27.12.12

L'homosexualité, un défi théologique

Le titre apparaitra certainement comme provocateur mais il est à la mesure des débats en cours actuellement, en France ainsi que dans le reste de l’Europe, voire du monde musulman , sur la reconnaissance du mariage homosexuel en particulier, mais également de l’homosexualité de manière plus générale (...)


Le titre apparaitra certainement comme provocateur mais il est à la mesure des débats en cours actuellement, en France ainsi que dans le reste de l’Europe, voire du monde musulman , sur la reconnaissance du mariage homosexuel en particulier, mais également de l’homosexualité de manière plus générale.


A ce propos, on mesure rétrospectivement l’ampleur du glissement des mentalités en rappelant qu’il y a à peine trente à quarante ans l’islam était perçu, connu et pratiqué comme la religion la plus « gay friendly » du monde des monothéismes, suscitant la conversion de personnalités telles que Maurice Béjart ou Vincent Mansour Monteil. Sans aucun doute, chacun est libre de son opinion à ce sujet, et les musulmans ont tout le loisir de contribuer au débat. Cependant, force est de constater qu'un argumentaire très réducteur est en train de se développer dans les rangs des adeptes des trois révélations monothéistes, sur fond d'une exégèse pour le moins orientée de leurs sources scripturaires respectives.
Que l'on soit pour ou contre la relation ou le mariage des homosexuels est une chose, mais que l'on tire prétexte d'un détournement sémantique des textes religieux pour accuser les homosexuels de la déviance potentielle ou réelle de la société en est une autre. Il convient donc de remettre les termes du débat à leur juste place afin que les croyants, et plus précisément les musulmans pour ce qui nous concerne, puissent forger leur opinion à la lumière de la diversité des approches théologiques de la question. Le développement qui suit s'inscrit dans cette visée.
Le peuple de Loth, ou l'homosexuel comme la figure du pervers
La condamnation, par le Coran, de la relation homosexuelle, est présentée par l'immense majorité des prédicateurs et des référents religieux musulmans comme un lieu commun non sujet à débat. La trame de fond, rappelée comme un leitmotiv, est celle de l'histoire du prophète Loth et de la visite des Anges qui anéantirent sa cité pour punir ses habitants de leur pratique homosexuelle, considérée comme une perversion extrême.
Pourtant, un examen approfondi des passages coraniques relatifs à cette histoire soulève de nombreuses questions. Sur les seize[1]passages mentionnant Loth et sa cité, celui-ci est mentionné nommément 5 fois, l'histoire est évoquée 9 fois de manière succincte, et 7 passages[2]donnent des détails suffisamment importants pour comprendre le contexte et la morale de l'histoire. Partant de là, on peut se demander quel est le sens du dialogue entre Loth et son peuple, lorsque celui-ci leur « offre » ses filles, au regard de la pureté de comportement attribuée aux prophètes dans l'islam.
On peut également questionner au plan théologique ou métaphysique l'attitude d'abattement du prophète, entre autres interrogations. Nous nous concentrerons ici sur une troisième question, relative au « péché » en tant quel ; quelle est, ou plutôt quelles sont les déviances commises exactement par le peuple de Loth ? A cette question, les exégètes et les théologiens musulmans ont apporté un ensemble de réponses à partir de la « reconstruction » du contexte de l'histoire, car on ne peut pas déduire directement des versets précités que c'est la relation homosexuelle en tant que telle qui a été le vecteur du châtiment divin.
C'est ici que se situe le nœud interprétatif de l'histoire et les règles juridiques qui seront forgées par les docteurs de la loi. On en trouve une synthèse très instructive chez Abû 'Abdillah al-Qurtubî[3], l'illustre exégète musulman du 13e siècle : celui-ci bâtit toute son interprétation sur la sodomie en tant que source principale de la perversion du peuple de Loth et du châtiment divin.
Partant de là, l'expression qualifiant, en arabe, la relation homosexuelle (liwât, oufi'l qawmi-Lût) est celle-là même utilisée pour qualifier la sodomie, l'homosexuel (lûtî) étant assimilé au peuple de Loth. Al-Qurtubî s'appuie également sur la notion de turpide (fâhichah) évoquée aux versets 7/80 (pour qualifier la pratique du peuple de Loth) et 17/32 (pour qualifier la relation sexuelle illicite entre deux personnes pubères, ou zinâ) pour avancer quatre arguments :
-     tout d'abord, il assimile la relation homosexuelle au zinâ, ou acte sexuel illicite (fornication ou adultère), en le positionnant un cran au-dessus en terme de péché, et en affirmant que le peuple de Loth aurait été le premier à pratiquer la sodomie ;
-     il rejette ensuite l'interprétation selon laquelle le peuple de Loth aurait été châtié uniquement pour son incroyance et non pour ses actes, en arguant du fait que le Coran mentionne explicitement les actes que ces gens auraient commis ;
-     par extension, il considère que les membres de ce peuple qui ne pratiquaient pas la sodomie la cautionnaient, c'est pour cela qu'ils sont été englobés par le châtiment divin ;
-     enfin, il appuie son interprétation coranique par une série de propos prophétiques condamnant de manière intransigeante et extrêmement virulente la pratique du peuple de Loth.
Al Qurtubî nous livre, dans son exégèse, une position largement partagée par les exégètes et les théologiens de l'islam. A un siècle le distance, Abûl Fidâ Ismâ'îl ibn Kathîr[4]reprendra le même type d'approche dans sa monumentale Histoire du monde[5], au passage relatif à Loth[6], ainsi qu'au sous-titre relatif au sultan al-Walîd ibn 'Abdal Malîk, en mentionnant le fait que la sodomie est un fléau ayant désormais touché l'ensemble des classes sociales dans les sociétés musulmanes, hommes de religions compris[7]et en incitant le musulman à s'en préserver – comme quoi il n’y a finalement rien de neuf sous le soleil.
Toute la littérature théologique et juridique musulmane, concernant la relation homosexuelle, est irriguée par ce prisme de départ lié à l'interprétation du châtiment du peuple de Sodome et Gomorrhe à cause de sa pratique sexuelle pervertie.
Le consensus revendiqué aujourd'hui par nombre de responsables religieux musulmans sur le sujet pose cependant question car, comme nous l'avons mentionné plus haut, une approche globale des passages coraniques relatifs à l'histoire de Loth ne permet pas d'aboutir à la conclusion que c'est la relation homosexuelle qui est directement qualifiée de comportement pervers méritant le châtiment.
A la lecture de ces passages, on comprend que ces individus pratiquaient une sexualité pour le moins débridée dans leur « club » (nâdî), de tendance certainement orgiaque, et qu'outre leur exhibitionnisme ils commettaient surtout des viols en réunion, particulièrement à l'encontre des voyageurs qui s'approchaient ou qui pénétraient dans ces deux cités. C'est dans ce sens que Loth les incite à revenir à une pratique plus saine en proposant ses filles en mariage aux notables (selon l'interprétation exégétique), puisqu'il craint pour l'intégrité et la vie de ses invités, en l'occurrence les Anges mandatés pour châtier son peuple.
Il est intéressant de constater comment le processus interprétatif adopte un mode de perception de la figure du prophète, incarnant le bien et donc ne pouvant pas jeter ses filles en pâture à son peuple, tout en réduisant le contexte du récit à la pratique de la sodomie, puis l'homosexualité elle-même à la sodomie.
Le droit musulman et la prise en compte de l'homosexualité
Posant que l'homosexualité est intrinsèquement perverse, l'idée de la perversion globale de la société par les homosexuels est largement partagée dans l'univers mental des musulmans comme dans la production exégétique et juridique. Pourtant, très tôt les théologiens et les juristes musulmans ont été amenés à discuter de cette construction de sens a posterioride l'expérience historique des premiers musulmans.
En effet, outre le « silence » coranique implicite sur la relation homosexuelle en tant que telle, les contemporains de la révélation coranique, et le prophète lui-même, n'ont pas fait mention de situations relatives à cette relation. Les partisans de la condamnation ferme de toute relation homosexuelle se basent, quant à eux, sur un ensemble de propos attribués à Muhammad ou aux premiers califes de l'islam dans lesquels ils auraient explicitement prononcé la peine de mort à l'encontre de toute personne ayant eu une relation homosexuelle active ou passive.
Il convient de signaler ici que, au-delà du fait qu'il n'existe aucun propos prophétique mentionné dans les deux recueils authentiques les plus attestés chez les musulmans, en l'occurrence les recueils de Bukhârî et Muslim, une seule tradition est mentionnée dans quatre recueils de traditions prophétiques[8], dont le texte est le suivant « Celui que vous prendrez en flagrant délit d'acte comparable à celui des gens de Loth, tuez les deux, l'auteur actif et le passif. »
Cette tradition ne possède pas le degré d'authenticité requis pour son utilisation en matière de droit ou d'exégèse. Quant aux dizaines d'autres traditions évoquant le comportement du peuple de Loth ou mentionnant explicitement le fait de sodomiser son ou sa partenaire, citées dans les ouvrages de droit musulman, d'exégèse ou encore d'exhortation, elles sont soit non authentifiées, soit complètement apocryphes.
Pourtant, la doctrine adoptée par la majorité des juristes musulmans en matière de droit sera de conférer à ces traditions une valeur authentique par leur simple poids numérique. En d'autres termes, leur nombre et leur circulation atteste de leur caractère authentique, même si leur analyse fait apparaître leur caractère non valide, au plan de la chaîne de transmission et/ou du texte. A cela s'ajoute le fait que nombre de référents religieux et de prédicateurs musulmans bâtissent leurs discours en puisant dans des livres d'exhortations où circulent à profusion nombre de traditions apocryphes.
Parmi les plus connus on trouve le fameux Livre des grands péchés, composé par l'imam Chams ad-Dîn adh-Dhahabî, composé de 70 chapitres censés représenter chacun un péché capital. La majorité des traditions utilisées dans ce livre sont apocryphes. Le néophyte musulman non arabisant peut accéder à une traduction française pour laquelle l'éditeur, certainement par souci d'économie de temps et d'argent, a purement et simplement éliminé les notes de bas de page explicitant le caractère apocryphe de ces tradition. On imagine aisément les conséquences...
