran et sunna, le naql) et le nazar (le regard, l’intelligence, la raison du savant). Ils avaient compris très vite, dès l’époque classique, que le Texte ne dit rien. C’est un paquet muet de pages remplies de signes. Rien de plus. Seul le regard, l’intelligence, de chaque lecteur ou lectrice fait émerger un sens hors du texte. 

Il est probable que le fait que le Coran soit en arabe classique offre aux arabophones une dangereuse impression d’immédiateté dans l’accès à la révélation divine, faisant disparaître la nécessité d’une interprétation, d’un effort herméneutique. Cela donne à croire que, si l’on maîtrise l’arabe, et plus encore si l’on est un arabophone natif connaissant (ou pas) l’arabe classique, on peut accéder sans médiation à la Parole de Dieu. Dangereuse illusion d’optique de laquelle sont préservées en partie aujourd’hui d’autres religions du Livre, dont le judaïsme et christianisme : l’hébreu biblique, l’araméen, le latin, le grec ancien, langues de la Bible et des Evangiles imposent la notion de l’éloignement dans le temps, de la nécessité de l’histoire, du contexte, de la linguistique, de la philologie, de la sémiologie… et donc une certaine modestie dans le rapport au Livre. En tous cas, aucun-e théologien-ne de ces religions, à part quelques illuminé-e-s, ne prétend faire l’économie de son propre rôle dans son approche des textes révélés.

C’est tout le contraire dans la pensée salafiste : le rôle médiateur de l’herméneute est nié, que ce soit pour aujourd’hui ou pour le passé – une compréhension directe de l’essence même du texte est toujours posée comme axiomatique, qu’il s’agisse du Coran ou d’une somme classique. Comme si le lecteur (arabophone, s’entend) était un pur esprit, hors du temps et de l’espace, hors des contingences matérielles, hors de toute culture et société, hors de rapports de domination, de pouvoir, et accédait à l’essence du naql, de la révélation.

Or, c’est précisément là que porte l’effort de réforme, contrairement au mauvais procès que lui fait l’imâm Abou Houdeyfa. Ce n’est pas sur le naql (le Coran, Texte révélé ; je laisse de côté la sunna ici qui pose trop de problèmes méthodologiques) que l’on veut porter réforme, mais sur le nazar, l’intelligence, la raison de l’herméneute, le deuxième terme de l’équation indispensable à la production de la Loi. Sans nazar, le khabar est profondément, désespérément, muet et inutile.

Procédant typiquement selon l’approche salafiste, l’imâm Abou Houdeyfa saute allègrement par-dessus les 14 siècles de tradition herméneutique musulmane et tente de nous faire croire que les Compagnons du Prophète recevaient le Texte de manière pure, sans médiation, et qu’il conviendrait de se soumettre à leur propre approche. Or, contrairement à ce préjugé, ces derniers eux-mêmes ont dû développer leur propre démarche interprétative pour faire face à l’infini des situations humaines auxquelles le Texte ne pouvait ou ne voulait pas répondre, l’exemple le plus connu étant celui de ‘Alî partant au Yémen avec une première méthode d’ijtihâd. Tout n’allait donc pas de soi, y compris durant le moment coranique.

Inspirés par cette réalité, les oulémas n’ont eu de cesse de s’efforcer de développer des méthodologies pour tout, n’hésitant pas à emprunter aux sciences de leur temps (philosophie, linguistique…) pour les porter vers de nouvelles hauteurs et faire émerger des sens encore cachés du khabar : collecte des hadîths, linguistique, métaphysique, kalâm, droit… Bref, à développer, équiper, renforcer, le nazar, car ils avaient conscience, au moins jusqu’à l’époque classique et la fin des Abbassides, qu’ils portaient un regard sur le texte, qu’ils interprétaient et que, pour réduire l’arbitraire, il fallait des outils, des méthodes. Non pas pour nier la raison, mais pour la rendre plus performante encore. 

Les croisades, la chute de Bagdad, la perte de l’Andalûs ont fait plonger le monde musulman dans une longue léthargie intellectuelle. Entre temps, dans d’autres endroits du monde, des savants de toutes sortes ont continué à réfléchir, développant l’héritage qui leur avait été transmis.

Le travail de réforme s’impose donc de nouveau aujourd’hui. Non pas pour retirer ci ou là des versets qui seraient embarrassants, mais pour profiter de l’immense essor des sciences sociales, humaines et techniques de ces deux derniers siècles qui, de facto, contribuent à modifier un nazar – lui-même situé dans un autre temps, un autre espace – et donc permettent de faire émerger, à nouveau, des sens inédits, de réordonner les priorités, de déconstruire, de re-situer et de réarticuler les lectures de ces 14 derniers siècles par rapport aux besoins du nôtre. 

La réforme en islam porte en vérité sur l’herméneute et ses méthodes, et donc fait inévitablement surgir du neuf hors du Texte, des potentialités contenues depuis l’origine en Celui-ci et qui n’attendent qu’à être exprimées et se déployer. C’est pour cela que le Coran, comme d’autres textes sacrés, est en quelque sorte « garanti par Dieu » pour les siècles des siècles, car sa lecture n’est jamais terminée, ni épuisée, ni figée, chaque époque apportant son innovation herméneutique et son regard réjuvéné sur un Texte immuable.

Nul besoin donc de discourir sur l’antécédence du naql ou du ‘aql, le débat n’est pas là, mais sur la reconnaissance du rôle médiateur du savant, ce que refuse obstinément la pensée salafiste dont l’imâm Abou Houdeyfa se fait le chantre.

Pourtant, à l’entendre, on se dit qu’il en devine les contours, mais préfère s’enfermer dans sa condamnation, jouant la carte de l’establishment, de la structure, du maintien du pouvoir de certains clercs sur des masses qu’ils abrutissent de discours simplistes. En effet, parlant des « réformateurs », il lance qu’ils ne seraient même pas soutenus par des savants connus, ou encore qu’ils ne seraient même pas ‘âlim, ou mujtahid muqayyad, ou mujtahid mutlaq. Ce faisant, il démontre surtout qu’il se fait le porte-parole d’une caste qui veut préserver son pouvoir en profitant pleinement de leur investissement personnel à « maîtriser » une méthodologie très particulière d’accès au texte et des privilèges matériels et symboliques qui en découlent. Si demain, l’approche salafiste devait être mise « hors-service » par la réforme en gestation, ce qui arrivera inéluctablement, ils seront « sur la paille » s’ils n’accomplissent pas le « bond quantique » que cela va impliquer pour eux. 

Comme quoi, derrière le discours anti-réforme, il y a également des enjeux de pouvoir, y compris géostratégiques, très, très, humains. 

Où la parole de Dieu (naql) est une fois de plus détournée sous prétexte de la respecter.



A ce titre, les réformateurs, travaillant sur nazar et non sur le khabar, démontrent bien plus de respect de la Parole que ceux qui prétendent en être les porte-paroles exclusifs.

18.3.15

Commission Marcourt: un très mauvais signal?

Ce mercredi 18 mars, le ministre de l'Enseignement supérieur et des Médias Jean-Claude Marcourt  a lancé officiellement sa commission "chargée de faire des propositions en vue de favoriser le développement et la reconnaissance d'un islam moderne en Fédération Wallonie-Bruxelles", selon une dépêche Belga.

Si l'on peut se féliciter de la présence de profils intéressants au sein de la Commission qui peuvent faire espérer de l'obtention de quelques résultats intéressants, ou à tout le moins d'éviter les écueils les plus flagrants inhérents à ce genre d'exercice, il n'en reste pas moins que les premiers éléments publics de la feuille de route confiée à cette Commission sont loin d'être encourageants.

Alors que le projet porte bien sur la reconnaissance d'un "islam moderne en FWB", le Ministre Marcourt souhaite déjà voir "émerger l'équivalent en Fédération de l'institut du monde arabe à Paris". 

Source: content.time.com(c)
Sans rigoler !!! Le Ministre Marcourt a-t-il des informations spécifiques qui lui permettent d'affirmer que l'IMA a joué un rôle quelconque dans le développement et la reconnaissance d'un islam moderne en France? Il est affligeant de constater que le porteur politique du projet peine encore à faire la différence entre arabité, culture arabe et islam. 

Si l'IMA joue indéniablement un rôle culturel de premier plan sur la scène parisienne, il n'est jamais intervenu sur la formation, l'encadrement, le développement d'un islam de France. Une méprise qui en dit long. 

On espère que que la volonté du Ministre Marcourt ne se limite pas à l'érection à moyen terme d'un beau joujou architectural sur lequel il pourra apposer une plaque commémorative à sa gloire personnelle, mais ne sera d'aucune utilité pour le projet visé. 

Autre sujet d'inquiétude, la dépêche Belga rapporte qu'il "entend expliquer sa démarche auprès des ambassadeurs du Maroc et de Turquie dont il sollicite le soutien. "L'ambition est de permettre à la deuxième et troisième génération ainsi qu'aux convertis de prendre leur destin en main"". 