Ceci étant dit, c'est sur la base de la condamnation de l'homosexualité que vont se profiler deux grandes positions chez les juristes musulmans. La première est celle communément adoptée par les savants malékites, chaféites et hanbalites, qui considèrent l’homosexualité comme pire que la fornication et l’adultère, méritant la peine de mort, sauf en cas de « repentir ». A partir d'une interprétation du châtiment divin, ils considèrent que les deux personnes homosexuelles doivent être jetées d’une hauteur (montagne, bâtiment, etc.), ou être broyées sous un amas (mur, pierres…). Nous sommes bien entendu ici dans un champ purement spéculatif puisqu'aucune situation concrète ne s'est produite à l'époque prophétique.
La seconde position est celle partagée par Abû Hanîfa[9]et Abû Muhammad 'Alî ibn Hazm al-Andalusî[10] ; le cas est intéressant puisque les deux personnages sont les chefs de file des deux écoles jugées, au plan méthodologique, comme les plus antagonistes de l’islam. Abou Hanifa est en effet le représentant de l’« école de l’interprétation » (madrasat ar-ra'y) et Ibn Hazm est le représentant de l’« école littéraliste » (madrasat az-zhâhiriyya). Les deux récusent à fois l'interprétation majoritaire du récit coranique de Loth et l'ensemble des traditions prophétiques mobilisées qu'ils jugent apocryphes.
Leur position se résume au fait que le châtiment divin mentionné au sujet des peuples anciens est lié à leur incroyance et non à un comportement spécifique, sinon les musulmans seraient tenus d'exécuter tout commerçant malhonnête (à l'exemple du châtiment du peuple de Chu'ayb), toute personne ayant abattu l'animal d'autrui (à l'exemple du châtiment du peuple de Sâlih), etc.
L'argument doit être pris au sérieux, surtout lorsqu'on connaît les dérives totalitaires qu'ont pu générer certaines lectures radicales des textes religieux. De plus, en l'absence de sources scripturaires explicites, la pratique de la sodomie relève du champ discrétionnaire du juge (ta'zîr) et non des peines légales strictement définies (hadd)[11]. Parmi les arguments avancés par Ibn Hazm pour relativiser les « conséquences » de la pratique homosexuelle, celui-ci cite le fait que cette dernière ne porte pas atteinte à la traçabilité de la filiation, point qui obnubile très fortement les spécialistes du droit musulman.
Quelques pistes pour une théologie contemporaine de la question
L'exposé des divergences exégétiques et juridiques qui vient d'être fait relève, avant tout, de la spéculation intellectuelle et doctrinale des théologiens et des docteurs de la loi musulmans, sans forcément d'emprise réelle sur la vie sociale des sociétés concernées. En effet, contrairement à une représentation largement partagée par les référents religieux et le commun des musulmans contemporains, l'histoire des sociétés musulmanes et la gouvernance en terres d'islam se sont très tôt affranchies du primat théologico-juridique.
Par contre, dès les débuts de l'expansion de l'islam, théologiens et juristes musulmans vont faire preuve à la fois d'une capacité de prise en compte des réalités sociétales dans l'élaboration des règles de droit, mais également d'une aptitude polémiste remarquable. Comparé aux débats philosophiques et juridiques du Moyen-âge musulman, la production théologique musulmane contemporaine fait vraiment pâle figure.
A titre d'exemple, à la lumière des données de leur époque et de l'expérience de la communauté musulmane primitive, les juristes musulmans ont su intégrer dans leurs corpus doctrinaux les individus et les situations considérées comme hors du commun. Pareillement, on ne peut faire l’économie d’une approche historique et critique des discours théologiques et juridiques classiques sur cette question et ses éléments connexes.
On pourra citer la licence relative accordée à l'efféminé (mukhannath) ou encore le fait que c’était les relations homosexuelles entre hommes adultes qui s’attiraient avant tout l’ire des jurisconsultes. Les relations homosexuelles entre adolescents ou entre un homme adulte et un adolescent (éphèbe, çabiy) étaient à peine abordées, loin de l’apparente condamnation uniforme contemporaine pourtant articulée comme étant l’essence même du classicisme en la matière.
La théologie comme le droit ne peuvent donc être abstraits des conditions sociales, économiques et matérielles de leur production. Ces constructions, aussi subtiles soient-elles, sont le fruit des réflexions d’êtres humains engoncés dans leur histoire, leur contexte, des rapports de force spécifiques, gérant comme ils le peuvent leurs propres contradictions et intérêts. Ces derniers ne sont pas toujours discernables à la lecture de leur œuvre, mais indéniablement présents, ce qui n’enlève rien à leurs mérites respectifs.
A ce titre, il serait intéressant de relever quelques éléments que toute approche théologique contemporaine de la question de l’homosexualité et, en conséquence, du mariage homosexuel, devrait considérer. Tout d'abord, la question de la fitra, ou nature première de l’Homme : nombreux sont ceux qui utilisent cet argument pour condamner l’homosexualité.
Dieu ayant créé l’ensemble du vivant autour d’un principe mâle et femelle dont l’union vise à la procréation, la nature première de l’Homme, sorte de code source spirituel, ne peut dès lors être qu’hétéronormée, à l’instar de l’ensemble du vivant. Or, il apparaît de plus en plus que les comportements homosexuels seraient également largement partagés dans l’ensemble du monde animal[12].Ce dernier, d'un point de vue « musulman », est pourtant uniquement régi par la fitra de chaque espèce sans qu'il puisse y avoir une quelconque « déviation » a posterioride ce code source, que ce soit par l’éducation ou la société.
Dès lors, quand bien même il incomberait à l’être humain de s’élever au-dessus de son animalité en tant que cheminant spirituel selon la plupart des écoles spirituelles et juridiques musulmanes, l’argument de la fitracomme preuve et fondement de l’hétéronormalité peut être, à tout le moins, reconsidéré.Ensuite, il est symptomatique que le débat autour de la permissivité de l’homosexualité se focalise uniquement sur la question de l’homosexualité masculine réduite à la sodomie. L’histoire du peuple de Loth requiert déjà d’exercer une torsion exégétique considérable pour en faire le paradigme de la condamnation universelle de l’homosexualité. Dès lors, si cette interdiction était aussi absolue, on s'étonnera du mutisme divin assourdissant sur l’homosexualité féminine qu’aucune analogie ne peut rapprocher de l’homosexualité masculine sur la base de l’histoire de Loth.
Pourtant, à l’aune de la justice divine telle qu’exemplifiée en de nombreux endroits du discours coranique, tant les femmes que les hommes sont dument mentionnés en matière de rétribution, positive ou négative. En conséquence, il est légitime d’interroger le fait que, dans l’inconscient collectif abrahamique en général et musulman en particulier, l’homosexualité féminine soit un tel « non sujet ».
Ce qui implique automatiquement de repenser la construction du discours hétéronormé en fonction de représentations de la masculinité et de la féminité beaucoup plus profondes, notamment à propos de la question de la pénétration phallique dans un corps, féminin comme masculin. Une approche théologique contemporaine ne devrait-elle pas questionner les présupposés psycho-anthropologiques sous-jacents au discours hétéronormé au lieu de les considérer comme une donnée naturelle et non pas culturelle ?
Plus simplement encore, si l’on doit déduire du mutisme divin à propos de l’homosexualité féminine que celle-ci est autorisée, alors le mariage homosexuel féminin devrait être autorisé également. Ce qui pose la question, avec plus d’insistance encore, des fondements véritables de la condamnation de l’homosexualité masculine et du mariage homosexuel, au risque de l’aporie.
Car une autre confusion se dégage également de la matrice interprétative constituée par et autour de l’histoire du peuple de Loth, et directement en relation avec la question du mariage, c’est celle de la confusion entre homosexualité et homophilie (attirance/amour pour une personne du même sexe, sans relation sexuelle), les deux n’étant pas synonymes, ni même cause et conséquence.
Au contraire, la déconnexion entre les deux est plus ou moins radicale. En l’absence d'une sexualité conditionnée par l'impératif de reproduction la question des relations, voire du mariage, entre personnes du même sexe s’envisage-t-elle sous un autre jour ? Si oui, cela implique de devoir reconsidérer l’institution même du mariage et de son sens profond – à l’époque classique, mais aujourd’hui encore. A ce propos, ne sommes-nous pas face à des glissements de sens impressionnants ?
Par exemple, dans la tradition islamique classique, le mariage a toujours été considéré comme un contrat assurant les droits de toutes les parties prenantes impliquées par une relation sexuelle, éventuellement reproductive, entre deux individus[13]. La reproduction de l’espèce, le maintien de la société et de l’ordre établi n’étaient pas explicitement au menu du mariage pour les jurisconsultes classiques.
Le fait que ces dernières dimensions passent aujourd’hui devant les considérations contractuelles indiquent que des changements fondamentaux ont pris place dans l’épistémè islamique sur la question du mariage. Cela rend d’autant plus inopérante toute mise en parallèle simplificatrice entre l’histoire de Loth, son interprétation à l’époque classique et son interprétation contemporaine, toute tentation d’établir un continuumde sens risquant de créer, en vérité, de profonds contre-sens.
Comme signalé ci-dessus, le discours coranique semble donc moins mettre l’accent sur les pratiques prétendument homosexuelles du peuple de Loth, pour justifier le châtiment divin, que sur la volonté collective et réitérée, perverse, d’attenter à l’intégrité physique des hôtes de Sodome, violant par là-même la dimension sacrée de l’hospitalité. Il serait intéressant d’appliquer ici également le paradigme coranique du changement de la création comme générateur de la colère divine.
Ce ne serait pas du fait de son homosexualité mais de sa volonté de renverser l’ordre des choses et de briser toutes les conventions sociales, usurpant ainsi une des prérogatives divines cardinales, que le peuple de Loth aurait mérité son châtiment. Cela déplace profondément le sens même de cet épisode et rend vaine toute analogie avec l’homosexualité dans nos sociétés contemporaines.