Vous avez bien lu: solliciter le soutien. Le Maroc et la Turquie pourrissent le dossier de l'islam de Belgique, avec la complicité bienveillante de tous les ministres en charge des Cultes, de gauche, de droite et centristes (ainsi que de leurs gouvernements) qui se sont succédés depuis 1974. Le meilleur moyen d'enterrer tout projet de réforme, ou d'émergence d'un islam belge, c'est bien de donner un droit de regard (pour ne pas dire de préemption) sur le projet, au travers d'un soutien de la Turquie et du Maroc - soutien qui sera loin d'être sans contrepartie. Le nouvel Exécutif des Musulmans de Belgique n'est d'ailleurs que le résultat d'une "entente cordiale" à huis clos entre le Maroc, la Turquie et la Belgique, réalisée dans le dos des musulmans de Belgique, dégoûtés et démotivés par les années de tractations, de guerre de tranchées qui ont mené à cet équilibre où chacun préserve ses prébendes et ses "droits de tirage" sur ses communautés diasporiques respectives.

Pour être bien sûrs de ne rien laisser au hasard, un vent favorable  nous rapporte qu'un accord tacite existerait entre "Marocains" et "Turcs" au sein de l'EMB pour que l'actuel président, M. Smaïli, cède sa place à mi-mandat pour un "Turc". Bravo l'islam de Belgique. 

Mais le Ministre Marcourt n'a pas peur d'enfiler les contradictions, démontrant sa profonde maîtrise du dossier: à l'heure où les 2ème et 3ème G sont de moins en moins enclines à prêter allégeance au pays d'origine de leurs parents en matière de culte, le Ministre Marcourt va demander le soutien de ces derniers pour aider ces 2ème et 3ème G de prendre leur destin en main - ainsi que les convertis! Mais qu'est-ce que nous avons à faire de la façon dont ces pays organisent leur islam, ou encore de leurs recettes inadaptées à notre réalité ? 

De la même manière, il semblerait que le Ministre Reynders soit intéressé par la formation des imâms au Maroc, comme modèle de modération et de sagesse, pour lutter contre la radicalisation. Quelqu'un l'a-t-il informé que plus de 3000 Marocains, supposément encadrés par leurs imâms sociologues et bienveillants, ont déjà rejoint Daesh? Que l'essentiel du contingent des jihadistes européens (en tous cas pour la France, la Belgique, les Pays-Bas) sont issus des communautés d'origine marocaine (etmaghrébines), supposément encadrées également par des imâms formés "au bled". Comme c'est rassurant. 

Ces éléments démontrent à quel point la perception politique de la problématique est en décalage avec les réalités et les besoins du terrain. Je fais voeux que la "Commission Marcourt" ne confirmera pas ces généralisations à l'emporte-pièce et qu'elle saura être véritablement indépendante, productrice de recommandations fortes, en rupture avec cette approche "romantique" du futur de l'islam de Belgique. 

On a déjà perdu 2 générations, on ne peut pas se permettre d'en perdre une troisième!

PS: Par contre, un petit tour du côté de l'Indonésie (la plus grande démocratie pluraliste à majorité musulmane), cela ne ferait pas de mal... Là, pour le coup, on trouve des initiatives intéressantes qui pourraient inspirer adéquatement les réflexions de nos décideurs.

10.3.15

Hamid Bénichou, le dernier chien de garde(*) de médias belges en quête de sensationnalisme ?

(c) www.deviantart.com 
Le 27 janvier 2015, le Soir informait en exclusivité du lancement de « Convergences musulmanes de Belgique contre la radicalisation et pour la citoyenneté » : une initiative qui rassemble le plus grand nombre jamais atteint d’organisations et de personnalités musulmanes de Belgique autour de ces questions, au-delà de leurs différences ethnoculturelles, politiques, religieuses, théologiques, juridiques... Au final, plus de 80 organisations et presque autant de personnalités ont signé cette déclaration, s’engageant à répondre à l’exigence de responsabilité communautaire et sociétale pour développer des solutions effectives au phénomène de l’extrémisme violent qui traverse nos sociétés en général, et certains secteurs des communautés musulmanes belges en particulier. 

De manière globale, les médias belges et étrangers qui ont répercuté cette initiative l’ont fait d’une manière objective et constructive, mettant en avant les défis et les questions que soulève l’opérationnalisation d’une telle déclaration, au-delà du fait – majeur en soi – que cette déclaration démontrait une volonté partagée de la société civile belge de confession musulmane d’être un partenaire responsable des autorités dans la lutte contre les causes profondes de cette crise.