En effet, la revendication de l’égalité des droits pour les homosexuels, dans laquelle s’inscrit simplement la question du mariage civil, un acte laïc et républicain par essence, ne concerne qu’un nombre limité de personnes, 10% de la population selon les sources les plus optimistes. Ces personnes ne s’inscrivent en aucun cas dans la recherche manifeste du renversement profond de l’ordre social, voire naturel.
Les homosexuels revendiquent au contraire la reconnaissance véritable de leur spécificité, sans plus. Aussi, quand bien même certains souhaiteraient exprimer leur rejet de l’homosexualité et de tout ce qui s’y rapporte, l’histoire du peuple de Loth ne semble pas offrir la certitude théologique qu’ils souhaiteraient y trouver.
En outre, la question de la justice divine reste éminemment posée, d’autant plus si l’on fait un pas de recul par rapport à la question nodale de l’homosexualité pour aborder un sujet connexe, celui des intersexes ou des personnes à sexe indéterminé[14]. Il est en effet très facile de cataloguer l’homosexualité comme une perversion, une maladie, un trouble psychique ou autre déviation, la renvoyant dans le domaine du choix individuel et rendant donc l’individu responsable de son destin.
Partant de là, soit l’individu choisit sa perversion, Dieu créant a prioriles êtres humains purs, soit l’individu choisit de ne pas aller à l’encontre de sa perversion ou de ne pas soigner son éventuelle maladie mentale. L’avantage de ces approches superficielles est qu’elles évitent soigneusement tout questionnement du « vouloir divin » et du destin, Dieu ne pouvant vouloir pour une de Ses créatures qu’elle soit naturellement encline à un penchant supposément contre nature.
Mais que faire alors du cas des enfants nés de sexe indéterminé à la naissance – on en compte un sur mille –, n'étant ni clairement mâles ni femelles, ou possédant même les deux sexes. Tout cela pose définitivement la question de la construction socio-culturelle du genre et de la sexualité selon ses différentes facettes, homo, hétéro ou autre. Nous n’effleurons ici que la surface de la complexité de cette question car, ce qui nous intéresse, c’est que Dieu Lui-même impose arbitrairement à un nombre non-négligeable d’individus des choix complexes en matière de genre, de sexe et de sexualité. Ceux-ci peuvent déboucher sur des situations d’homosexualité faisant entièrement partie de l’ordre « naturel » car relevant du dessein divin.
Au-delà de ses multiples dimensions théologiques, l’intérêt supplémentaire de cette question est qu’elle ruine définitivement toute tentative de réflexion « théologique » fondée sur la considération de l’homosexualité comme un choix individuel, à l’encontre de ou hors de l’ordre « naturel » des choses.
Car si certains aspects de l’homosexualité font autantpartie de l’ordre naturel des choses que l’hétérosexualité majoritaire alors la métaphysique, la théologie, l’anthropologie et la jurisprudence musulmanes doivent impérativement les prendre en compte de plein droit et apporter des réponses à la hauteur des attentes des croyants sincères qui vivent avec beaucoup de souffrance la tension entre leur devenir spirituel et leur sexualité que leur impose la tradition théologique hétéronormée et patriarcale majoritaire.
Tous ces éléments ne constituent en aucun cas une liste exhaustive des chantiers théologiques et normatifs à entreprendre pour approcher une position plus inclusive et équilibrée de l’homosexualité en islam et, plus largement, au sein des monothéismes abrahamiques. A notre sens une réforme théologique radicale s’impose, laquelle ne peut plus aujourd’hui être balayée d’un revers de la main.
Le risque serait de voir les musulmans se fracturer de façon grandissante, notamment par la mise sur pied de niches rendues légitimes par la nécessité d’offrir un espace sécurisé et apaisé aux musulmans homosexuels, entre autres, qui souhaiteraient pratiquer leur foi en toute quiétude. Ce sera le cas si ces derniers affrontent des musulmans crispés sur une hétéronormativité quasi pathologique et refusant d’envisager d’autres possibles théologiques et anthropologiques. Autant de potentialités pourtant non exclues des legs coranique et prophétique mais recelées, en gestation, dans le développement de lectures dégagées des a priorimillénaires de l’immense majorité des herméneutes.
Pour un débat serein
Il existe de véritables représentations fantasmagoriques sur l’homosexualité, chez les musulmans comme au sein de la société. D'aucuns sont persuadés que les homosexuels forment des espèces de bataillons prêts à se répandre à une vitesse folle au sein de la société pour provoquer sa perte, à l’encontre de toute donnée objective.
Pour preuve, l’adoption du mariage homosexuel par la Belgique ou les Pays-Bas depuis plusieurs années n’a pas eu le moindre impact sur les pratiques maritales hétérosexuelles des populations de ces deux pays, ni accéléré une quelconque décadence morale comme le craignent les opposant au mariage pour tous.
Dès lors, ce serait plutôt dans le cadre d'une société pluriculturelle, attachée à la défense des publics les plus exposés au racisme et aux discriminations qu'il faudrait chercher la visibilité croissante des revendications de prise en compte de particularités individuelles et de groupes. L'homosexualité, entre autres, fait partie de cette dynamique, et le phénomène touche aussi bien les identités culturelles, sociales que les appartenances religieuses. Partant de là, dans le cadre d'une société démocratique, chacun a toute latitude pour adopter et pour revendiquer un positionnement spécifique sur l'homosexualité comme sur le mariage homosexuel.
Notes
[1]Cf Coran 6/86, 7/80, 11/70 et 11/77-83, 15/59-77, 21/71, 22/43, 26/160-175, 27/54-58, 29/26 et 29/28-35, 37/133-136, 38/13, 50/13, 51/32-37, 54/33-39.
[2]Ces passages sont les suivants :7/80-84 : « Et Loth, quand il dit à son peuple : « Allez vous en venir à une turpide (fâhichah) où nul, de par le monde, ne vous a précédés ? Vraiment, vous allez de désir aux hommes au lieu de femmes (chahwatan min dûnin-nisâ') ! Vous êtes bien plutôt un peuple outrancier (musrifûn) ! » Et pour toute réponse, le peuple ne fit que dire « Expulsez le de votre cité ! Voilà des gens, vraiment, qui se targuent de pureté ! » Or, Nous l'avons sauvé, lui et sa famille, sauf sa femme, qui fut parmi les traînards (minal ghâbirin). Et nous avons fait, sur eux, pleuvoir une pluie. Regarde donc ce qu'il est advenu des criminels ! » ; 11/77-80 : « Et quand Nos Anges vinrent à Loth, il se mit en peine à cause d'eux, et son bras en ressentit l'étroitesse. Il dit cependant : « Voici un jour terrible ! » Quant à son peuple, ils vinrent à lui, tout excités pour lui ; auparavant, ils pratiquaient de mauvaises actions. Il dit « Oh mon peuple, voici mes filles : elles sont plus pures, pour vous.. Craignez donc Dieu et ne me faites pas d'ignominie en mes invités. N'y a-t-il pas parmi vous un homme bien dirigé ? Ils dirent, tu sais très bien que nous n'avons pas de droit sur tes filles ! Et, en vérité, tu sais bien ce que nous voulons. » Il dit « Si j'avais de la force contre vous ! Ousi je pouvais trouver asile auprès d'un appui fort ! ». » ; 15/67-71 : « Et les gens de la ville vinrent à lui, flairant la bonne nouvelle. Il dit « Ceux-ci sont des invités, vraiment : ne me faites donc pas de scandale. Et craignez Dieu, et ne me jetez pas dans l'ignominie. » Ils dirent « Ne t'avions nous pas interdit de t'occuper des mondes ? » Il dit « Voici mes filles si vous êtes faiseurs ». » ; 26/16 & 165-166 : « Quand Loth, leur frère, leur dit « Ne vous comporterez vous donc pas en piété ? […] Faut-il qu'entre tous les mondes vous alliez aux mâles et laissiez de côté ce que votre Seigneur vous a créé d'épouses ? Non, mais vous êtes des gens transgresseurs ! ». » ; 27/54-55 : « De même Loth, quand il dit à son peuple « Vous en venez à la turpide ? Alors que vous voyez clair ! Vraiment vous allez d'appétit, aux hommes, au lieu de femmes ? Non, mais vous êtes des gens à vous rendre ignorants ! ». » ; 29/28-29 : « Et Loth, quand il dit à son peuple « Vraiment, vous commettez une turpitude où nul de par le monde ne vous a précédés. Quoi ! Aller aux mâles, couper les chemins, commettre le blâmable dans votre club ? ». » ; 54/36-37 : « Celui-ci, certainement, les avait avertis de notre saisie. Mais ils se mirent à creuser ces avertissements. Et très certainement, ils lui firent la cour au sujet de ses invités. Puis nous effaçâmes leurs yeux. « Goûtez Mon châtiment, donc, et Mes avertissements ! ». ».
[3]Abû 'Aabdillah Muhammad ibn Ahmad al-Ançarî al-Qurtubî (1214-1273) est célèbre, entre autre, pour son exégèse coranique intitulée La somme des règles du Coran(al-Jâmi' li-ahkâmil-Qur'ân).
[4]Abûl Fidâ Isma'îl ibn Kathîr (1301-1373), est l'un des élèves directs de Ibn Taymiyyah. Son exégèse coranique est considérée comme l'un des grands classiques de la littérature exégétique sunnite.
[5]Al-bidâyah wa-an-nihâyah, éditions ihyâ at-turâth al-'arabî, 1993
[6]CfAl-bidâyah..., op.cit., tome 1, pp.207-211.
[7]Cf Al bidâyah..., op.cit., tome 9, p.184.
 [8]Cf Les sunande :
- Tirmidhî, chapitre des peines légales (hudûd), n° 1456, sous-chapitre (24) De la peine relative à l'homosexualité, ;
- Abû Dâûd, chapitre des peines légales, n° 4462, sous chapitre (29) Au sujet de celui qui se comporte comme les gens de Loth, ;
- Ibn Mâjah, chapitre despeines légales, n° 2561, sous chapitre (12) De celui qui se comporte comme les gens de Loth, ;
- Dârqutnî, chapitre des peines légales et du prix du sang (diyât), n° 124/3, propos n° 140.
[9]Abû Hanîfa An-Nu'mân ibn Thâbit (702-767)[9]est le fondateurde l'école théologico-juridique hanafite.
[10]'Alî ibn Hazm al-Andalusî (994-1064)[10]est considéré comme le principal et plus célèbre représentant de l'école juridique littéraliste de l'islam sunnite.
[11]Cf Al-muhallâ bil-âthâr,Abû Muhammad 'Alî ibn Hazm al-Andalusî, dâr al kutub al 'ilmiyyah, chapitre des peines laissées à l'appréciation du juge (ta'zîr), tome 12, question n° 2303, pp 388-397.
[12]Cf, entre autres, Thierry Lodé, La guerre des sexes chez les animaux, Odile Jacob, 2006 ; Bruce Bagemihl, Biological Exuberance: Animal Homosexuality and Natural Diversity, St. Martin's Press, 1999.
 [13]Dans les livres de jurisprudence classique, le mariage est uniquement discuté dans le chapitre des contrats.
[14]Pour une approche vulgarisée de la question, cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Intersexuation.On noteraque le droit classique musulman l'avait déjà abordée et prise en compte, à travers le vocable arabe dekhounthadésignant la personne hermaphrodite ou au sexe indéterminé.
Original publié à l'adresse: 
http://oumma.com/15178/lhomosexualite-un-defi-theologique