Dans le but d’alimenter la polémique, un topos bien connu de la sphère médiatique (surtout ne pas laisser croire que la moindre initiative pourrait rester sans dissidence !), certains médias ont choisi d’accorder une attention disproportionnée à Hamid Bénichou, planton dans un commissariat de l’avenue de Roodebeek, et responsable d’un réseau d’associations au statut assez imprécis : « Maison inter-citoyenne vivre-ensemble », « Espace Intercommunautaire » ou encore, depuis ce mardi 10 mars 2015, l’« Initiatives citoyennes pour un Islam de Belgique (ICIB) » (Apparemment, son appel à rassemblement du 31 janvier semble rester sans suite à ce jour).

M. Bénichou a très vite émis un fatras de critique à l’encontre de « Convergences » et d’EmBeM – Empowering Belgian Muslims asbl – l’organisation à l’origine de cette initiative originale. On pense ici au Vif-L’Express (6 mars 2015), à la Libre Belgique (qui lui a donné plusieurs fois la parole les 31/01 ; 04 et 15/02), à M Belgique (6 février), au Peuple.be ou encore plus récemment, sur un sujet connexe, la RTBF.be (6 mars).

Il est évident qu’il ne me vient nullement à l’esprit de mettre en question la nécessité d’un débat contradictoire entre tous les acteurs de la société, comme condition sine qua non de l’obtention de positions équilibrées qui permettent de prendre en compte le maximum de facteurs et d’intérêts. Mais pour que débat démocratique il y ait, encore faut-il que celui-ci soit correctement nourri et que tous les interlocuteurs soient passés au crible d’une critique identiquement non complaisante et que leurs dires soient recoupés. Je suppose que l’on discute ici des fondements mêmes d’un journalisme et d’une presse de qualité comme principe vital de notre démocratie.

Or, si votre serviteur est l’objet d’une attention particulièrement scrutatrice des médias, il n’en va objectivement pas de même pour celles et ceux que certains médias cooptent à la fonction de « bonne conscience critique de la communauté musulmane ». Hamid Bénichou bénéficie ainsi d’une telle mansuétude, et pourtant son parcours, ses positions et ses propos mériteraient un examen minutieux ainsi que d’être largement recoupés d’après d’autres sources et relativisés en conséquence. 

Vous voulez des exemples ? En voici quelques-uns pour la route…

A) Dans une interview hagiographique réalisée, sans surprise, par le CCLJ le 1er juillet 2014, Hamid Bénichou se présente comme un opposant au FLN (Front de Libération Nationale algérien), alors que son parcours associatif à l’époque en tant qu’amicaliste ainsi que son intention de faire une carrière dans la diplomatie algérienne au temps du parti unique démontrent plutôt une allégeance inconditionnelle au régime en place et une relation, disons, distendue avec les valeurs démocratiques à un moment donné de son parcours. Cela semble en effet corroboré par un témoignage de l’époque par un chercheur indépendant  sur les communautés étrangères en Belgique (voir le commentaire sous l’article du CCLJ).

Loin de moi l’idée de condamner M. Bénichou pour des engagements qu’il aurait pu prendre dans sa jeunesse, car de nombreux témoignages font état du syndrome du parti unique et de sa nature à vouloir tout contrôler, manipuler et diriger, qui est encore vivace dans les mémoires des immigrés à travers la défunte Amicale des Algériens en Europe

Ce qui est plutôt choquant, c’est qu’il se repeigne impunément aujourd’hui en opposant au régime alors qu’il comptait en profiter pleinement, et que cela n’ait, en outre, aucun impact sur la crédibilité dont cet homme peut bénéficier alors qu’il est manifestement en train de réécrire sa propre histoire d’une main plutôt favorable.

B) Hamid Bénichou est présenté régulièrement comme agent de quartier, en première ligne du combat pour la démocratie et contre l’intégrisme. Pourtant, il n’a plus mis les pieds sur le terrain depuis 2002 au moins. Ce que corroborent ses « analyses » : il reste figé dans le paradigme des années 90, période durant laquelle il était effectivement aux charbons. S’il a pu bénéficier, de la sorte, d’informations de première main sur le parcours de certains activistes (surtout de la première génération), il n’a aucune véritable connaissance du militantisme des 2ème et 3ème générations. Bien qu’il ait pu en rencontrer quelques-uns qui faisaient leurs premiers pas militants dans les années 90, il n’a pas assisté à leur évolution et se contente de toujours faire référence à ce qu’ils/elles auraient pu dire il y a 20 ans. 