27.11.12

Verviers Upgraded: lutte des classes 2.0


Une récente enquête de BEL RTL révèle que la politique locale visant à réduire le nombre de petits logements de +/- 30 m² menée par l’échevin MR Freddy Breuwer est en fait une véritable politique d’épuration des pauvres hors de Verviers. Rien de moins – et de manière décomplexée.

Avant de venir au fond de l’affaire, rappelons tout de même que si cette politique fut mise ne place par l’échevin Breuwer dans le cadre d’une coalition où le PS était majoritaire ! Bien sûr, on peut craindre qu’elle va probablement être intensifiée maintenant qu’il a reçu son score personnel de 2700 voix aux élections communales comme un plébiscite.

Détrompez-moi, mais je n’ai pas entendu de cris d’orfraie à propos de cette politique au cours des 6 dernières années. Maintenant que la nouvelle majorité Cdh-MR va prendre les rennes de la gestion de la cité, l’affaire fait subitement surface. Il ne faut y voir aucun calcul politicien, évidemment. C’est aussi crédible que les propos du marchand de sommeil dans l’article précité qui se repeint en entrepreneur social luttant contre la grande précarité. On croit rêver.

Ayant dit que nous ne sommes pas dupes de l’effet d’annonce, il me paraît cependant indispensable de démontrer l’ineptie d’une telle politique qui ne peut naître que d’un esprit profondément déformé par le néo-libéralisme et la poursuite abjecte d’un darwinisme social exacerbé.

Virer les pauvres ? Les repousser vers la périphérie et les petites communes avoisinantes en supprimant les petits logements pas chers ? Ce que beaucoup ont rêvé, Freddy Breuwer l’a fait.

Sans vouloir m’attarder sur le fait que M. Breuwer fait systématiquement un amalgame odieux entre pauvreté et délinquance, force est de reconnaître que, comme le veut l’adage, le Diable aime se parer des attributs de la vertu pour mieux arriver à ses fins.

Tout le monde acquiescera au fait qu’il est indigne de louer des logements trop petits et/ou insalubres à des êtres humains, profitant qui plus est de leur situation précaire et de l’inaccessibilité croissante du marché locatif privé de qualité raisonnable aux personnes à faibles revenus. Ainsi que de l’inaccessibilité du marché locatif social d’ailleurs, des logements manquant par centaines rien que sur la commune verviétoise et ses environs.

Mais bien sûr, la préoccupation du MR n’est nullement philanthropique ou charitable : il s’agit seulement de repousser les pauvres en dehors du territoire de la commune en engrangeant des bénéfices sur trois plans :
1)   Personnel : M. Breuwer passe pour un « dur » sachant prendre les décisions qui s’imposent auprès de son électorat. Ceux qu’ils virent ne votent pas pour lui : que du bénef et pas de perte ! Le parfait pari politique. Et cela lui assure bien entendu moult strapontins rémunérés : échevin, futur président du CPAS, etc., etc. Le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres.

2)   Local : moins de pauvres sur le territoire de la ville, cela fait moins de dépenses pour le CPAS. Avec la crise qui arrive, c’est toujours ça de gagné, mais à court terme.

3)   Local encore : les bourgeois blancs qui forment le gros de son électorat pourront ENFIN retourner au centre-ville sans être confronté à la vue de la misère grandissante causée par leur business quotidien ou la rentabilité de leurs pensions par capitalisation. Je caricature à peine.

Et c’est là que se révèle l’indigence de M. Breuwer et de ses semblables quant à leurs capacités à penser une politique cohérente de la ville et des multiples interactions/interdépendances entre ses différentes composantes. Une ville est un collectif, un microcosme dont le point d’équilibre ne peut se trouver qu’en tirant tout le monde vers le haut (économiquement, culturellement, socialement – et spirituellement pour ceux que cela intéresserait) et non vers le bas. Car le déclin arrive alors à (très) brève échéance.

En effet, commençons par rappeler – une évidence – que ce ne sont pas les pauvres le problème principal, mais le système économique qui les génère de par l’injustice constitutive de son modèle de (non)répartition des richesses. Tant que cela n’est pas réglé, le reste ne restera que vaste rigolade et foire d’empoigne pour amuser la galerie.

Comme une ville a peu de prise sur ces macro-problématiques, cela ne coûte rien de faire des effets d’annonce sur la lutte contre les pauvres, pour cacher l’incapacité à apporter une véritable solution de sortie de la crise.

Mais quand même ! Une ville a cependant des moyens d’action à sa disposition pour au moins mitiger l’impact de la crise et mieux répartir l’effort sur l’ensemble de la population.

Dès lors que l’on se dit progressiste – de droite comme de gauche – on admettra que le problème n’est pas le nombre de petits logements accessibles aux pauvres, mais la pénurie de logement (social) (de qualité).

La ville pourrait, comme exemple de politique plus intégrée et cohérente, faire du logement de qualité une de ses priorités. Bien sûr, c’est un investissement. Il pourrait prendre la forme de construction de nouveaux logements sociaux (par exemple à Heusy, où il n’y a pas UN seul logement social, si ce n’est en périphérie à Ensival et à Mangombroux. On appréciera donc à leur juste valeur les déclarations de M. Breuwer qui proposent de ventiler les pauvres sur les communes alentours, mais surtout pas sur l’ancienne commune de Heusy où se situe une bonne partie de son électorat petit/grand bourgeois).