Or, l’eau a coulé sous les ponts pour tout le monde en deux décennies, et fort peu de gens se vanteraient de n’avoir changé en rien en autant d’années. Bref, appliquer des grilles de lecture pertinentes dans les années 90 sur la réalité d’aujourd’hui est profondément inapproprié. M. Bénichou est certes une source d’informations historiques pour ces années-là, mais aujourd’hui, la pertinence de ses propos sur le militantisme musulman contemporain avoisine le zéro. 

Il conviendrait donc que les journalistes qui font appel à ses lumières prennent le temps de recouper ses dires pour éviter les contre-vérités.

C) M. Bénichou n’est pas non plus à une incohérence près, ce qui devrait mettre la puce à l’oreille des fins limiers du journalisme qui font amplement échos à ses propos. 

Dans cette fameuse interview du CCLJ, M. Bénichou annonçait la couleur : il voulait devenir calife à la place du calife. « Hamid Benichou envisage de lancer à la rentrée une association de citoyens belges de confession musulmane « libres », en dehors de toute confrérie religieuse, composée d’hommes et de femmes « qui souhaitent, comme nous, revoir certains de nos comportements, nous les imposer à nous-mêmes et les traduire sur le terrain », précise Hamid Benichou. « Une association où l’on pourra parler de tout (violences conjugales, égalité des sexes, laïcité…), qui rejettera les fanatismes, condamnera les actes terroristes, reconnaitra publiquement les lois du pays, sans double discours, une association qui constituera un pendant à l’actuel Exécutif des musulmans, comme autre interlocuteur auprès des politiques. Le monde associatif doit être entendu, parce qu’il exprime la réalité du terrain ».

Si je rejoins M. Bénichou sur le fait que monde associatif doit être entendu car il exprime la réalité du terrain, je m’étonne par contre grandement du fait qu’il condamne « Convergences musulmanes » dans une interview à la Libre Belgique le 31 janvier 2015 sous prétexte que « Convergences » voudrait se substituer à l’Exécutif des Musulmans de Belgique : « Il y a là derrière un agenda caché. Ce petit groupe proche des Frères souhaite imposer un islam politique et se substituer au travail de l’Exécutif des musulmans de Belgique." ». 

M. Bénichou est, en vérité, un « entrepreneur identitaire » qui ambitionne de prendre le leadership sur une certaine communauté musulmane et qui a cru percevoir, dans « Convergences » un concurrent direct. Il est pourtant pris là en flagrant délit de mensonge : le jour même de la réunion historique de « Convergences », le 22 janvier 2015, j’avais personnellement précisé qu’il n’y avait aucune volonté de remplacer l’EMB, mais de le soutenir dans ses fonctions, ce que j’ai personnellement répété dans toutes mes interventions médiatiques à ce propos. L’empowerment, consiste à donner aux acteurs/trices les moyens de faire leur job dans les meilleures conditions possibles. Ce qu’ont bien compris les représentants de l’EMB qui ont signé le document final, contrairement à M. Bénichou.

Mentionnons en passant le motif récurrent de l’agenda caché dans les déclarations de M. Bénichou à propos de « Convergences » et d’EmBeM. S’il le décrit si bien, comment donc l’a-t-il percé ? Aucune des plumes perspicaces qui l’ont interrogé ne semble lui avoir posé la question. Serait-ce tout simplement qu’il n’y a tout simplement pas d’agenda caché, mais que M. Bénichou utilise cette tactique éculée, mais ô combien efficace, pour délégitimer ce qu’il perçoit comme un adversaire ?

D) Mais venons-en à cet aspect des choses : si « Convergences » voulait être un adversaire de M. Bénichou, pourquoi aurait-il été invité à cette réunion, ainsi qu’à signer la « Déclaration du 22 janvier » ? M. Bénichou a été invité en toute transparence et a pu participer aux débats, comme tout un chacun, ainsi qu’il le précise lui-même dans une vidéo disponible sur YouTube. Bien que l’on sente cet homme d’une autre génération mal à l’aise face à l’utilisation de techniques modernes de gestion efficace de réunions complexes en un temps restreint, il reconnaît avoir pu partager son point de vue au même titre que les autres participant(e)s. 

Notre objectif était en effet de rassembler le spectre le plus large possible de points de vue autour de la table : nous avions invité toutes les associations ou personnalités qui se sont prononcées sur la question de l’avenir de l’islam et des musulmans de Belgique, ce qui est au cœur des propos de M. Bénichou. Nous n’avons posé aucune exclusive sur les méthodes employées par les acteurs/trices, ni leurs objectifs pour permettre justement un tel rassemblement, car tou-te-s, nous luttons pour que tou-te-s les citoyen-ne-s belges, quelles que soient leurs convictions personnelles et leur angle d’approche sur la question, puissent s’épanouir en Belgique.

Dès lors, M. Bénichou, comme d’autres, avait sa place dans cet effort commun. Ni plus, ni moins que les autres participant(e)s. 

Effectivement, pour montrer que les musulman(e)s décidaient de reprendre l’initiative, l’idée d’un communiqué a été proposée aux participant(e)s, mais n’a pas réuni l’assentiment général. Dès lors, il a été proposé de ne rien sortir le lendemain, mais de prendre le temps de la consultation. M. Bénichou a beau appeler cette déclaration une « arnaque », affirmer (avec quelles preuves ?) qu’elle « était écrite depuis longtemps » (La libre, 31/01), mais toujours est-il qu’il y a eu processus de consultation à plusieurs étages :
  • 48h pour rédiger une proposition de texte sur base des éléments issus des 4 ateliers qui prirent place le 22 janvier ;
  • Une consultation via mail pendant 48h supplémentaires ET l’organisation d’une réunion physique le dimanche soir (25 janvier) pour celles et ceux qui souhaitaient cette formule plutôt que d’envoyer leurs commentaires par mail ;
  • Le texte final, reprenant tant les commentaires reçus par mail que les contributions émises lors de la réunion de consultation, fut établi le lundi 26 au soir par l’équipe d’EmBeM.
Rien n’était préparé à l’avance : nous n’aurions pas attendu 5 jours pour sortir l’information si nous n’avions voulu trouver un consensus entre celles et ceux qui voulaient prendre le temps d’une concertation plus approfondie et les autres, partisan(e)s d’une réaction plus rapide.

Cela s’appelle un processus démocratique de consultation, qui échappe manifestement à M. Bénichou, pour qui la « démocratie » semble relever moins de la pratique que l’incantation. Bref, nous sommes très loin du « mensonge » complaisamment relayé par l’apprenti journaliste de M Belgique dans son article du 6 février (Une initiative citoyenne divise la communauté musulmane). D’autant que, cerise sur gâteau, de nombreux témoins directs se rappellent qu’il a déclaré publiquement, lors de cette rencontre, qu’il était prêt à signer une telle déclaration si elle avait pour objectif de lutter contre le radicalisme.

A nouveau, le plus étonnant n’est pas que M. Bénichou, soit ambivalent ou encore qu’il émette de telles critiques face à une initiative qu’il perçoit comme une menace directe pour sa propre quête de légitimation, mais qu’aucun des journalistes ayant répercuté ses dires n’ait pris la peine de vérifier cette information auprès des protagonistes.

E) Une autre critique récurrente de M. Bénichou concerne l’emprise frériste sur « Convergences ». Là encore, les propos de M. Bénichou montrent à quel point ses affirmations sont à prendre avec des pincettes, alors qu’elles ont constitué, entre autres, le squelette du dossier du Vif l’Express du 6 mars sur la façon dont les Frères Musulmans auraient pris la Belgique en otage (sic). 

Dans la vidéo citée ci-dessus, M. Bénichou admet qu’une cinquantaine de participant(e)s ont pris part à la réunion. Il précise pourtant n’en connaître que quelques-un(e)s (10 précisément, sur 50 !!!!), mais cela ne l’empêche pas de déduire que « tous partagent les mêmes convictions que l’association qui les a invités », à savoir « imposer un islam politique » (La Libre du 31/01 et du 04/02), du fait que cette « cette initiative est poussée et portée par des personnes et des mouvements proches des Frères musulmans ». 

Sans autre forme de procès ! Amène-t-il la moindre preuve de qu’il prétend ? Aucun fin limier de la presse ne se sera donné la peine de faire son enquête, répandant sans vergogne des propos diffamatoires susceptibles de porter atteinte à la réputation et à la carrière professionnelle de gens qui investissent leur temps et énergie pour sortir notre pays de l’ornière dans laquelle il est plongé. 

F) Une simple vérification, B-A-BA du journalisme de qualité, leur aurait pourtant permis de s’interroger sur le double de discours de M. Hamid Benichou. Au cours des trois derniers mois, M. Bénichou avait en effet sollicité des rendez-vous tant avec certain(e) de mes collègues admistriateurs/trices d’EmBeM que moi-même dans le but de travailler ensemble, avec EmBeM, et de développer des synergies, vu notre intérêt commun pour un avenir apaisé pour l’ensemble des citoyens belges de toutes convictions. M. Bénichou savait pertinemment qui nous étions et c’est d’ailleurs suite à ces rencontres que nous avons pris la décision de l’inviter à la rencontre du 22 janvier.