Cet investissement pourrait également prendre la forme de réhabilitation du bâti existant sur le marché du logement privé, passation de contrats avec l’Agence Immobilière Sociale… Bien sûr, tout devra se faire en fonction des normes de protection environnementales actuelles.

Pourquoi pas des maisons basse énergie d’ailleurs ? Il n’y a pas de raison que les bénéficiaires d’un logement social soient condamnés à vivre dans des logements mal isolés et de piètre qualité (ce qui est d’ailleurs anti-social et anti-écologique vu la surconsommation d’énergie que cela implique ainsi que ses coût pour des budgets familiaux serrés). Encore une rupture à consommer avec le darwinisme social !

Etant donné qu’un tel projet nécessitera de la main d’œuvre, la ville pourra ajouter des clauses dans ses marchés publics sur l’obligation, pour les prestataires, d’employer des gens dépendant du CPAS ou chômeurs domiciliés sur la commune. Dès lors, une partie considérable de l’investissement public retournera directement dans les caisses publiques, au travers du versement de salaires, dans la consommation, dans les impôts et cotisations sociales, centimes additionnels… tout en allégeant les lignes budgétaires relatives aux allocataires sociaux.

Comme un tel projet de logement de qualité devra s’étaler sur plusieurs années, on peut concevoir aisément que cela nécessitera le développement de certaines filières de formation spécifiques. Développement supplémentaire d’emplois d’avenir.

Allons plus loin : que penser d’une approche politique qui ne voit la présence de pauvres sur un territoire urbain que comme un coût ? Même selon une approche d’une rationalité purement économique, les allocataires sociaux à qui la bonne société condescend à octroyer à peine de quoi garder la tête, que dis-je, la pointe du nez hors de l’eau en flirtant avec le seuil de pauvreté (rappelons 973€ en Belgique quand le revenu d’intégration pour un isolé n’atteint pas les 800€), dépensent TOUT leur argent sur le territoire de la commune.

Ils n’investissent pas leurs revenus dans des produits spéculatifs non productifs ! 1000€ octroyés à un allocataire social, ce sont 1000€ dans l’économie réelle en bout de course. Sur laquelle la ville elle-même perçoit ses propres taxes. En d’autres mots, les allocataires sociaux ne sont pas qu’un coût pour la société, ils participent activement à l’économie locale.

Bien sûr, ils ne font pas que consommer ! Mais pour la concision de l’article, je ne ferai qu’une allusion rapide à la valeur immatérielle qu’ils créent en matière de lien social, d’investissement associatif… qui contribuent d’une façon discrète mais efficace à maintenir une certaine élasticité du corps social pour encaisser la crise. Je vous renvoie à l’excellent projet http://www.benevoles.tv/ pour des idées à ce propos.

Poussons encore le raisonnement plus loin : admettons même que le MR et consorts parviennent à se décharger des allocataires sociaux et autres pauvres sur les communes avoisinantes (Polleur, Theux, Jalhay, Olne ? on voit ça d’ici !). Tout d’abord, elles seraient elles-mêmes confrontées à une pénurie de logements  puisqu’elles n’ont jamais fait aucun effort pour en construire, et ce pour être sûres de ne jamais attirer ce genre de public.

Or, le MR n’a eu de cesse de répéter ad nauseam son insistance sur la mise à l’emploi de tous ces allocataires (lire parasites sur leurs lèvres). Comme cela ne repose sur aucune vision stratégique, il leur échappe que les allocataires sociaux ont rarement des véhicules personnels dignes de ce nom et qu’ils sont donc condamnés à dépendre des transports publics (c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont d’ailleurs tendance à se rassembler dans les centres urbains bénéficiant de tous les services de manière plus intégrée – les allocataires sociaux aimant pourtant AUTANT la campagne que les autres segments de la population).

Or, justement, les transports publics sont catastrophiques de et vers ces communes alentours. Les connections sont rarement optimales de telle sorte que aller de Jalhay pour un rendez-vous à l’hôpital devient une odyssée. J’exagère à peine. Imaginons un demandeur d’emploi résidant à Jalhay devant se rendre à une simple consultation médicale, il en a pour sa journée s’il doit se contenter des transports en commun. Idem s’il doit se rendre à l’ONEM, au FOREM, au CPAS ou à son syndicat. 

On comprend tout de suite par de tels exemples que, pour le MR, l’employabilité des allocataires sociaux n’est qu’une vaste blague et que leur prétendue activation ne vise pas à faire en sorte qu’ils trouvent véritablement un job. Il s’agit au contraire d’une technique de harcèlement et de pression pure et simple pour leur faire sentir à chaque instant qu'ils seraient un poids pour la collectivité, car s’ils raisonnaient véritablement en termes d’emploi, ils ne proposeraient pas des solutions aussi stupides que l’éloignement d’une partie des allocataires sociaux du territoire de la commune où ils ont le plus de chance de trouver un emploi ou les moyens d’y parvenir.

Et je ne mentionne même pas ici l’impact disproportionné de telles mesures sur les mères célibataires, les problèmes de garde des enfants en cas de formation ou de travail, les crèches étant quasi inexistantes ou offrant des plages horaires incompatibles avec les horaires de parents eux-mêmes sans réseau familial ou de solidarité. Je ne m’attarde pas non plus sur le fait que les bus de ces lignes ne soient pas prévus pour les personnes avec un handicap moteur et autres multiples désagréments d’une telle politique sans réflexion aucune.

En voulant s’attaquer à une problématique réelle (les logements de mauvaise qualité accessibles aux allocataires sociaux, le plus souvent bénéficiant du revenu d’intégration), le MR démontre qu’il n’a aucune politique de la ville, aucune compréhension du rôle même d’une ville, aucune politique de l’emploi au-delà du harcèlement des allocataires sociaux, ni aucune politique du logement cohérente.

Du vent, du vent, du vent ! Mais du vent mauvais, nauséeux, chargé du ressentiment de ces nantis envers celles et ceux à qui le destin a offert moins d’opportunités, de ces nantis crispés sur leurs petits privilèges à qui l’idée même de partage est insupportable.

Je le dis clairement : moi, je suis prêt à payer plus d’impôts locaux pour autant qu’ils soient investis dans des politiques inclusives visant à bâtir une cité plus juste, plus égale, où l’écart entre riches et pauvres diminue. Pas le contraire. Le problème n’est pas le taux d’imposition, mais ce que la société, dans son ensemble, redistribue en termes de bien-être pour tous. Et ce n’est manifestement pas le choix du MR et du Cdh pour les 6 prochaines années. 

Vous verrez, au bout du compte, avec une telle politique, dans 6 ans, Verviers sera encore plus pauvre !

9.11.12

Alexander De Croo, incarnation de la vulgarité économique


L’Open VLD nous avait habitué depuis plusieurs années à des dérapages de plus en plus incontrôlés en matière de néo-libéralisme, déviant de plus en plus sensiblement de la ligne d’un libéralisme plus humaniste tel qu’incarné par Guy Verhofstadt.

Dès lors, les récentes propositions de l’Open VLD, dans la bouche d’Alexander De Croo, ont fait tomber les dernières écailles du verni de respectabilité que l’on aurait encore voulu accorder à ce parti : augmenter la taxation des revenus des chômeurs, des prépensionnés ainsi que des primes syndicales…

La stupidité de la proposition se dispute avec sa vulgarité crasse et l’arrogance du parvenu envers les plus fragiles d’entre nous à l’heure où l’ensemble des allocataires sont soumis à la taille et la gabelle de la manière la plus rétrograde qui soit.

L’Open VLD et son ex-président sans légitimité autre que celle d’être un fils à papa (homme d’Etat d’envergure, lui au moins), qui refusent mordicus depuis la formation de ce nouveau gouvernement la moindre augmentation d’impôt envers les revenus des plus aisés, n’hésitent pas une seule seconde à afficher la morgue de leur mépris de classe avec cette proposition déshonorante !

Petit rappel des « onbespreekbaar » de l’Open VLD ainsi que de la droite flamande et francophone en Belgique:


Cumulées et ajustées de manière adéquate, ces mesures rapporteraient des milliards d’Euros à l’Etat belge sans pénaliser l’immense majorité de la population qui voit l’accès gratuit à l’éducation de base s’étioler de plus en plus, le coût des soins de santé augmenter, le prix des denrées alimentaires s’envoler, les loyers décoller, les dépenses énergétiques exploser… et surtout tous les revenus du travail diminuer de manière drastique. Au risque de mettre en danger l’accès à des droits humains fondamentaux tels que l’éducation et la santé.

En effet, s’il est vrai que les salaires n’ont plus été augmentés en valeur absolue depuis la fin des années 1970 (ce qui fut compensé par la facilité d’accès au crédit à la consommation dont nous payons maintenant la facture), aujourd'hui salariés et allocataires sociaux voient leurs revenus concrètement réduits au travers de mesures variées mais toujours vexatoires et indignes d’un pays dont le PIB ne cesse de croître année après année, crise ou pas crise ! Près de 530 milliards de dollars pour 2011, en progrès par rapport à 2010 – tassement prévu en 2012, mais pas de recul.