Dès lors, on peut s’étonner de cette accusation de frérisme qu’il se met à lancer urbi et orbi à notre encontre : soit, nous sommes effectivement fréristes, et cela ne le dérange pas de travailler avec des « Frères » tant que cela sert ses intérêts personnels (avec une belle dose d’hypocrisie) ; soit nous ne sommes pas fréristes – ce qui est le cas, la formule est purement rhétorique (précision pour les âmes épaisses) – et l’accusation qu’il lance vise purement et simplement à nous « flinguer » car nous gênerions son petit « business communautaire ». 

Ne soyons pas pour autant injustes à son propos : cela fait des mois qu’il essaye de lancer une plate-forme de rassemblement d’un large panel de musulman(e)s, sans aucun succès, et EmBeM réussit en 10 jours à faire ce qu’aucune autre association n’avait réussi à faire auparavant, lui « raflant la mise » au passage. De quoi s’étrangler, il faut le reconnaître. Non pas qu’EmBeM soit d’une essence supérieure, mais du fait, simplement, que la méthodologie utilisée (pas de volonté de se placer en lider maximo de la communauté musulmane, mais de travailler le collectif et les convergences) et l’intelligence du contexte ont permis ce développement prometteur. 

G)  autre exemple de double langage ? Il suffit de lire la presse : ce vendredi 6 mars, le site de la RTBF.be fait état du rapport de Muslim Rights Belgium (MRB) sur 10 cas d’islamophobie dans la police. Alors que le président du SFLP police reconnaît la possibilité de tels dérapages, M. Hamid Bénichou, planton de son état, mais s’exprimant, dans le cas d’espèce, comme simple citoyen (ben voyons !) n’hésite pas à « relativiser » : « C'est un acte très très isolé, c'est au contrôle interne, au comité P et à l'inspection générale de mener cette enquête. Pour eux (MRB, ndr), tout est islamophobie, je pense qu'ils exagèrent un peu ». 

Pourtant, le même Hamid Bénichou, notamment lors de réunion du 22 janvier, n’a pas hésité à clamer se battre sans compromission contre le racisme dans la police, à tancer ses supérieurs. Dans une autre interview dans la Libre Belgique du 15 février, il confirmait « Oui, [Guy Cudell, le bourgmestre de Saint-Josse, ndr] me soutenait car j’avais des problèmes d’intégration; pas au sein de la population, mais au sein du corps de police. L’esprit de suspicion était fort, et il existe encore. J’ai entendu un jour un policier, un apostilleur, dire : "J’aimerais bien qu’il fasse moins 24 dehors comme cela tous les Arabes crèvent !" Cinq minutes après, il avait un Arabe en face de lui, pour une audition. Comment ce bonhomme aurait pu faire correctement son travail ? ». Il précisait encore : « Oui, cette discrimination existe toujours ».

Cette discrimination, fondée sur l’appartenance réelle ou supposée d’un individu à l’islam, cela s’appelle, précisément, de l’islamophobie. Avis à ce cher Monsieur Bénichou. De nouveau, ou ce dernier raconte n’importe quoi à la Libre Belgique, il y à peine 3 semaines, en disant que ce type de discrimination existe (sans employer le mot islamophobie), et ce que dit MRB n’est pas une exagération (mais quel est alors le sens de son intervention ?) ; soit l’islamophobie n’existe effectivement pas, et il ment de facto à la Libre, ainsi qu’à tous les participants de la réunion du 22 janvier auprès de qui il s’est fait passer pour un champion de lutte contre les discriminations à l’encontre des musulmans, au sein de la police, de l’administration, mais aussi du monde politique.

Il ne me vient pas à l’idée de jeter la pierre à M. Bénichou : face à la pression médiatique, nous ne sommes pas tous équipés de la même façon pour respecter notre impératif de cohérence. Des formulations malheureuses peuvent nous échapper, on peut être amené à revisiter son passé, à tenter de le faire voir sous un jour meilleur, à révéler ses pensées profondes au détour d’une phrase un peu trop longue… Après tout, nous ne sommes pas nés ni n’avons été formés pour être des communiquants professionnels… Nous sommes des acteurs de terrain et tentons de notre mieux de faire en sorte que la société évolue dans le sens de ce que nous croyons au plus profond de nous-mêmes être le Juste, le Beau, l’intérêt général commun.