La véritable question n’est donc pas le manque de ressources financières en Belgique pour répondre adéquatement aux besoins de tous et offrir une éducation gratuite, des soins de santé gratuits, ainsi que des logements de qualité pour tous, mais pourquoi se fait-il que la richesse se concentre à un minuscule pôle de la société (outrageusement défendu par Alexander De Croo et ses sbires de l’Open VLD) tandis que les 99% de la population s’appauvrissent plus ou moins rapidement par voie de conséquence ? Quelle société voulons-nous ? L’anarchie néo-libérale mode De Croo ou une société partageuse et redistributrice, promouvant le progrès social pour tous comme condition du progrès économique ?

Oui, c’est un choix profondément idéologique et donc politique. Pas de fatalité là-derrière!

L’espérance de vie en bonne santé a diminué dans 8 pays européens dont l’Allemagne pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la santé mentale et physique d’une partie croissante de la population européenne est en train de se détériorer à toute vitesse à mesure que l’onde d’impact de la crise se propage dans tous les secteurs de la société.

Pensez-vous que M. De Croo fasse le lien entre ces éléments objectifs et ses propositions de taxation des plus pauvres et de coupes sombres dans les dépenses publiques ?

Seule réponse de l’Open VLD : couper et couper encore plus dans les dépenses publiques et augmenter la pression fiscale sur les plus démunis… Faisant semblant de ne pas voir que l’Etat (à tous les niveaux de pouvoir) est le premier investisseur en Belgique !

En effet, rien ne reste dans les caisses de l’Etat : tout part dans l’économie réelle. Des dépenses d’investissement en travaux publics en passant par les salaires des fonctionnaires, les dépenses en soins de santé (en vérité un investissement sur la bonne santé de la population favorisant sa résilience et sa productivité) jusqu’aux revenus des allocataires sociaux de toutes sortes : tout repart dans la consommation, les frais de fonctionnement et donc la production.

Réduire les dépenses de l’Etat, c’est contracter la demande, donc les revenus des entreprises (en particulier des PME créatrices de richesse et d’emploi soi-disant au cœur des préoccupations de l’Open VLD et du MR) et donc les recettes de l’Etat. Avec pour conséquence que l’endettement de celui-ci s’envole de plus belle…

Tout le contraire de ce qu’il faut faire pour sortir de la crise selon un nombre croissant d’économistes : augmenter le salaire minimum, relever progressivement les allocations sociales de toutes sortes, taxer les revenus du capital (mobiliers et immobiliers) à hauteur des revenus du travail, développer un programme massif d’investissement pour un futur vert et la formation aux nouveaux métiers que cela implique… Entre autres solutions possibles qui ne demandent pour exister que de passer la muraille idéologique néo-libérale et l’impuissance politique (construite !) qui ont saisi tant la droite de gouvernement que les sociaux-démocrates depuis deux décennies au moins.

Stupidité, vulgarité, aveuglement, mépris : Alexander Croo et l’Open VLD sont devenus les archétypes des politiciens valets de l’oligarchie néo-libérale.

Concédons-leur l’unique mérite de révéler l’obscénité du système actuel.

A quand un réveil d’une vraie gauche en Flandre et en Wallonie pour leur remettre les idées en place – car le MR, en effet, ne courre pas loin derrière. 

25.10.12

Elections communales à Verviers – éléments d’analyse – suite et fin


Voir notre analyse des résultats des partis politiques

3) La question du militantisme

Depuis quelques temps déjà, la question du militantisme des candidats de la diversité était mise sur la table, en particulier au sein du PS (du local au national) et dans une moindre mesure au sein d’Ecolo et du Cdh. Le landernau politique verviétois n’a pas échappé à l’effet de mode et les résultats des élections communales de ce dimanche n’ont pas manqué de redonner des couleurs à cette (fausse) polémique.

Une fois encore, le coup vient dans l’immense majorité des cas de la part de candidats (ou représentants politiques) issus de la communauté majoritaire commençant à s’inquiéter pour le renouvellement de leur(s) mandat(s) vu leurs scores personnels en comparaison de certains candidats issus de la diversité. La peur du déclassement – fût-il symbolique en l’occurrence – pousse à tous les coups bas.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes tant que les candidats de la diversité se contentaient d’être des attrapes-voix communautaires, ramenant juste ce qu’il fallait pour être bien vus, mais pas trop pour devenir des acteurs sérieux de la scène politique locale ou nationale.

Et cela est d’autant plus vrai que l’on assiste depuis une dizaine d’années à la montée de candidats de la 2ème G, très à l’aise avec les différentes facettes de leurs identités multiculturelles, éduqués dans les meilleures universités et maîtrisant parfaitement les codes et usages de la société majoritaire. Et qui veulent faire entendre leur voix, participer à la vie de leur formation politique, y compris dans les instances de décisions internes en prenant appui sur leur grande légitimité électorale, en opposition apparente avec les candidats de la communauté majoritaire, militants de longue date au sein de leur parti, mais aussi parfaits apparatchiks.

Très loin des attrapes-voix de convenance de la 1ère G qui se contentaient d’un strapontin communal ou parlementaire mais ne remettaient jamais en cause la hiérarchie des pouvoirs au sein de leur parti, ces candidats de la 2ème G chamboulent les habitudes et les plans de carrières politiques de quelques uns qui espéraient que de longues années de collage d’affiche et d’intrigues internes pour choisir le bon cheval dans le sillage duquel il suffirait de s’inscrire pour être tiré vers les sommets, leur apporteraient la légitimité nécessaire pour prétendre à un poste à responsabilité et ses prébendes de toutes sortes.

On peut comprendre que cela génère une certaine animosité et de grandes frustrations d’égos.

Reste que l’on ne peut indéfiniment avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière et qu’un rééquilibrage des pouvoirs doit avoir lieu au sein des formations politiques.

Certes, le militantisme dans son parti d’adhésion est très important, car il permet de s’imprégner des valeurs véhiculées par telle ou telle formation. En particulier à gauche. Mais la droite n’est pas très différente. On se souviendra de l’animosité de M. Sarkozy qui avait commencé comme colleur d’affiche durant sa jeunesse et s’était hissé à la force du poignet et de ses convictions au plus haut niveau de l’UMP et de l’Etat et qui voyait d’un mauvais œil les parachutés de dernière minute.

Et pourtant, c’est à nouveau ici qu’il faut décaler le regard pour remarquer que cette insistance sur l’impératif du militantisme ne concerne pas tout le monde : pas les candidats d’ouverture médiatique (journalistes, sportifs…) ou autres personnalités. On n’a jamais reproché à Francis Delperée, éminent constitutionaliste et sénateur Cdh, de ne pas avoir été coller des affiches avant de rallier tardivement le parti.

On entend très peu (pour ne pas dire pas du tout) ce type de commentaires envers les candidats noirs, albanais, polonais ou bulgares. Apparemment, seules certaines communautés sont présentement visées par ce type de questionnement inquisiteur, ne soyons pas dupes : les Méditerranéens occidentaux et orientaux très spécifiquement.

Faudrait-il donc y voir une nouvelle forme très euphémisée de discrimination envers certains individus issus de ces communautés ?

En élargissant la focale, il convient impérativement de s’interroger plus profondément sur la notion de militance. Des gens comme Hassan Aydin, Abdeljalil El-Abbadi, Said Naji pour le PS, mais encore Hajib el-Hajjaji pour Ecolo, et pour ne citer qu’eux, sont des gens de terrain qui militent au sein de toutes sortes d’associations culturelles, de jeunesse ou encore cultuelles depuis de nombreuses années, leur donnant une connaissance en profondeur de la situation particulière de leurs communautés d’origine, mais aussi des publics des différentes associations majoritaires qu’ils côtoient aux travers de leurs activités transversales.

Leurs succès électoraux ne peuvent s’expliquer autrement, surtout si l’on compare leurs scores personnels à d’autres candidats de la diversité, inconnus au bataillon des activistes de terrain (par exemple Bayram Kuz au Cdh qui ne doit son score qu’à son métier de médecin, les illustres inconnus de la liste du MR (Ugur Kandemir, Farjad Talukder), ou encore Aline Kitete au PS pour ne citer qu’eux).

La question légitime qui doit être adressée aux partis politiques de tous bords consiste à s’interroger sur la façon dont leurs structures politiques peuvent articuler – sans récupérer – les engagements profondément militants de leurs membres/candidats au sein de structures associatives non partisanes ? Et reconnaître que ces gens ont sacrifié une bonne partie de leur vie personnelle, au travers du volontariat, pour le développement et le bien-être de leurs communautés d’origine (et, par voie de conséquence, pour le bien-être de l’ensemble de la population). C’est un militantisme qui vaut bien plus, à mes yeux en tous cas, que de tailler la bavette sur le trottoir du Floréal en se persuadant d’avoir changé le monde.

Car c’est aussi là la force du PTB+ : un vrai travail de terrain, porte à porte, pour se faire connaître et connaître les situations désespérées d’une bonne partie de notre population. Un véritable  militantisme que le PS a déserté depuis longtemps, en particulier dans les « quartiers de la diversité » (ou, plus prosaïquement, défavorisés), où ce sont les associations culturelles qui ont été amenées à occuper le vide laissé par le délitement de l’encadrement politique et social structuré de la part de partis comme le PS, ou le PC et le PSC à l’époque, ainsi que de leurs organisations satellites, qui avaient longtemps rempli ce rôle.

Il est dès lors un peu fort de café de reprocher à certains candidats de la diversité un manque de militance au sein de leur formation politique, alors qu’ils ont à leur compteur beaucoup plus d’heures de militance et d’activisme que de nombreux « militants traditionnels ».

Autre élément à ajouter au tableau, qui me permettra de rebondir vers le dernier point de mon analyse concernant la laïcité : la configuration particulière des partis traditionnels en Belgique (PS, Cdh, MR et Ecolo) qui, en elle-même, peut être un frein à un certain type de militantisme, tout en expliquant certaines déconnections idéologiques et philosophiques.

Une autre candidate PS de la diversité, Duygu Celik, qui avait elle-même mené une campagne communautaire auprès des alévis de Verviers en particulier, s’est fendue de reproches sur Facebook à l’encontre de « certains élus qui rouleraient en 4x4 mais voileraient leurs femmes », ultime outrage à la laïcité.

On ne manquera pas de faire remarquer à Mme Celik que son public cible électoral (les alévis et les ultra-laïcards turcs de Verviers, tous respectables qu’ils fussent) est une minorité au sein de la minorité. Ayant choisi son créneau, elle aurait dû être plus raisonnable en matière d’attentes personnelles – bien qu’elle termine avec un score tout à fait honorable de +/- 500 voix de préférences, en progression par rapport à 2006. Cela lui aurait évité quelques aigreurs d’estomac et l’aurait rendue plus lucide.

En effet, le problème ce n’est pas tant que certains candidats socialistes aient une éthique de vie plus conservatrice, c’est qu’il manque sur l’échiquier politique belge une formation politique de gauche chrétienne ou confessionnelle qui permettrait de faire le pont entre un progressisme social d’une part et un certain conservatisme en matière d’éthique de vie personnelle/collective. Une formation de gauche chrétienne qui se serait organisée autour d’un axe social fort auquel s’ajouterait une dimension éthique particulière, mais qui serait différente et indépendante du Cdh, organisé originellement, en tant que PSC, sur une base confessionnelle qui rassemble des individus en provenance de l’ensemble du spectre politique (et donc oscille entre la gauche modérée et la droite +/- modérée en fonction des rapports de force internes au sein du parti).

Dès lors, une telle formation fait particulièrement défaut, qui répondrait plus explicitement aux besoins de nombreux musulmans pratiquant qui se sentent proches de la gauche pour différentes raisons (conditions diasporiques, statut social…) sans vouloir pour autant remiser dans un placard laïc leurs aspirations éthiques et spirituelles.

Le Cdh a paru un temps fournir cette ouverture, mais le déplacement croissant du centre de gravité de ce parti vers la droite pourrait mettre cette dernière en danger. En effet, le seul fait de partager quelques valeurs éthiques dans un parti qui hésite toujours entre la revendication exclusiviste de ses racines chrétiennes et un œcuménisme éthique sans véritable horizon ne suffit pas à compenser les impératifs en matière de mobilité sociale et professionnelle rencontrés par de très nombreux musulmans.

Quant aux PS et Ecolo, ils ont toujours été considérés quelque part comme des havres de substitution, faute de mieux, par les musulmans les plus impliqués dans la vie de leur communauté, disons les pratiquants réguliers – soit 10% de la communauté musulmane.

Pour l’immense majorité, la question ne se pose même pas, ce qui démontre a contrario qu’avoir la foi, c’est bien, mais avoir à manger tous les jours dans son assiette, c’est beaucoup mieux. Si l’on doit choisir entre le respect intégral de ses convictions et être dans un désert politique, ou mettre celles-ci de côté et s’investir pleinement dans le champ politique pour changer sa situation, le choix est relativement vite fait.

Contrairement à une certaine doxa, les musulmans sont donc tout à fait en mesure de faire une césure entre politique et foi, entre leurs aspirations sociales, professionnelles, en matière d’accès au logement, à l’éducation, à la santé, aux services… et leurs aspirations spirituelles éventuelles. Mme Celik devrait être rassurée quant à l’avenir. Nous traversons juste une phase de transition et d’ajustement. Nul besoin de crier au loup.

L’absence de l’hypothétique parti de gauche chrétienne que je mentionnais ci-dessus, s’est révélée en vérité être une opportunité supplémentaire de sécularisation des communautés musulmanes, amenant de facto leurs candidats à « penser global » pour le bien de l’ensemble des composantes de la communauté urbaine dans laquelle ils inscrivent leur action politique.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si certains candidats voileraient leurs femmes ou pas, mais si un jour la gauche fera sa révolution copernicienne et sera en mesure d’articuler un véritable progressisme social, collectif et universaliste, et la possibilité d’un certain conservatisme en matière d’éthique individuelle ?

Pour des raisons historiques évidentes, ces deux éléments ont toujours paru s’opposer, en particulier au sein du PS ou de la gauche de la gauche. Mais dans un monde globalisé transbahutant d’un point à l’autre de la planète des individus porteurs de traditions et d’engagements politiques très différents, ayant historiquement réussi d’autres formes de cristallisation idéologiques sociales-conservatrices, les formations politiques traditionnelles n’auront d’autre choix que de revoir leur copie et s’adapter si elles veulent parler à ces nouveaux publics revendiquant une participation active au sein du champ politique de leur lieu de résidence.

La question de la militance des candidats de la diversité, telle qu’elle est posée aujourd’hui, révèle en négatif les difficultés, pour ne pas dire l’indigence, des partis de gauche à penser le progrès social, l’égalité, mais aussi la laïcité, au sein de sociétés profondément plurielles – idéologiquement, culturellement, théologiquement, socialement, politiquement. Le poids des traditions n’est pas toujours là où on l’attendrait le plus.

4) La laïcité

Ce qui m’amène donc à la question de la laïcité.

Petit rappel : la Belgique est certes un Etat laïc, mais pas un Etat laïc à la française : la forme spécifique de laïcité belge se réalise au travers d’un Etat neutre qui se veut à équidistance de toutes les religions. L’Etat à cependant la possibilité de soutenir matériellement les religions reconnues, et ce en vue de garantir activement la liberté de conscience, de religion et de culte. C’est à ce titre d’ailleurs que la laïcité philosophique et ses « Maisons de la laïcité » reçoivent un financement identique aux religions officiellement reconnues. C’est au titre de cette neutralité également que l’Abbé Daens pouvait siéger au Parlement en soutane (cela serait-il encore possible aujourd’hui ?).

Petite précision : il est tout à fait légitime que des formations politiques, des groupes de citoyens ou encore des associations soient en désaccord avec le principe de neutralité tel qu’il est inscrit dans notre constitution et choisissent de mener un combat politique pour que la laïcité belge se rapproche de la laïcité française qui correspondrait mieux à leurs aspirations. C’est une question éminemment délicate car elle touche en profondeur à l’organisation même de l’Etat et à une tradition bicentenaire de gestion relativement constructive et pragmatique du rapport entre Etat et Eglises/religions reconnues.

Mais cela relève tout à fait du débat politique et les citoyens devraient pouvoir se saisir de cette question et en débattre. Symétriquement, il est absolument légitime de vouloir conserver le modèle belge tel qu’il est sans apparaître comme un has been ultraconservateur.

Ceci étant, je crois que l’on peut affirmer sans crainte que les conditions d’un débat mûr et informé sont très loin d’être en place quand on constate la confusion totale qui règne au sein des élites politiques elles-mêmes, bien souvent incapables de faire la différence entre neutralité, laïcité, sphère publique et sphère privée, espace public et espace privé, visibilité du religieux dans l’espace et la sphère publics…

Et je suis d’autant plus méfiant quand le discours sur la laïcité est récupéré par certains pour des objectifs bien moins avouables. Mme Le Pen, catholique conservatrice, s’est repeinte en passionaria de la laïcité en particulier quand il s’agit de dénoncer les cantines halal, le port du foulard ou la prière musulmane sur l’espace public – mais ne s’est jamais prononcée (pas un mot !) sur les comités anti-avortement qui obstruent l’espace public et empêchent des femmes d’avoir accès à l’IVG pour des motifs religieux.

La laïcité revendiquée soudainement par le MR verviétois (mais depuis plusieurs années par l’inénarrable Daniel Bacquelaine & co.) me paraît particulièrement suspecte, d’autant qu’elle se focalise exclusivement sur les communautés musulmanes.

Test de vérité : si le MR est sincère quant à ses revendications laïques, je lui recommande de supprimer toutes subventions aux cultes par la ville de Verviers, en particulier la dotation de 14 000€ par an attribuée à la Maison de la laïcité à Verviers. La laïcité à la française, c’est la non intervention, y compris financière, de l’Etat dans les affaires du culte. Cela fera des économies pour les communes et, pour une fois, ce ne seront pas les musulmans qui paieront la facture. Mais je suppose qu’il s’agit là d’un vœu pieux.

Autre élément, il est particulièrement piquant que le MR, nouveau champion de la laïcité, porte au pinacle un bourgmestre (M. Elsen), membre éminent du groupe parlementaire Démocratie Chrétienne (DC).

Bien sûr, M. Elsen ne porte pas de signe ostentatoire de son allégeance spirituelle, ni de son appartenance à un groupe qui n’est certes pas un des plus progressistes au sein du Cdh et dont un certains membres se sont systématiquement opposés à la visibilité piétiste revendiquée par des musulmanes (la tête de liste Cdh à Schaerbeek refusant que Mme Özdemir siège en tant qu’échevine avec son foulard ; affaires d’enseignantes souhaitant porter le voile à Charleroi ; cas de Layla Azzouzi à Verviers…).