Je me pose par contre de nombreuses questions quant à la pratique et l’éthique journalistiques de celles et ceux qui se sont transformé(e)s plus que complaisamment en porte-voix des propos de M. Bénichou, sans nuance, sans contre-enquête – sur le simple fait qu’il ait été, il y a plus de quinze ans, un brave policier de quartier, et qu’il parle aujourd’hui citoyenneté, alors que beaucoup d’acteurs/trices de terrain, citoyens belges de confession musulmane, considèrent déjà la citoyenneté comme un acquis sur lequel on n’a même plus besoin de revenir, et qu’il faut maintenant passer aux questions de l’égalité en pratique, de la reconnaissance mutuelle, de bénéfices partagés, d’une histoire et d’un avenir commun

M. Bénichou a des intérêts particuliers à raconter ce qu’il raconte, ce qui est en soi légitime, mais ne justifie aucunement les publi-reportages dont il a bénéficié en tentant de casser l’élan de plus de 160 organisations et personnalités de tous horizons visant, justement, à refuser le communautarisme et l’islam politique qu’il dénonce (La Libre de 4 février) et s’engager dans une vraie démarche de coresponsabilité avec les institutions de l’ensemble de la société.

Dans le cadre d’une véritable démarche de journalisme d’investigation, il aurait été pertinent de s’intéresser au bilan de M. Bénichou et de ses différentes associations, à ses solutions pour lutter contre la radicalisation du 0,1% des jeunes musulmans qui finissent par rejoindre Daesh. Quelles réponses a-t-il apportées au cours de ses 25 ans de présence sur le terrain ? 

Lui qui accuse EmBeM et « Convergences musulmanes » de sectarisme, pourquoi ne nous a-t-il pas invités au lancement de sa nouvelle « Initiative Citoyenne pour un Islam de Belgique (ICIB) » ? A EmBeM, nous partageons également fermement cette volonté de connaître enfin un islam belge dégagé des influences étrangères et nous aurions volontiers soutenu cette nouvelle tentative.

D’ailleurs, l’Alternative Démocratique des Musulmans de Belgique (ADMB), qui a porté, extrêmement seule, ce combat pendant ces 5 dernières années, durant tout le processus de renouvellement de l’Exécutif, en se battant contre l’emprise de la Turquie et du Maroc sur les communautés musulmanes de Belgique ainsi que contre la résignation des gouvernements belges successifs sur ce dossier, ne s’y est pas trompée et a signé l’appel de « Convergences ». Durant toutes ces années, M. Bénichou regardait probablement ailleurs et semble aujourd’hui découvrir la Lune. Qui de nous s’inscrit, en vérité, dans une démarche de fermeture ? Un seul journaliste lui a-t-il posé la question ce 10 mars lors du lancement de sa nouvelle « Initiative » ?

A l’instar de tous les autres acteurs/actrices de terrain qui ont rejoint « Convergences » et qui se sentent concerné(e)s par l’avenir de nos enfants, il porte une responsabilité personnelle dans cet échec collectif. Les signataires de « Convergences » et beaucoup d’autres reconnaissent cette responsabilité, cet échec, et s’engagent à agir pour changer la donne. M. Bénichou semble ne pas les reconnaître et préfère pointer les autres du doigt, alors que son travail et sa démarche sont, en soi, pleinement légitimes et complémentaires avec de nombreuses actions sur le terrain.

C’est d’ailleurs dans un tel esprit d’ouverture, de co-construction, de « faire-ensemble » et de soutien mutuel, qu’EmBeM, en tant qu’organisation, a signé des deux mains l’appel lancé par Hassan Bousetta « Article 193 », plaidant pour un patriotisme constitutionnel. EmBeM ne prétend pas détenir la vérité, bien au contraire. Nous reconnaissons que, vu la gravité de l’heure, toutes les énergies abordant ces problématiques complexes sous des angles différents sont complémentaires. Tout groupe ou association prétendant apporter seul(e) une solution holistique à la situation que nous connaissons s’expose d’emblée au ridicule et au discrédit.

Dès lors, un vrai débat démocratique alimenté par une presse de qualité aurait tenté de mettre en évidence les lignes de forces entre nos approches respectives, nos présupposés méthodologiques, l’opérationnalisation de nos solutions et les défis qu’elles suscitent… 

Il n’aura rien été de tout cela, car prisonniers de leurs propres impératifs de rentabilité, de leur besoin de faire le buzz, de leur tropisme à souligner les divergences superficielles, la petite phrase assassine, le colportage de rumeurs et la suspicion, ces journalistes n’ont fait qu’alimenter une polémique stérile, en instrumentalisant la quête existentielle de sens et de réalisation personnelle d’un ancien policier de quartier.


Décidément, une certaine presse ne sort pas grandie de cette histoire. Triste période pour la démocratie et le débat d’idées.


(*) Voir Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Raison d’agir, 2005.

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...