Cela fait un fameux « track record » qui, bien entendu, n’a RIEN, mais strictement RIEN, à voir avec les convictions religieuses des membres de Démocratie Chrétienne.

La bonne blague ! La superbe hypocrisie de cette laïcité de façade ! Pas de signe extérieur, mais toute l’action politique est articulée en fonction d’une éthique religieuse particulière. Je suppose que M. Breuwer va monter au créneau pour dénoncer cet état de fait et demander à M. Elsen qu’il renonce à son appartenance à Démocratie Chrétienne en tant que bourgmestre sensé représenter l’ensemble des citoyens, moi y compris.

Que l’on ne déforme pas mes propos : un groupe comme DC est tout à fait légitime selon moi car il représente un cluster particulier de la société qui a droit à sa représentation politique. Le problème, c’est quand ça ce fait « en dessous de la table », sans ostentation, l’air de ne pas y toucher, alors que l’impact politique est réel.

C’est pour moi un véritable problème de démocratie, d’honnêteté et de laïcité, car beaucoup de gens ont élu M. Elsen sans connaître son appartenance à DC, un groupe semi-public, ce qui dépasse largement le cadre des convictions personnelles pour lesquelles le droit à la protection de la vie privée doit être défendu sans concession. Mais quand on choisit de rejoindre un groupe parlementaire organisé sur base confessionnelle, cela relève du domaine public et les citoyens doivent être informés avant de faire leur choix. M. Elsen ne l’a jamais mentionné dans ses campagnes électorales.

Qui trompe qui ? Une Layla Azzouzi qui choisit courageusement de porter le foulard et d’afficher son affiliation religieuse avant les élections – espérant être sur les listes à l’époque – pour ne pas tromper l’électeur et le laisser choisir en âme et conscience ou un Marc Elsen qui fait profil bas sur son affiliation religieuse et empêche par là-même que l’électeur fasse un choix informé ?

En vérité,  je préfère quand on affiche la couleur (foulard, croix, cravate rouge, pins de la morale laïque ou symboles franc-maçons…). Au moins, on sait à qui on a affaire et si l’action publique n’est pas neutre, au moins, on sait de quel côté il faudrait chercher le/la responsable.

Quelle sera la position laïque du MR sur la question ? M. Breuwer et M. Voisin, nous attendons des actes!

En l’absence de réaction, cela démontrera une fois de plus que la défense de la laïcité est à géométrie variable et tend à épouser les contours d’un rejet de la visibilité de l’islam dans l’espace/la sphère publics, voire à devenir le cache-sexe d’un racisme anti-musulman.

Le débat au sein du PS, poussé par Murielle Targnion, elle-même fragilisée par sa « tôle » électorale tout en voulant assurer son leadership sur le PS local alors qu’elle est loin de faire l’unanimité, risque de bien de déraper sur des lignes similaires. D’autant qu’on sait que sont visés les supposés musulmans de liste (Aydin, Naji, el-Abbadi).

Comme je l’ai dit ci-dessus, la question de la laïcité est en soi une question éminemment politique et le PS est en droit d’en faire un de ses chevaux de bataille si bon lui semble, mais faire d’un prétendu relâchement des valeurs laïques au sein du PS la cause de sa perte de +/- 7% de votes, c’est faire une grave erreur d’analyse pour différentes raisons que nous avons mentionnées supra.

S’entêter dans cette voie va d’avantage fragiliser la base électorale du PS, même si cela galvanisera peut-être quelques militants. Le PS de Verviers, c’est au mieux quelques centaines d’adhérents (sûrement moins, les chiffres ne sont pas publics), ce ne sont pas eux qui font la victoire du PS, mais le fait que le PS porte les revendications sociales d’une partie importante de la population verviétoise qui réclame plus de justice sociale, moins d’austérité, et surtout de pouvoir tendre vers un horizon un peu meilleur que la dèche et le marasme grandissant dans laquelle s’enfonce la population verviétoise du fait des conditions macro-économiques actuelles.

Tous les sondages sur les préoccupations des électeurs en Europe démontrent que les priorités des gens sont l’emploi, le logement, l’éducation, les soins de santé. Les questions relatives à la laïcité (au travers de la lutte contre l’extrémisme) n’arrivent qu’en 22ème position des principales préoccupations des Belges.

Dans ce contexte, le recentrage sur la laïcité au sein du PS apparaît surtout comme une diversion de la part d’un leadership socialiste local qui n’a aucune vision cohérente pour attaquer de front les problématiques mentionnées ci-dessus, car ces enjeux sont éminemment liés au contexte national et européen sur lesquels les sociaux-démocrates ont depuis longtemps abandonné toute velléités d’action.

Qu’attendre du parti dont est issu un Premier Ministre qui a accepté de cornaquer un gouvernement qui aura saigné les finances publiques de 13 milliards d’Euro (520 milliards de FB !!!) en 1 an pour respecter une règle d’or que l’Allemagne elle-même n’a jamais respectée. Le plus gros effort financier jamais fait par la Belgique et, bien sûr, payé essentiellement par les 99% les moins riches. Dont un bon quart sont des électeurs du PS. Je dirais qu’il est au contraire très étonnant que le PS n’ait pas perdu encore plus de plumes !

Un recentrage sur la laïcité pour faire quoi, au fait ? Exiger de MM. Aydin, Naji et el-Abbadi qu’ils prêtent un serment laïc, qu’ils fassent leur fête laïque, qu’ils promettent de venir à toutes les conférences de la Maison de la laïcité, qu’ils ne se promènent plus en ville avec leurs femmes en foulard, qu’ils mangent des sandwichs au jambon aux réunions de parti, qu’ils promettent d’être gentils avec Mme Celik ? Comme d’habitude, ce genre de débat interne va surtout servir à polariser les oppositions pour déboucher sur un pet de souris et des mesures à deux francs six sous.

Au lieu de s’enticher d’un recentrage nébuleux sur la laïcité, Mme Targnion ferait mieux de recentrer le PS local sur les valeurs de progrès social et d’émancipation individuelle et collective, ce qui passe par l’éducation, l’accès au soin de santé, aux loisirs, à un logement décent et à un emploi de qualité et rémunéré convenablement. Un vrai programme de gauche. Mais c’est bien plus difficile que de se complaire dans un nombrilisme laïcisant.

5) Et pour la suite ?

En espérant que le PS verviétois ne tombera pas dans une sombre période de futiles débats internes, son rejet dans l’opposition n’est pas une mauvaise chose en vérité. C’est l’occasion idéale pour développer avec Ecolo une vraie alternative à gauche, d’autant qu’il est raisonnable de penser que la coalition MR-Cdh va probablement glisser vers la droite plutôt que de se contenter du centre-droit. D’autant que le Parti Populaire a récupéré non seulement le siège du FN, mais aussi une bonne partie de ses positions politiques – légèrement euphémisées.

En effet, un pôle de gauche fort à Verviers sera d’autant plus nécessaire que le programme du MR est d’une vacuité intense au-delà des fanfaronnades sur la création d’emplois. L’essentiel tourne autour de la politique sécuritaire et de la lutte contre la fraude sociale (en clair : pourchasser les pauvres et foutre la paix aux fraudeurs nantis).

En bref, maintenant que le MR va diriger le CPAS, on peut s’attendre à une saignée à blanc qui va frapper les plus fragilisés d’entre nous au travers d’une pléthore d’exclusions du bénéfice des allocations sociales à la moindre occasion. Car, objectivement, quels sont les moyens dont dispose la commune en matière de création d’emplois ? Va-t-elle imposer au patron du futur centre commercial d’embaucher un certain quota de Verviétois ? On demande à voir.

Avant l’été, le MR national, notamment par Daniel Bacquelaine, avait répété à l’envi qu’il fallait mettre le paquet sur les emplois et que cela impliquait impérativement la lutte contre les discriminations. Depuis, le MR n’a rien proposé en ce sens. Du vent, comme toujours (rendons lui justice, il n’est pas le seul sur cette question).

Or le niveau communal a pourtant des moyens d’action en la matière : la Ville pourrait imposer des clauses de diversité pour toutes ses adjudications et marchés publics. Une entreprise souhaitant rentrer une offre devrait impérativement démontrer qu’elle a une véritable politique de diversité en interne, des PME aux multinationales.

Paradis du capitalisme et de la libre entreprise, la mairie conservatrice de Londres n’a pourtant pas hésité à imposer cette pratique pour toutes les entreprises prestataires des JO 2012. Pas de politique de diversité effective ? Interdit de faire des offres. Des analyses sérieuses ont démontré que Londres avait pu atteindre son succès et être prête à temps grâce à cette politique volontariste envers les entreprises.

Le MR va-t-il choisir de s’engager sur cette voie ? Chacun admettra que l'on puisse avoir des raisons d'en douter.

Le Cdh parviendra-t-il à rééquilibrer les risques de dérive négative et à développer des pistes de solutions crédibles qui ne soient stigmatisantes pour aucune des communautés qui composent l’ensemble de la communauté urbaine verviétoise ? L'opposition se montrera-t-elle à la hauteur des défis?

Rendez-vous d’ici quelques mois pour les premiers bilans.

M. Privot

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...